"SE PROMENER D'UN PAS AGILE AU TEMPLE DE LA VÉRITÉ LA ROUTE EN ÉTAIT DIFFICILE" VOLTAIRE
mars 30, 2023
VIETNAM : LE GRAND RETOUR AMERICAIN
Par Gérard Vespierre
Chercheur associé à la FEMO, Fondation d’Etudes pour le Moyen-Orient, fondateur-associé de Strategic Conseils.
Le déplacement d’un porte-avion nucléaire, peut signifier une volonté d’imposer sa puissance, mais il peut également représenter un acte d’engagement et d’assistance. C’est sous cet aspect qu’il faut considérer la visite d’un tel navire, américain, dans les eaux vietnamiennes, particulièrement à l’heure où les tensions militaires augmentent en Mer de Chine.
Le 5 Mars restera un jour important dans les nouvelles relations entre le Vietnam et les Etats-Unis. Le porte-avion nucléaire Carl Vinson, de l’US Navy, accompagné d’un croiseur lance-missile, et d’un destroyer, s’est mis au mouillage, dans la célèbre baie de Danang.
Ce nom géographique est encore dans beaucoup de mémoire, comme une des plus importantes bases des Etats-Unis pendant la guerre du Vietnam. Elle n’avait pas été épargnée pendant l’offensive du Têt, en 1968…
C’est également à Danang…en 1965,…. que les premiers Marines avaient débarqué…
La fin de la guerre intervint en 1973, mais les relations ne se normalisèrent qu’en 1995.
La première visite d’un bâtiment militaire eut lieu en 2003 avec le croiseur Vandergrift sur la rivière Saigon à Ho Chi Minh ville, suivie par le ravitailleur Richard Byrd dans la baie de Cam Ranh en 2012, et dans cette même baie eurent lieu, en 2016, les visites des navires de soutien Franck Cable et le destroyer John Mc Cain.
50 ans plus tard, les cartes sont rebattues. Dans les années, 50, 60 et 70, le « grand Frère chinois » était l’allié privilégié. De nos jours, c’est « l’Oncle Sam » qui est appelé par Hanoï pour conforter sa sécurité dans le cadre de ses querelles avec son immense voisin. Ce conflit se situe dans les eaux de la mer de Chine, et porte sur les îles Paracels. Revendiquées par le Vietnam, elles ont été militairement annexées par la Chine en 1974.
LES ELEMENTS DE LA TENSION
Pêche et hydrocarbures, autour de ces îles, sont des éléments suffisants pour créer de réelles rivalités.
En Juillet 2016, Hanoï accusa deux bateaux garde-côtes chinois d’avoir coulé un bateau de pêche vietnamien….
En 2014, trois chinois avaient été tués au Vietnam au cours de nombreuses manifestations déclenchées par l’arrivée d’une plate-forme pétrolière chinoise, dans une zone maritime revendiquée par les 2 pays.
A côté des questions de ressources, s’ajoute la nécessité militaire pour la Chine de posséder le contrôle des eaux, et des profondeurs, des couloirs de départ et de retour à l’île d’Hainan, abritant ses sous-marins classiques et nucléaires.
Cette zone maritime est également clé pour la Chine tant pour le transit de ses importations, de pétrole en particulier, que pour 70% de ses exportations.
LA METHODIQUE APPROCHE AMERICAINE
Cette étonnante et symbolique visite d’un porte-avion nucléaire, est le résultat marquant d’une approche très méthodique et étagée de la politique étrangère américaine. Elle est bien sûr facilitée par la montée de la militarisation chinoise et de la volonté d’expansion maritime de Pékin.
Dès 2014, les Etats-Unis ont suspendu l’interdiction de vente d’équipement militaire au Vietnam. Cela a permis entre autre de fournir en 2016 deux navires garde-côtes, équipement très appréciable pour s’opposer aux actions chinoises contre les bateaux de pêche vietnamiens, et les mouvements des plates-formes pétrolières, déployées par Pékin.
Des visites réciproques des ministres de la Défense, se sont également déroulées entre Hanoï et le Pentagone au long de ces années. Ashton Carter, en Août 2015, fut le premier Secrétaire à la Défense à se voir ouvrir les portes, par son homologue, à Hanoï.
Ces mouvements de nature militaro-diplomatiques sont bien sûr étroitement coordonnés entre le Département d’Etat, le Pentagone, et la Maison Blanche, puisque tous les présidents américains depuis l’an 2000, Bill Clinton, Georges Bush, Barack Obama, et Donald Trump se sont rendus à Hanoï…!
Toile tissée dans le temps et en parfaite continuité.
« Cette visite marque une étape importante dans les relations bilatérales entre le Vietnam et les Etats-Unis » a déclaré le porte-parole du Pentagone. « Elle illustre le soutien de notre pays envers un Vietnam fort, prospère et indépendant. Elle renforcera également nos liens culturels et commerciaux».
Pour autant la mémoire de la guerre n’est pas effacée, et même acceptée par les Etats-Unis, puisque des membres de l’équipage rendront visiteront à un centre de soins, spécialisé dans le traitement des victimes de l’agent Orange, triste et célèbre défoliant répandu par les avions de l’US Air Force, afin de réduire la couverture végétale favorable au camouflage des soldats du vietminh….
Le temps, une approche méthodique, et les ambitions chinoises en Mer de l’Est, comme l’appelle les vietnamiens (se refusant à l’appeler Mer de Chine) permettent d’ouvrir un nouveau cycle de relations entre les deux pays.
RESPONSABILITE JURIDIQUE ET ACTIONS INTERNATIONALES
Les Etats-Unis se placent en garant permanent de la liberté de circulation maritime, afin que soient également respectés les droits des Philippines, de Brunei, de la Malaisie, et de la Thaïlande…. La mer de Chine voit passer 70% des exportations de Pékin, pour une valeur atteignant 5 Trillons de dollar.
Cette visite militaro-diplomatique matérialise l’engagement américain à la stabilité et à la prospérité régionale, comme l’indique le Pentagone….
Cette affirmation de puissance et de présence militaire américaine en mer de Chine Méridionale n’est qu’une des composantes de la « gesticulation » militaire, et de l’accroissement des forces navales de tous les pays concernés. Ils sont nombreux et s’étendent…. du Japon à l’Australie….
La modernisation des flottes australiennes, de surface et sous-marines, en font partie, tout comme l’augmentation du budget militaire japonais, supérieur à celui de la France, certes pour un pays pratiquement 2 fois plus peuplé, mais ne disposant pas comme la France d’un armement nucléaire, et limité dans sa constitution à son auto-défense……
Pour les Etats-Unis, ce rapprochement avec le Vietnam est en quelque sorte une compensation des difficultés vécues avec les Philippines et les positions parfois prochinoises de l’imprévisible Président Duterte…
Mais ce rapprochement est un acte géopolitique dans la zone de crise de la Mer de Chine. Il affirme une présence militaro-diplomatique forte, auprès du pays contestant le plus l’impérialisme maritime chinois, en l’occurrence sur les îles Paracels.
ET LA FRANCE…. ?
Cette situation ne devrait pas laisser la France insensible, et ceci pour trois raisons.
Premièrement, la présence et l’influence française au Vietnam existe, mais cette montée en puissance américaine, ne peut être ressentie que comme une action concurrentielle, à laquelle il faut d’une façon ou d’une autre répondre.
Deuxièmement, les actions d’annexions chinoises, représentent autant de coups de canif dans la souveraineté maritime des ZEE (Zone Economique Exclusive) des pays concernés. Or l’importance de la ZEE française, 11 millions de kilomètres carrés, sur l’ensemble du globe, deuxième du monde, derrière… les Etats-Unis…. ne peut être mise que d’avantage en danger, car elle est déjà contestée, et pourrait l’être, de ce fait, encore plus.
Nous pouvons évoquer les contestations des zones maritimes autour de la Nouvelle Calédonie, des îles Eparses, de l’île Tromelin, et de l’îlot Clipperton….
Troisièmement dans cette situation de crise, la France n’est pas réellement diplomatiquement présente. Elle se positionne derrière le droit, et la décision de la Cour Permanente d’Arbitrage, qui en 2016, a reconnu la souveraineté des Philippines sur les îles Spratleys, Les Philippines étant elles aussi impliquées dans les revendications chinoises. La Cour de La Haye n’a pas reconnu de la légitimité historique de la Chine sur ces îles. Diplomatiquement la France se range derrière les positions de l’Union Européenne, sans prendre en compte le rôle historique qu’elle a joué dans cette région, et des intérêts directs et indirects qu’elle y possède encore.
Or en se référant au droit, il serait important que la France s’implique dans les actions de préservation de la liberté de navigation. Pour le moment seuls les Etats-Unis exercent ce rôle, en envoyant des navires militaires dans les eaux où la Chine clame sa souveraineté. L’Angleterre devrait dans les prochaines semaines mener, elle aussi, des opérations dites FONOPS (Freedom Of Navigation Operations). La France pourrait s’y joindre.
Il est intéressant pour notre pays de fournir des armes terrestres, aériennes ou navales dans cette grande région d’Asie. Il pourrait être de notre devoir d’y exercer une présence et de conforter ainsi le droit international auquel nous sommes attachés.
Si l’Amérique est de retour, il serait dommageable que la France reste absente.
Gérard Vespierre
Paris le 20/03/2018
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Une réponse
» la décision de la Cour Permanente d’Arbitrage, qui en 2016, a reconnu la souveraineté des Philippines sur les îles Spratleys » : Non. La Cour a donné raison aux Philippines sur le refus d’accepter la rhétorique et les prétentions chinoises, tout en précisant certaines conditions pour qu’un ilôt puisse donner droit à une ZEE. Mais la Cour n’a procédé à aucune attribution !