"SE PROMENER D'UN PAS AGILE AU TEMPLE DE LA VÉRITÉ LA ROUTE EN ÉTAIT DIFFICILE" VOLTAIRE

mars 30, 2023

alain lamassoure
ANGELA MERKEL : UN ÂGE D’OR EUROPEEN ? Par Alain Lamassoure

ANGELA MERKEL : UN ÂGE D’OR EUROPEEN ?
Par Alain Lamassoure

Angela Merkel quitte la scène après seize ans de pouvoir avec une popularité, intérieure et extérieure, généralement réservée aux jeunes espoirs politiques prématurément fauchés par le destin. En France même, elle n’a cessé de susciter un respect et de recueillir des sondages très supérieurs à ceux de ses interlocuteurs de l’Elysée, comme à leurs opposants. Laissons les Allemands juger du bilan de « Mutti » dans leur pays. Nous intéresse ici le bilan européen de la personnalité qui a eu la plus forte influence sur la politique européenne de son temps.

Son bilan est impressionnant. Pourtant, comme à Berlin même, elle ne laissera son nom à aucune réforme novatrice et courageuse. En Allemagne, elle s’est contentée de mener à bien jusqu’au bout celles de son prédécesseur Gerhard Schröder, qui en avait payé le prix électoral face à elle. En Europe, elle a eu l’intelligence d’accompagner de manière décisive les initiatives hardies de ses partenaires français et/ou de la Commission ou de la BCE dans les crises successives qu’ont connues l’Union et sa monnaie. Il y a fallu une vision à l’échelle mondiale, et une âme bien trempée pour convaincre chez elle ses propres amis politiques. Habitués à la verticalité du pouvoir solitaire de leur monarque républicain, les Français ne mesurent pas comment le pouvoir s’exerce dans le régime parlementaire de la République fédérale. Le chef ne commande pas, il propose, il écoute, il négocie des compromis avec son parti, avec ses partenaires de coalition, et souvent avec ses adversaires mêmes, dans les Länder. Sans oublier la vigilance ombrageuse dont font preuve, tant la Cour de Karlsruhe vis-à-vis des décisions prises à Bruxelles, que les faucons de la Bundesbank à l’égard de la BCE de Francfort. Angela Merkel a porté ce savoir-faire du compromis à un art inégalé.

A la différence de ses collègues et rivaux de la CDU, cette jeune femme venue de l’Est et grandie en RDA n’avait pas été biberonnée au discours sur l’Europe carolingienne du grand Adenauer, ni même de son mentor Helmut Kohl. Pourtant, elle n’a pas ménagé sa peine pour nouer l’indispensable relation de travail avec Paris, et pour faire prévaloir les bons choix à l’échelle de l’Union. Ses quatre interlocuteurs successifs à l’Elysée lui ont posé des problèmes différents. Le plus insaisissable pour elle fut sans doute Nicolas Sarkozy. Ayant eu la chance de la connaître depuis son accession à la présidence de la CDU, puis d’avoir été le conseiller européen du candidat Sarkozy, je me suis trouvé un jour dans une situation pittoresque. A quelques jours d’intervalle, chacun m’a demandé de lui expliquer comment « fonctionnait » l’autre !

Hostile à la précipitation de par son tempérament personnel, sa formation scientifique et les contraintes du système politique allemand, Angela Merkel a pourtant su imposer deux décisions personnelles soudaines, qui ont marqué les esprits. Avec, reconnaissons-le, des résultats inégaux.

En 2011, sous le coup de l’émotion créée par le drame de Fukushima, elle a pris sur elle d’annoncer la fin précipitée du nucléaire civil en Allemagne. Unanimement saluée dans le contexte émotif du moment, la décision s’est vite révélée contre-productive : le pays a dû rouvrir des mines du charbon le plus polluant pour compenser l’électricité manquante, tandis que le camp antinucléaire en a été ragaillardi pour vingt ans, réduisant à néant les efforts laborieux d’une politique européenne de transition énergétique préservatrice du climat. Ce fut un très malheureux contresens.

En 2015, devant la mauvaise volonté honteuse de tous ses partenaires européens, la France en tête, elle a ouvert les bras à tous les réfugiés syriens qui fuyaient l’effroyable guerre civile de leur pays. Il lui a fallu un immense courage : sa propre famille politique était partagée entre l’incompréhension et l’hostilité catégorique. Ses partenaires européens ont eu le cynisme de lui reprocher de donner le mauvais exemple, alors que sa décision les dispensait du moindre effort d’accueil d’étrangers jugés indésirables chez eux. Les commentateurs français se sont surpassés dans la mesquinerie en accusant l’Allemagne de se doter ainsi d’une main d’œuvre bon marché qui soumettrait notre industrie à une concurrence déloyale. J’ai vu Angela Merkel, en pleine tourmente, plaider sa cause à Karlsruhe devant un Congrès de la CDU fortement hostile, et faire chavirer son auditoire par sa seule force de conviction authentiquement religieuse – ce n’était pas une oratrice. Ce jour-là, ce n’est pas seulement l’image de la démocratie chrétienne allemande qu’elle a sauvée : c’est bel et bien l’honneur de toute l’Europe, qui était en train de renier toutes ses valeurs en prétendant vouloir préserver son identité. Sa fameuse phrase : « Wir schaffen das ! », « Nous pouvons le faire ! » avait été moquée chez nous. Six ans plus tard, l’intégration des nouveaux arrivants est étonnante : en effet, comme elle le sentait, le peuple allemand tout entier a montré qu’il avait une capacité d’accueil et d’intégration exceptionnelles.

Il nous restera pourtant un grand regret. Que cette dame, qui fut la plus puissante d’Allemagne et d’Europe, n’ait pas su faire preuve de la même pédagogie pour convertir son pays à la participation à une vraie politique étrangère et de défense européenne. Certes, elle en a souvent parlé. Mais seulement en « payant le service des lèvres », comme disent les Anglais. Elle laisse une Allemagne pour qui la politique étrangère continue de se limiter à la politique commerciale. La Chancelière avait littéralement son rond de serviette au Zhongnanhai, siège du pouvoir à Pékin, où elle s’est rendue à seize reprises – pour y parler business. Les incursions périodiques des troupes russes dans les pays voisins n’ont même pas ralenti la construction obstinée du gazoduc Nord Stream 2, dont le trajet, voulu à Moscou, est expressément contraire à l’intérêt européen.

Mais l’Europe aura eu une chance inespérée. Dans des années de crises qui ont ébranlé les fondements de l’Union, la puissance la plus importante du club a été dirigée par une femme clairvoyante, modeste, ferme sur les principes, mais jamais arrogante dans le ton. Elle s’est fait huer dans les rues d’Athènes et de Lisbonne comme l’avocate d’une politique d’austérité – celle-là même qui était à l’origine du succès de l’économie allemande : ne jamais dépenser plus que l’on a gagné. Elle a plaidé partout le bon sens, la patience, la continuité dans l’effort. En 2020, elle a même su renoncer d’un coup au corset de fer qui enfermait le budget communautaire, de façon à sauver toute la famille de la faillite générale en la faisant bénéficier du crédit accumulé depuis vingt ans sur les marchés par la « trop » sérieuse Allemagne. Imaginons ce qu’aurait été l’état et le destin de l’Union si le pouvoir à Berlin avait été contrôlé par les pourfendeurs arrogants des pays du « Club Med ». Comme sous le grand Helmut Kohl à la fin du siècle précédent, c’est « une Allemagne anormalement normale » qui a accompagné, et souvent inspiré, l’Europe dans ses pas hésitants à travers les nouveautés inouïes du nouveau siècle. Merci Angela !

Alain LAMASSOURE

Ancien élève de l’ENA (promotion Turgot), il commence sa carrière en 1968 à la Cour des comptes comme auditeur, puis comme Conseiller référendaire. À partir de 1973, il est chargé de mission auprès de Maurice Druon, ministre des Affaires culturelles (1973-1974), puis conseiller technique au cabinet du ministre des Finances (1974-1976) puis de l’Équipement (1977-1978). Ensuite il poursuit sa carrière de haut fonctionnaire en tant que conseiller technique à la présidence de la République sous le mandat de Valéry Giscard d’Estaing (1978-1981).
Il est député des Pyrénées-Atlantiques de 1986 à 1993, puis participe aux gouvernements d’Édouard Balladur puis d’Alain Juppé, successivement ent ant que ministre des Affaires européennes puis ministre du Budget jusqu’en 1997.
Fin janvier 2014, il est désigné tête de liste pour la circonscription Île-de-France pour les élections européennes de la même année2. Depuis mai 2014, il est député européen et siège comme membre de la commission des affaires économiques et monétaires et de la délégation pour les relations avec les pays de l’Asie du sud. Il est aussi conseiller régional d’Aquitaine. Il fait partie des instances dirigeantes de la Convention démocrate en tant que secrétaire général.

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