"SE PROMENER D'UN PAS AGILE AU TEMPLE DE LA VÉRITÉ LA ROUTE EN ÉTAIT DIFFICILE" VOLTAIRE
juin 11, 2023
L’interview d’Emmanuel Macron à l’hebdomadaire The Economist rappelle celle de Barack Obama dans The Atlantic. Les deux hommes ont en commun d’être des intellectuels passés à la politique avec un certain succès, caractéristique assez rare dans ce monde de chiens qui aboient sur Twitter, de bonimenteurs et d’esclaves des sondages.
Encore bien mieux que le discours à la Sorbonne, cette interview est l’expression articulée d’une pensée qui réussit souvent à bien analyser la complexité des problèmes que l’Europe doit affronter.
On peut tout dire de Macron, mais pas qu’il hésite face aux problèmes réels. Les Européens ne peuvent faire abstraction d’aucun des points qu’il aborde. De la crise de l’OTAN et nos rapports avec les USA, de nos relations avec la Russie et la Chine, à notre impuissance dans la crise syrienne, ou à la nécessité de rattraper le périlleux retard technologique de l’Europe.
Son vigoureux rappel à la nécessité d’une souveraineté européenne dans un monde où reviennent les nationalismes, anciens ou nouveaux. Mais l’homme n’est pas qu’un intellectuel, il est le président de la République française.
Ayant constaté la paralysie qui afflige la politique des autres grands pays de l’UE (Allemagne, Italie et Espagne) et les conséquences de la sortie de la Grande-Bretagne, il revendique d’une manière plutôt explicite le leadership du mouvement pour la France , et ce faisant pour lui-même. A ce stade donc, plus que l’intellectuel, il faut juger l’homme politique.
Il n’y a rien de mal, et il est même souhaitable qu’un ou plusieurs pays assument une fonction de leadership. Finalement c’est ce qu’a souvent fait – depuis le début de la construction européenne -le couple franco-allemand , et plus récemment Angela Merkel elle-même. Au point où nous en sommes toute initiative doit être jugée à l’aune de sa capacité à enrayer la méfiance réciproque qui, depuis des années, empoisonne les relations ente pays européens.
Il y a trois conditions pour qu’un leadership européen puisse avoir du succès.
La première est que le leader indique une marche à suivre, une stratégie. On ne peut ici certainement pas accuser Macron de manquer de clarté dans la vision. Mais il ne suffit pas de définir des objectifs ; il faut encore dire comment on les atteint et avec qui.
La seconde condition nécessaire à un leadership efficace est qu’il doit être inclusif. Ce qui ne veut pas dire qu’il faut a priori chercher à recueillir l’unanimité, ce serait trop demander. Le leader doit être capable de parler le langage de ses interlocuteurs, ou au moins des plus importants d’entre eux, et il doit en quelque sorte intégrer leurs visions du monde.
Sinon la méfiance reste entière. Il ne suffit pas de dire que l’on parle avec eux « pour les convaincre » parce que ce n’est pas un exercice pédagogique, il faut « construire » un consensus.
Les interlocuteurs que Macron doit convaincre sont de deux sortes.
Il y a d’abord la vaste zone du Nord de l’Europe, qui ne se résume pas à l ‘Allemagne mais comprend aussi la Hollande et les autres pays nordiques. Ce sont des pays conscients que l’OTAN est en crise mais de longue tradition atlantiste, qui sont aussi instinctivement attachés au libre-échange et pour qui la rigueur des comptes publics est importante.
Ceux-ci ont ,à tort ou à raison, hérité des années De Gaulle une profonde défiance à l’égard de la France qu’ils considèrent a priori protectionniste et anti-américaine. Or le langage employé par Macron semble parfois inutilement choisi pour conforter ces préjugés.
Il en est ainsi par exemple quand, de manière plutôt intempestive, il conteste le seuil des 3% qui encadre les déficits publics, véritable clef de voute du système de Maastricht qui n’est certainement pas le problème prioritaire en ce moment. C’est une façon de s’exprimer qui jette de l’ombre sur un raisonnement par ailleurs complexe et équilibré comme ce qu’il dit de l’OTAN et des Etats-Unis.
Son sens de l’équilibre disparaît toutefois lorsqu’il semble suggérer une Europe équidistante ente les Etats-Unis et la Chine. Et en dépit d’un respect affiché , il semble que E.Macron ait du mal à comprendre l’Europe du Nord, notamment quand il regrette leur recours à des gouvernements de coalitions. Il oublie que c’est justement dans ces pays que, malgré d’évidentes difficultés, la démocratie libérale est la plus solide et que leur système les immunise contre les violents mouvements de balancier électoral qui en revanche menacent toujours les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, et même la France.
Le second groupe de pays auxquels il devrait savoir parler sont ceux de l’Est . Certains d’entre eux, comme la Pologne et la Hongrie, sont en proie à une dangereuse évolution anti-libérale. D’autres nourrissent une peur presque obsessionnelle, mais non sans fondement, de la Russie.
Ce sont des partenaires difficiles mais que nous avons l’obligation de comprendre et stabiliser ; il en va de notre sécurité dans un arc qui va de la Baltique à l’Adriatique d’où sont parties deux guerres mondiales. Quand on annonce de manière générique une ouverture à la Russie, il ne faut pas se contenter de dire : je parlerai aux Polonais et aux Allemands.
Il est juste de dénoncer le recours trop facile et abusif à l’élargissement comme instrument de politique étrangère. Cependant conclure à la va-vite que l’on peut stabiliser les Balkans et contrer la pénétration russe et chinoise par « d’autres moyens » est pour le moins superficiel. Il a par ailleurs raison de faire de l’Afrique une priorité et de déplorer les erreurs commises en Libye, mais comment est-il possible de le faire sans tenir compte aussi des priorités italiennes ?
La troisième condition qu’un leader doit remplir est qu’il ne doit pas être perçu comme visant d’abord la satisfaction de sa propre opinion publique. Et là, la dernière partie de l’interview est frappante. Quand après avoir construit des raisonnements rigoureusement européens, E.Macron finit par revendiquer « l’exception française » comme toujours fondée sur la possession de l’arme nucléaire, d’un siège au conseil de sécurité de l’ONU, sur la francophonie et sur le rôle international du pays. On entend là des accents moins arrogants et présomptueux mais qui ne sont pas sans rappeler la revendication de « l’exception britannique ».
En conclusion, et en retenant aussi les leçons du fameux discours de la Sorbonne, E.Macron n’a à offrir qu’un début d’accord sur la défense et un consensus de principe sur un modeste budget de l’Eurozone. La première impression que laisse cette importante interview est malheureusement celle d’un isolement, ce qui est le contraire d’un leadership ; pire, il peut en découler une recrudescence de la défiance réciproque.
Il n’a échappé à personne que la première critique sévère est venue d’Angela Merkel, l’alliée indispensable pourtant habituellement très prudente. Il est difficile de dire si ces erreurs sont nées d’un trait de caractère, d’une lassitude compréhensible face à l’immobilisme allemand ou bien de l’incompétence de nombreux collaborateurs. Il est en tout cas souhaitable et urgent d’y remédier.
Emmanuel Macron demeure le meilleur espoir de son propre pays et de l’Europe.
Riccardo Perissich
Rome 08/11/2019
Riccardo Perissich est ancien directeur général de la Commission européenne ; il est senior fellow de la School of European political economy de la LUISS University à Rome, auteur de « L’Unione europea, una storia non ufficiale (Longanesi) » , « Stare in Europa : Sogno, incubo e realtà (Bollati Boroghieri) ». Il est membre de la Fondation Notre Europe – Institut Jacques Delors (Paris), de l’International Institute for Strategic Studies (Londres), de l’Istituto Affari Internazionali (Rome) et de l’Aspen Institute Italy (Rome) – Une version de ce texte est parue en italien dans Affari Internazionali (Istituto Affari Internazionali)
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