"SE PROMENER D'UN PAS AGILE AU TEMPLE DE LA VÉRITÉ LA ROUTE EN ÉTAIT DIFFICILE" VOLTAIRE

mars 30, 2023

President Obama
En Corée Washington est-il encore le Deus ex machina ? 3ème partie

 

 

 

 

3ème partie de l’article sur la Corée du Nord: du cordon ombilical au nœud gordien!

C Les rémoras américain et chinois. Une étrange congruence
C 1 Le syndrome iranien

A Téhéran le bazar et les gérontes ; à Pyongyang le freluquet !

Avant que d’aborder les moyens d’action des principaux protagonistes, examinons les différences substantielles qui structurent les crises coréennes et iraniennes.

En Iran aucun des protagonistes n’avait de frontière terrestre commune avec Téhéran. 1416 km de frontière unissent et opposent Pékin et Pyongyang ; 300 km rendent le voisinage entre Moscou et Pyongyang méfiant. En outre Vladivostok veille au grain. La Russie se fait tantôt chattemite, tantôt fidèle à son histoire.
Téhéran ne cherchait pas à monnayer ses progrès nucléaires.
Au trébuchet de la finance et du bazar, Pyongyang n’a de leçon à recevoir de personne.

Pour Pyongyang il s’agit de battre monnaie. L’armement nucléaire lui tient lieu de Banque Centrale, son Général fait fonction de Mario Draghi. Ses missiles sont ses droits de tirage spéciaux au sein du Fonds Nucleaire International !
Pyongyang a bénéficié d’aides et subventions plus que généreuses. Téhéran devait quant à lui payer rubis sur l’ongle.

Alors que Pyongyang disposerait déjà d’une vingtaine de bombes de la puissance d’Hiroshima, Téhéran n’en était qu’aux balbutiements de la panoplie nucléaire qu’il avait d’ailleurs acquise grâce aux leçons de son tuteur coréen.
Les vecteurs balistiques iraniens doivent tout à leur maître coréen.
Menacer et frapper Téhéran était autrement plus facile que sommer, assommer et cingler Pyongyang protégé par ses voisins.
Téhéran ne comptait ni Pékin ni Moscou comme alliés. Pyongyang est lié quant à lui par un traité d’alliance militaire en bonne et due forme à Pékin.
Quand bien même ce dernier aimerait l’élaguer de ses dispositions les plus embarrassantes aujourd’hui. Pékin a ainsi essayé – sans succès- d’enlever la clause la plus contraignante pour lui. Pékin a également signifié à la Corée du Nord ne pas être lié par ce traité si Pyongyang attaquait en premier.

Paradoxalement Pyongyang est doublement fort de la famine qui a sévi en éliminant de façon presque délibérée entre 800 000 à 2 400 000 coréens. Pour information l’ONU a confirmé que 70 % de la population coréenne est en état d’insécurité alimentaire.
A cet égard les livres de Blaine Harden « Rescapé du camp 14 » et Yeonmi Park « Je voulais juste vivre » sont tristement révélateurs.

La Corée sait que c’est un moyen de chantage et d’enrichissement auprès des occidentaux pétris d’humanisme.
Chantage car Kim sait parfaitement comment amollir les sanctions onusiennes et américaines et d’autre part brutaliser, affamer voire assassiner sa propre population ne lui pose pas de véritable cas de conscience.

A Téhéran le prix de la vie est relatif ; à Pyongyang il n’existe même pas !

Enfin l’ONU et le groupe P5+1 n’ont point ménagé leurs sanctions. Même enterrée sous les privations, l’économie iranienne était plus réactive car plus ouverte sur le monde.
À Pyongyang l’autocratie la plus féroce de la planète la rend moins sensible et moins dépendante.
À Téhéran, la mollahcratie à travers son système byzantin de contre-pouvoirs est infiniment plus démocratique et infiniment moins cruelle que la société coréenne. La pression de la rue, du bazar et d’élections relativement régulières ont porté Rohani, qui certes n’est pas un parangon de vertu démocratique, tant s’en faut, au pouvoir.
La meilleure preuve en est que le candidat du pouvoir a été cette fois ci battu.

A ce jour l’on voit mal des Coréens en haillons influer leur régime. Leur seule fierté: la bombe dont l’état d’avancement est infiniment plus inquiétant que ne l’était iranien.

Last but not least, en Corée les américains se trouvent dans l’arrière-cour chinoise. Pour leur malheur, il se trouve que des lors que l’on touche aux intérêts chinois et à ce qu’ils considèrent comme leur honneur, les chinois sont extrêmement chatouilleux voire susceptibles et semblent peu portés au compromis.
Les propos lénifiants tenus à l’IFRI le 18 Février 2016 par Huang Renwei, Vice-Président du Shanghai Academy of Social Science, étaient à cet égard particulièrement éloquents.
Tous ces facteurs compliquent à plaisir les options des alliés, solidifient et bétonnent la position coréenne.

C 2 Washington à la manoeuvre

Les choix de Washington : « Mieux vaut un sage ennemi qu’un ignorant ami. » 44

“Any policy that does not do away with North Korea’s nuclear military capability, in effect, acquiesces in its continuation.” 45
Dans son carquois Washington dispose de deux types de réponses : les sanctions et les moyens militaires. Mais pour Washington l’enjeu est tout sauf régional. Il est mondial et oblige les américains à repenser de fond en comble sa stratégie nucléaire et de non- prolifération.

Lors de sa conférence de presse commune avec Xi, Obama demande un engagement qualifié de « complete and verifiable denuclearization » et a appelé a « full implementation of all UN resolutions ». Montrant que la « strategic patience » touche à sa fin « we will not accept North Korea as a nuclear weapon state. »

Commençons par examiner la panoplie des sanctions possibles. Puis nous nous poserons la question de savoir avec qui et avec quels objectifs les administrer. Comme nous l’avons décrit plus haut les sanctions n’ont pas manqué à l’égard de la Corée.

Le problème des sanctions coréennes est éminemment complexe. Il est d’autant plus complexe que par un étrange jeu de chaises musicales les acteurs ont tous changé et ont parfois modifié, loaf pour loaf, leurs positions.
Même Henry Kissinger n’y a pas échappé. S’il est vrai qu’il avait déclaré, interrogé lors par un journaliste lors d’une conférence de presse à propos du Vietnam : « Ferez-vous les mêmes erreurs ? » Kissinger a répondu : « Non nous ferons nos propres erreurs ! »

Il avait également dit qu’il pouvait changer de politique à propos du Vietnam dans le langage fleuri qu’il affectionnait de temps à autre : « C’est nous qui avons écrit cette foutue politique nous pouvons la changer quand nous voulons. » 46

Au Vietnam Kissinger a joué concomitamment sur deux tableaux. Se servir de Pékin et accessoirement de Moscou pour exercer des pressions sur Hanoi tout en menaçant Hanoi. Or la configuration est ici totalement différente. Ni Moscou ni Pékin ne sont désireux d’exercer de coercitions pour les raisons déjà évoquées et Hanoi ne disposait point de l’arme atomique.

Washington doit donc tenir compte du fait que la Chine tout en étant l’acteur principal est paradoxalement la puissance pour qui le problème est le plus complexe.
Ces deux facteurs compliquent et limitent à plaisir la marge de manœuvre américaine.

Agir sur la pointe des pieds n’a pas empêché Kissinger de préconiser lui aussi, à une certaine époque, les moyens les plus radicaux. Mais il reconnaît que cela serait aussi trop dangereux pour les USA et que la solution est d’accompagner la Chine aussi loin qu’elle le veut ou le peut.
Le lecteur savourera donc ces différentes prises de position avec les citations qui suivent que nous avons reproduites expressis verbis.

“[North Korea] is often presented as an example of China’s failure to fulfill all its possibilities. But anyone familiar with Chinese conduct over the past decade knows that China has come a long way … China’s patience in dealing with the problem is grating on some U.S. policymakers [but] the North Korean problem is more complex for China than for the United States.” 47

“Too much of the commentary on the current crisis has concerned the deus ex machina of Chinese pressure on North Korea and complaints that Beijing has not implemented its full arsenal of possibilities. But China has reason to fear chaos along its borders … [I]t is more sensitive than its partners to the danger of destabilizing the political structure of North Korea. Great respect must be paid to Chinese views.” 48

“the United States should unilaterally “knock out the nuclear capability of NK, if necessary even by aerial strikes.”49

Kissinger en vint alors à penser “it would be too dangerous for us to do this alone given the general mentality that now exists in Washington and unwillingness to support it.” Instead, he said we should tell China “we are willing to go as far as you are willing to go in doing away with the nuclear capability … including a blockade and total economic isolation.”50

Pour autant John Kerry a déclaré le 27 janvier 2016 sa déception que la Chine ne l’a pas complètement suivi dans le train de sanctions visant la Corée en soulignant le fait que « U.S. Secretary of State John Kerry ran into that wall this week during talks in Beijing with Chinese Foreign Minister Wang Yi. After meeting for more than four hours Wednesday, Kerry expressed his frustration with what the United States sees as China’s failure to do more rein in Pyongyang, noting that « more significant and impactful sanctions were put in place against Iran, which did not have a nuclear weapon than against North Korea, which does. »51
« All nations, particularly those who seek a global leadership role, or have a global leadership role, have a responsibility to deal with this threat, » 52

On le voit Washington a tout sauf la tâche facile.

“Each time it ended the moratorium unilaterally. Twice it has tested nuclear explosions and long-range missiles during recesses of negotiations. If this pattern persists, diplomacy will turn into a means of legitimizing proliferation rather than arresting it. Why should Pyongyang alter its conduct when, within weeks of the end of a test series, an American special representative appears in Pyongyang to explore the prospects of new negotiations?”53

Kerry use de tout son art et de son charme pour élargir le champ des sanctions, leurs craintes, leur intensité et la rapidité avec laquelle elles rentreront en vigueur.
C’est tout le but des différents entretiens avec le ministre chinois des affaires étrangères. “All nations, particularly those who seek a global leadership role or who have a global leadership role, share a fundamental responsibility to meet this challenge with a united front,” with “more significant and impactful sanctions” an essential step.” 54
“It’s good to agreee on the goal but is not enough to agree on the goal, we believe we need to agree on the meaningful steps necessary to get the achievement of the goal to the negotiators that result in de-nuclearization.” 55
Aux classiques résolutions onusiennes Obama a également usé et abusé des « exécutive orders » et bénéficié (cette fois-ci) des résolutions votées par le Sénat. Les USA veulent des sanctions qui frappent durement y compris les minerais coréens au risque d’affecter les intérêts chinois dont le pays demeure le principal importateur.
Point de passage obligé, probablement ; mais la conséquence immédiate est d’ouvrir un dissensus entre les positions US et chinoises.
Ce qui serait de la dernière utilité.

En Iran le groupe des 5+1, pour simplifier écrivons les américains, sont allés à la tranchée avec des munitions que l’on pourrait caricaturer comme des négociations de marchands de tapis.
En Corée rien de tel n’est possible vu son avancement nucléaire. Il s’agit de brider, museler et paralyser la Corée dans ses recherches notamment en matière de miniaturisation. Et surtout paralyser l’accès à une première frappe réelle.
Actuellement comme nous l’avons vu plus haut celle-ci demeure virtuelle.

Jusqu’à présent personne n’a réussi. Ni le joueur de saxophone, ni le cow-boy aussi appelé « Make no mistakes » qui siégeait auparavant à la Maison-Blanche ni le néo-réaliste Obama englué dans un sa « stratégic patience » ! Celle-ci se résume comme l’a écrit si finement Sungtae Park « do little and hope for the best.» 56

L’affaire coréenne est certes autrement compliquée même si moins médiatisée que l’iranienne ; il y a pourtant de la marge avec le fameux « Carry a big stick and speak softly. » de Roosevelt.

Les USA devraient d’abord refuser de reprendre des négociations à zéro. Ils doivent impérativement les reprendre là où elles s’étaient arrêtées. Il y a des limites à la naïveté ou au goodwill (ce n’est qu’une question de point de vue).
Where you stand depends on where you sit !

Ensuite ils ne doivent pas accepter la scission des cinq partenaires dans le groupe des six.
Les coréens veulent des assurances quant à leur sécurité. Soit ! Mais elles ne peuvent émaner que d’un système régional de sécurité de l’Asie du Nord-Est.
Sauver la face de Pyongyang. Bien sûr cela tombe sous le sens !
Mais les Nord-Coréens doivent aussi en payer le prix.
Quand bien même les USA seraient amenés à le faire provisoirement de façon bilatérale.
Et surtout rien ne sera obtenu si les USA ne ménagent pas les intérêts chinois.

Là où le problème se complique c’est que l’acceptation des intérêts chinois en Corée risque d’entrainer les américains beaucoup plus loin que souhaitable à l’échelon mondial.
Et les Chinois auront beau jeu de monnayer leur soutien dans la péninsule en demandant de très fortes contreparties au niveau mondial.
C’est en outre accréditer et conforter leur influence auprès de nombreux pays et ipso facto diminuer celle des USA.
Les frontières de la Corée du Nord s’étendent bien au-delà de la DMZ.

Pour diminuer le danger- au stade actuel on ne saurait employer le terme « éradiquer » – il faut d’abord établir un canal de communication puis tenter de trouver un accord. C’est donc- en quelque sorte-acquiescer à toutes les exigences d’assurances de Pyongyang. En termes de danger immédiat c’est une solution, puisque Pyongyang dispose déjà de la panoplie nucléaire.
Mais il ne s’agit en aucun cas d’acquiescer à son maintien.

Pour autant c’est donner le plus mauvais exemple possible à tous les impétrants de la planète au baccalauréat nucléaire. Cette hypothèse est quant à elle proprement inacceptable.
D’autant plus inacceptable que la Corée pourrait être tentée d’abaisser son niveau pré-stratégique imitant en cela la nouvelle doctrine nucléaire russe définie par Poutine et qui lui permet un usage plus large et plus précoce de l’arme atomique si les intérêts russes sont menacés.
Vu de Pyongyang l’on garde aussi à l’esprit parallèlement à ce fléchissement du seuil nucléaire la sophistication impressionnante de l’armement conventionnel US.
Ces deux phénomènes ancrent encore davantage leur Phobos.

Dans les deux cas, les USA et ce qu’il était, autrefois, convenu d’appeler le monde libre ne sauraient vivre sous la menace constante et sous un chantage permanent !
Le Président Obama ou sa successeure (il y a déjà assez de menaces qui ourlent la planète, point n’est besoin d’y rajouter le scénario grotesque mais cauchemardesque de Trump) devra arbitrer entre deux possibilités : soit on négocie soit on a recours au big stick.
En l’état actuel des choses le big stick semble improbable.

Accord catastrophique, guerre improbable.

Reste une possibilité qui relève des actions sub-rosa. Le régime est désormais largement perverti par la corruption endémique qui règne en Corée du Nord.

La question n’est pas tant de savoir si le régime tombera. Il tombera !
La question est de savoir quand tombera-t-il, comment tombera-t-il, qu’entrainera-t-il et s’il ne sera pas trop tard.
Pour ce faire, les Américains doivent utiliser tous les moyens à leur disposition. Le plus efficace consiste probablement à alimenter le marché noir qui est devenu la véritable économie coréenne. Sans marché noir la nomenklatura nord-coréenne s’effondre. Sans nomenklatura, le régime nord-coréen s’écroule et le problème nucléaire offre alors une gestion différente.

Rien de très glorieux certes mais probablement la solution la plus efficace. En 1998 le Secrétaire d’État américain, soudain éclairé par la grâce du bon sens, déclare de retour de Pyongyang: « Il faut prendre la Corée du Nord pour ce qu’elle est et non pour ce que l’on voudrait qu’elle soit. »
Le Président Clinton, que l’on a connu plus inspiré dans d’autres régions du monde, ne juge pas opportun de s’y rendre. Quant à Bush Junior, il va simplement réussir à détricoter le peu qui avait été obtenu.

La seule véritable option qui reste ouverte aux Américains comme l’a écrit justement Jonathan Pollack dans la Brookings Institute le 2 février 2016 c’est de minimiser les risques. Kerry de retour de Pékin en Janvier 2016 hausse le ton en disant :
« ( The Usa ) must take extremely seriously. » Secretary Kerry also stated that “the United States will do what is necessary to protect the people of our country and our friends and allies.” 57
“Though acknowledging that China and the United States both oppose the North’s weapons development, Secretary Kerry made clear that broad concurrence was no longer sufficient.” 58

En l’état actuel il est évident que tant Pékin que Moscou ne feront qu’un bout de chemin avec Washington, les Américains devront tôt ou tard entreprendre des actions unilatérales aussi appelées action de second rang.
Si elles sont suivies par moins d’Etats, leur champ d’application sera en revanche plus large et plus étendu. Quant à savoir si un filet moins large mais aux mailles plus serrées sera plus efficace, nul n’en connaît à ce jour la réponse. Il est en tout cas permis de douter de sa pleine efficacité.
Il est vraisemblable que les USA, associés à la Corée du Sud et en étroite concertation avec le Japon procéderont à un nouveau déploiement militaire au risque de braquer encore davantage Pékin.

Ce fait ne doit point être négligé. Il est celui qui conditionne la diplomatie US.

Si les démonstrations de force US n’auront vraisemblablement que peu d’effets immédiats sur la Corée, il est vraisemblable que de réelles et fortes sanctions économiques et militaires etc. ralentiront- à tout le moins- la progression coréenne.
Ralentiront- peut-être- stopperont probablement pas, élimineront évidemment non.

Pour autant nous aimerions pouvoir affirmer qu’il ne s’agit point là d’un wishful thinking.

Concertation certes, mais plus on placera le curseur vers une alliance formelle entre ces trois pays, plus le résultat escompté sera problématique voire contraire au dénouement espéré, comme nous l’analyserons plus loin.

« Plus l’Occident est décidé à faire front et à accepter les périls et le prix de la résistance, plus il importe de ne pas perdre le sens du possible, de mesurer la valeur des diverses positions, de ne pas mettre au premier rang le prestige et l’idéologie. » 59
In fine dans cette partie de poker infernal le gagnant sera celui qui saura s’inspirer des propos de Khroutchev qui disait capé dans son bens sens paysan ukrainien :
« I think the people with the strongest nerves will be the winners. The people with weak nerves will go to the wall. » 60

Le président Obama semble comprendre qu’il est vital que Séoul ait de bonnes relations avec la Chine. C’est pourquoi il encourage Séoul dans ce sens dans le dossier coréen.

Mais lorsqu’il sort du dossier purement coréen, il pousse au contraire cet dernier à s’opposer publiquement à la Chine qui veut remettre en question l’ordre international.
L’on ne saurait dire que Washington soit heureux de la participation coréenne à la banque chinoise.
Par contre cela réaffirmera fortement les liens entre Séoul, Tokyo et Washington avec les dangers que cela comporte d’une irritation chinoise.

Pour autant le message délivré par Washington a son utilité et deux destinataires. Moscou et Pékin sont désormais prévenus de l’implacable volonté américaine d’agir. Avec ou sans Pékin et Moscou.

La patience stratégique d’Obama envers la Corée touche à sa fin. Il était temps !

Il est un autre message, certes subliminal mais néanmoins réel.
La patience US touche également à sa fin envers Moscou et Pékin.
À ce stade de la réflexion s’ouvrent les deux problèmes qui formeront l’architectonie de ce que l’on appelle un peu trop rapidement la nouvelle gouvernance mondiale et qui n’est qu’une jolie formule pour qualifier les relations, à tout le moins, tendues entre deux puissances rivales.
En somme rien que de très classique !

Washington saura-t-il susciter intérêt et désir à Pékin pour que celui-ci accepte d’ingérer les charrois de l’ordre mondial dans sa politique étrangère.
Et surtout quelle place voudra-t-il, saura-t-il, pourra-t- il lui laisser ?
Enfin last but not least Pékin et Washington seront-ils capables de gérer pacifiquement leurs nombreux dissensus.

Ajoutons en outre que Pyongyang a allègrement violé les termes des différents accords précédents, Washington, Bush regnante, ne s’est pas toujours montré non plus d’un respect adamantin des clauses qu’il avait acceptées et suggérées lui-même.

John Kerry, à qui l’adrénaline des tréteaux de Lausanne doit sans doute manquer, multiplie à cet égard les déclarations jupitériennes. Mais il manque simplement ce qui avait renforcé la crédibilité du groupe P5+1 en Iran: un front fortement uni et soudé, une parfaite cohérence dans la construction des options offertes et une relative continuité de celles-ci. Et bien sûr un état d’avancement nucléaire en deçà du coréen.

La résolution 2270 après le test du 6 janvier est certes la plus contraignante depuis 20 ans.
Mais l’histoire est avare de succès diplomatiques obtenus la veille d’un changement présidentiel américain.

Cette résolution a pour mérite de permettre au secrétaire d’État US les effets d’estrade. Qu’on en juge. « We reaffirm our ironclad commitment to the defense of our allies, including the Republic of Korea and Japan. » 61
Le temps est venu de quitter les tréteaux et de jouer la pièce !

Cette nouvelle résolution adopte les plus fortes sanctions sur les matières premières. Leur effet risque cependant être moins conséquent que la vertigineuse chute des prix de ces dernières. Quant aux embargos de vente de matériel aérien et les interdictions liées aux moyens de transport tout dépendra in fine de la Chine.

À supposer que les sanctions de la résolution 2270 soient correctement appliquées et produisent leurs effets – la Corée vit en autarcie depuis fort longtemps et est donc moins fragile que ne l’était l’Iran – ou que de nouvelles sanctions soient votées cela prendra de toute façon du temps, beaucoup de temps.

Que les Américains se montrent trop pressants et la Chine se dérobera, que les Américains soient trop hésitants et la Corée se croira à l’abri de nouvelles bourrasques. Entre-temps Kronos déboule dans le train de l’histoire. « Dans l’époque singulière où nous vivons, le fort est faible par son hésitation et le faible est fort par son audace. » 62

Le State Department et surtout le Département du Trésor ont déjà procédé à des « secondary sanctions » contre la Commission Nationale de Défense coréenne et certains officiers et organismes coréens.
Pour autant même si la bombe est moins puissante que ce que les Coréens se vantent, sa technologie a néanmoins progressé sous Obama.

L’on ne voit pas comment l’administration américaine envisage une sortie par le haut. Il est vrai que tant Clinton que Bush n’ont laissé une situation guère favorable à Obama. En dépit de tous les efforts de l’administration Obama, force est de constater que les résultats ne sont pas au rendez-vous. Ce qui somme toute n’est guère étonnant.

En Iran les experts nucléaires étaient partagés dans leurs critiques et approbations vis-à-vis d’Obama. En Corée l’on a du mal à trouver des voix favorables à Obama.
Qu’on en juge. «Strategic patience is not working: Rather than pushing North Korea to the negotiating table, the threat posed by Pyongyang’s nuclear program is escalating,” 63
Le sentiment général résume parfaitement le problème. On est allé beaucoup moins loin qu’avec l’Iran alors que la Corée est beaucoup plus avancée.

Comment sortir de l’impasse actuelle ? Et proposer quoi ?
Croire que l’on obtiendra quoi que ce soit des Coréens sans leur offrir une quelconque proposition et dans leur cas un dédommagement relève du délire ou d’esprits embrumés ayant trop vu Docteur Folamour ou trop fréquenté les parcs d’attractions Disneyland.
Il s’agit d’une simple question de point de vue.

Nous nous permettons de rappeler aux Américains cette célèbre pensée de Talleyrand qui demeure encore à ce jour un des plus brillants ministres français des affaires étrangères : « Il pourra être cédé ce qui est d’un intérêt moindre pour obtenir ce qui est d’un intérêt supérieur.» 64
Il y a du lingot chez cet homme-là. Il parle d’or !
Reste à définir ce qui est d’un intérêt moindre et ce qui relève de l’intérêt supérieur.

« I do think the situation demands a shift in U.S. and allied strategy about talking with North Korea about its nuclear program,”. 65
“The initial impetus will be for more sticks” against North Korea. Still, it remained unclear “how to make them more than rhetorical and impose tangible costs on North Korea without feeding a cycle of outrage and risking additional symbolic escalation,” 66

Le temps presse d’autant plus à Washington que Madame Park –Geung Hye a déclaré qu’elle compte entreprendre des actions fortes « to take harsh steps of its own to change North Korea and make it give up its nuclear weapons program. » “The Kim Jong-un regime will eventually collapse if it continues to pursue nuclear weapons. 67

“It has become clear that the past ways of coping with North Korea cannot curb the country’s nuclear ambitions. It is time to seek fundamental solutions to actually change the North,”
« Rather than only depending on international sanctions, we need to use every trick in the book to address this issue for ourselves. »
“Without any actions to change the North, the country will, ultimately, deploy missiles with nuclear warheads.” 68

Les actions isolées ont certes le mérite d’exister et de montrer une volition de ne pas laisser la menace coréenne prospérer. Leur déréliction impulsive est leur faiblesse et peut paradoxalement allumer les brandons de l’incendie. Pyongyang n’osera jamais
s’attaquer à une coalition ou aux seuls USA.
Il n’est pas sûr qu’il ait une telle sagesse, retenue craintive ou stratégique, face à la seule Corée du Sud ; Washington ayant fait savoir qu’il n’admettrait pas un déclenchement des hostilités par Séoul.

Il semble que l’on soit allé le plus loin possible dans les sanctions. Au-delà non seulement ni Moscou ni Pékin ne les voteront, mais elles rapprocheront Pyongyang de Pékin.
« Regime threatening sanctions are very blunt and powerful instruments, » « They are final cards to be played before diplomacy ends and other bloodier means are employed to solve problems. It may not be wrong to let others know that such a card could be played, but it would be wise not to play it frivolously. »69

Sous la présidence Obama les américains ont donc utilisé à peu près toutes les armes raisonnablement à leur disposition. Raisonnablement car dans le contexte régional l’on voit mal les USA engager un bras de fer militaire. Les retombées seraient incommensurables.
Ils ont usé de la « strategic patience », ils n’ont rien obtenu. Ils ont commencé à se coordonner avec Tokyo et Séoul, les résultats ont été pour le moment mitigés.

A ce jeu de stop and go, entre les volte-face de la politique US, le seul résultat tangible est que les nord-coréens y ont vu un acquiescement tacite.
Vu de Pyongyang, on ne saurait les en blâmer !

Cela ne signifie point que les Américains sont incapables de trouver une solution.
Ils sont même coutumiers de ces voltes. Sir Winston écrivit ainsi avec son humour habituel : « Les Américains après avoir essayé toutes les solutions finissent toujours par prendre la bonne décision. »

Que les Américains viennent à pousser les négociations jusqu’à la conclusion d’une alliance trilatérale, l’on verra alors Pékin sortir de sa « neutralité ». Il leur reste donc à dialoguer avec Pyongyang. Que ce soit dans un dialogue direct ou par l’entremise de Pékin.

Mais cela signifie d’abord d’offrir la garantie US que le régime nord-coréen restera en place et qu’aucune pression ne sera faite en ce qui concerne les droits de l’homme. Il est tout sauf sur que le congrès que l’on a vu fort mal inspiré dans l’affaire iranienne suivre un président désormais « lame duck » .

Washington devra ensuite choisir entre deux approches contradictoires. Respecter l’intégrité de la Corée du Nord ou vouloir contribuer à la déstabilisation du régime en le minant de façon détournée et en alimentant l’économie souterraine et accélérant ainsi sa gangrène. Tertium non datur !

Mais surtout Washington doit comprendre que le moyen le plus sûr passe par Pékin. C’est Pékin qui dispose des leviers les plus efficaces. Il suffit à Pékin de fermer la ville frontalière de Dandong. Cela a un prix certes.
Washington est-il prêt à le payer ?

Pour autant Washington a aussi des arguments qui plaident en sa faveur. La théorie de Heiping jueqi (ascension pacifique) sous-tend que Pékin ne saurait se mettre à dos tous les états de la région. Or plus le danger coréen est perçu, plus il braquera les états voisins plus ils résisteront et se ligueront contre Pékin.
Pékin est-il prêt lui aussi à payer ce prix qui compromet son grand dessein?

Lors d’un symposium à Singapour, Christopher Hill sous-secrétaire d’État adjoint a parfaitement résumé la situation «There’s an increasing understanding that North Korea does not provide the kind of stable neighbor and element of the neighborhood that China likes.” 70
Que cela plaise ou non la meilleure carte- sinon la seule- dont dispose Washington consiste à cajoler Pékin.

Soyons clairs Washington ne détachera jamais Pékin de Pyongyang. Il peut par contre instiller le doute auprès de ce dernier et l’amener à davantage de souplesse si Pyongyang rencontre à Pékin un partenaire sourd, lourd et gourd.

C 3 Washington Deus ex Machina

Se jeter dans la bataille alors que Washington n’est plus le deus ex machina.

« In East Asian, the United States is not so much a balancer as an integral part of the balance… A purely military approach to the East Asian balance is likely to lead to alignements even more rigid than these that produced World War I. »71
Et Henry Kissinger de continuer son analyse. « Previous chapters have shown the precarity of the balance when the numbers of players is small and a shift of allegiance can become decisive. » 72

Peut-être plus qu’ailleurs c’est dans l’Asie que l’on assiste à un glissement de plaques tectoniques. L’effacement relatif et progressif des USA, mais à tout le moins perceptible par les Chinois, coexiste avec la montée en puissance tout aussi relative et progressive des Chinois mais en tout cas perceptible par tous les états de la région.

A ce stade de l’Histoire, le fait qu’aucun phénomène ne l’emporte, en importance sur l’autre n’est pas un facteur rassurant en soi. Bien au contraire.
Scan 3 (3)
stratégies de la puissance dominante

Rappelons brièvement la définition de ce qu’il est convenu d’appeler le proto peer competitor.

Cette notion, intellectuellement brillantissime, cible autant les capacités (peer) que les intentions (competitor)
« Les deux aspects sont en effet nécessaires et indispensables pour prétendre au statut de peer competitors. »
« Un État hostile qui manque des capacités nécessaires pour défier son adversaire autrement qu’à l’occasion d’une crise locale ou inversement, la puissance sans l’hostilité, ne conduit pas à l’émergence d’un peer competitor. L’on entend dès lors par « peer competitor » « un État ou un ensemble de challengers ayant la puissance et la motivation de confronter les États-Unis à une échelle internationale de façon soutenue et à un niveau suffisant rendant l’issue d’un conflit incertaine même si les États-Unis disposent leurs ressources de façon effective et appropriée. » 73

C 4 La problématique du système des alliances

Le Congrès de Vienne et ses alliances ou le temps béni des Dieux

Réminiscence de la guerre froide surement pas. Néanmoins l’observateur attentif pourra y trouver quelques piquantes similitudes !
Relisons avec bonheur Henry Kissinger dont la pensée visionnaire date pourtant de 1969.
« Un monde bipolaire n’a plus le sens de la nuance : le gain de l’un semble à l’autre une perte totale. Tout problème parait donc poser une question de vie ou de mort. Les pays moins importants sont déchirés entre le désir d’être protégés et celui de se soustraire à l’hégémonie des superpuissances. Ces dernières sont sans cesse tentées de maintenir leur prédominance sur leurs alliés, d’accroître leur influence chez les non-engagés et d’augmenter leur sécurité par rapport à l’adversaire. Le fait que certains de ces objectifs se révèlent souvent incompatibles aggrave encore les tensions qui s’exercent sur le système international.» 74
Il est toutefois intellectuellement stimulant de voir que tant Washington que Pékin butent et s’entrechoquent mêmement sur leurs alliés dans leur Weltanschaung.

Si la Chine n’est pas, loin s’en faut, la puissance dominante et si les USA resteront à perte de vue la puissance déterminante sur le plan militaire, son influence économique, culturelle et politique ira quant à elle diminuendo.
Par un étrange effet asymétrique, une stratégie d’alliance renforcée avec Séoul et Tokyo (outre ses nombreux dysfonctionnements consubstantiels) donc ses faiblesses ne pourra que braquer, irriter, inciter et aguerrir Pékin.

Cette « alliance strategy », à supposer qu’elle recueille l’assentiment de tous souffrira d’un déficit de puissance. “South Korea itself does not seek to balance China and is nervously hedging between Washington and Beijing.” 75

L’on rappellera à cet égard l’exquise, charmante et profondément juste formule du Maréchal Foch : «J’ai beaucoup moins d’admiration pour Napoléon depuis que j’ai commandé une coalition. »

Cette insuffisance conduira ipso facto à une sur-réponse chinoise et ce pour deux raisons : de telles alliances que nous considérons – effet asymétrique – ont pour but
-tantôt de renforcer une défense
-tantôt la volition de renverser un statu quo ou de conjurer un danger.

Elle est donc perçue comme un risque – quand bien même cela n’est pas l’intention des Américains, Coréens et Japonais de vouloir modifier l’intégrité les intentions, ou intérêts chinois.
Pékin confondant à dessein les trois ! Pour Pékin tout changement du statu quo est inadmissible. L’on citera en ce sens Henry Kissinger qui n’est pas connu pour être un sinophobe acharné.

« Dans sa conception traditionnelle, la Chine se considérait en un sens, comme l’unique gouvernement souverain du monde. » 76

S’il prenait fantaisie au lecteur- que nous espérons toujours parmi nous- de douter de cette pente naturelle des chinois nous le convions à lire, avec bonheur, la suite de la citation de Kissinger.
« (La Chine)… ayant reçu avec respect des cieux la mission de gouverner l’univers, nous considérons à la fois l’empire du Milieu (la Chine) et les pays situés à l’extérieur comme les membres d’une seule famille, sans la moindre distinction. » 77

La deuxième raison de ce déficit est que la Chine –mais en bonne application de la théorie du dilemme de la sécurité et de sa sous-composante le dilemme des alliances n’importe quel autre pays réagirait de même, sur-interprétera les dangers d’une telle alliance. « Buck passing » ou pas.

La région manquant donc d’un élément structurant, à ce stade de la réflexion peu importe lequel et l’on laissera de côté les problèmes de droits de l’homme ou de démocratie car il s’agit ni plus ni moins de l’analyse du rapport des forces, nous sommes en présence d’une situation où tous les scénarii y compris les plus chimiquement explosifs sont envisageables. Le pire n’étant pas certain mais simplement possible.

Comme nous l’avons expliqué plus haut la menace coréenne nous semble cependant- à tout le moins- surfaite et l’engin thermonucléaire semblerait n’être tout au plus qu’une bombe atomique améliorée et dopée. Il ne s’agit pas de l’ignorer mais d’en mesurer la portée réelle afin de ne pas commettre d’erreurs de calcul qui pourraient se révéler désastreuses.

La politique US se doit d’avoir deux objectifs et deux seulement dans la région.
– Protéger les intérêts US
– Maintenir la stabilité dans la région.

Il est piquant et stimulant de constater que de façon parfaitement asymétrique , les deux puissances suzeraines rencontrent les mêmes types de blocage dans la solution du problème.
A trop vouloir soutenir Pyongyang, Pékin ira à l’encontre de son grand dessein ; à trop forcer la Corée du Nord Washington offrira à Pékin son grand dessein sur un plateau.
Tertius gaudens !

Si Monsieur Obama avait en tête d’autres objectifs, nous ne pourrions que lui conseiller de les considérer tout au plus que comme des objectifs secondaires (droits de l’homme etc.) ou tactiques.

Trop de sanctions antagonisent Pékin et Washington. Pyongyang l’a parfaitement compris et en joue à merveille. Non seulement elles peuvent diminuer en efficacité, mais Washington ne doit pas oublier que Pyongyang n’est pas le danger principal. La boussole américaine doit être focalisée sur la Chine !

A cet égard la tactique visant à miner le régime par l’économie souterraine est à manier avec la plus grande précaution. Pyongyang dispose déjà de moyens de rétorsion massifs. Tokyo est à 1287 km de Pyongyang. Séoul en est séparé par 192 km.
C’est-à-dire une étape du tour de France, pour employer la célèbre formule du Général De Gaulle et à une simple portée de canon de la DMZ.

Paradoxalement les USA doivent impérativement minimiser les tensions et abaisser les lignes rouges. La menace nucléaire étant in fine le bouclier de la Corée du Nord.

Plus Washington l’instrumentalise plus il renforce Pyongyang. Au stade actuel, hélas trop tardif, le but ultime des USA est donc de dénucléariser la Corée du Nord. Mais tout amalgame est contre-productif.

Si l’on avait appliqué d’aventure la confusion des genres à Téhéran, si l’on avait voulu émasculer Téhéran de ses missiles, si des néo-conservateurs avaient réussi à montrer leurs muscles et leurs rêves relevant d’un messianisme stupide et hors de propos alors Téhéran gambaderait encore allègrement dans sa cour de récréation nucléaire.

En Iran Obama (même si des sanctions américaines unilatérales demeurent – vecteurs obligent-) a eu la sagesse de discerner le possible de la théorie. Il serait temps qu’il duplique son discours en Corée.

Avoir le droit et la morale comme alliés mais la force et une implacable agressivité comme ennemies n’est pas obligatoirement un gage de victoire. Staline n’aurait jamais rejoint le camp des démocraties si Churchill avait gardé les yeux braqués sur la dictature bolchevique !

D’ailleurs Winston Churchill, informé le 15 avril 43, que les nazis avaient découvert dans la forêt de Katyn les cadavres de plus de 8000 officiers polonais sauvagement exécutés par les soldats de la barbarie bolchevique trop heureux de complaire au criminel Staline, eût cette réponse frappée au coin du bon sens :
« S’ils sont morts, rien ne pourra les faire revenir… Nous devons vaincre Hitler et ce n’est pas le moment de provoquer des querelles ou de lancer des accusations… »
Rebus sic stantibus, il n’est pas donné à tout le monde de pouvoir éployer une telle intelligence.

Pour autant les USA ne peuvent se contenter d’hypothétiques réformes de la Corée du Nord. Plus les USA agiront tôt, plus ils auront de chances de réussir. La Corée a déjà atteint son acmé.

Washington dispose finalement de très peu d’options pour lutter contre Pyongyang et pratiquement aucune sur le plan militaire. La Corée du Nord a beau être un état famélique sur le plan économique et dont la population présente des risques de malnutrition, son armée est tout sauf une armée d’opérette.
Les chants martiaux sont l’homélie de la messe coréenne; les privations en sont ses redoutables hosties !

Maintenir la stabilité du régime nord-coréen afin de ne pas le précipiter dans un « collapse » qui ferait passer la guerre au Moyen-Orient comme une aimable plaisanterie et assurer la dénucléarisation relèverait-elle donc de l’impossible ?

Encourager l’exode des réfugiés sera également compliqué. D’abord parce que la Chine refusera de voir son territoire envahi, ensuite parce que la Corée du Sud n’a ni la générosité germanique et que le modèle de la R.F.A n’est pas transposable en Corée. Enfin parce que la Corée n’a ni les finances allemandes ni, ne l’oublions pas en ces temps de Brexit, l’Union Européenne derrière elle.

Aller plus loin dans les sanctions aura trois conséquences négatives. Elles provoqueront des réactions de panique et auront pour effet de ressouder la population nord-coréenne auprès de son leader et rapprocheront Pékin et Moscou de Pyongyang. Ce qui reconnaissons-le n’est pas le but recherché.
Enfin il semble qu’un accroissement des sanctions toucherait la population. Ce à quoi Washington et les autres capitales s’opposeraient et ce à juste titre.

L’armement nucléaire coréen n’est pas la menace principale. Il permet juste à Pékin d’avancer masqué. Pékin a beau jeu de la brandiller en deux directions opposées. Elle lui permet tantôt de passer comme le seul pouvant empêcher l’aventurisme coréen tantôt au contraire de maintenir la pression comme étant celui prêt à lâcher la bride à Kim qui serait trop content de l’exercice.

Dans le ballet, compliqué à souhait, des alliances, Washington est moins démuni qu’on pourrait le croire. En Corée, il nous semble que le système d’alliance américaine doit avoir pour but premier mais non exclusif de soutenir la dissuasion contre toute attaque nucléaire coréenne. Puis de maintenir la Chine en son pomœrium. Les alliances devraient avoir pour objectif de lui montrer les intérêts qu’elle y gagnerait et les coûts occasionnés par ses expéditions navales.

Certains experts expliquent l’attitude de Pékin et de Moscou par la peur. Si pour notre part, nous n’excluons pas totalement cette composante dans leur calculus, nous en convenons bien volontiers l’existence. Les antagonismes mêmes fantasmés et instrumentalisés à ce jour envers le Japon ne sont pas que de simples chimères.

Il s’agit donc aussi pour Washington d’émettre un message clair et fort envers Pékin. Washington ne favorisera, n’encouragera et n’autorisera en aucune manière les menées intempestives et les lubies agressives d’apprentis sorciers à Hanoi, Tokyo, Séoul ou Taipeh.
Pékin pourrait en effet y trouver motif à s’inviter à de telles réjouissances à Tokyo ou Séoul.
Par la même occasion, c’est aussi une des missions de ses alliances : contenir, assagir et enclore les ruades de ses alliés pour mieux refouler, endiguer et enserrer l’expansion chinoise et enchaîner, dompter et réprimer le cauchemar nord-coréen.

Certes nous admettons bien volontiers que cette politique contrarie et infirme celle consistant à miner l’économie coréenne. Choisir sera périlleux. Des deux maux, il nous semble cependant préférable de jouer la carte de l’endormissement des élites coréennes. Il sera difficile à Kim d’y résister et Pékin pourra malaisément intervenir si le scénario – cauchemardesque pour la Chine – de la réunification n’est pas mis en avant.

Les Etats-Unis doivent renforcer leurs alliances avec Tokyo et Séoul.
Les renforcer mais peut-être surtout s’y cantonner en gardant leur caractère bilatéral. D’abord parce qu’une alliance trilatérale ne ferait qu’irriter Pékin. A ce stade Washington doit aussi éviter de pousser Séoul à choisir entre Tokyo et Pékin.

Les relations dans la région sont si délicatement compliquées et entremêlées grâce au poids de l’histoire, lui-même produit de la géographie et pour le coup d’un vrai choc de cultures qu’il faut faire appel à Otto von Bismarck et à son traité de réassurance pour tenter de dégager une solution.

Résumons. Partons de l’idée simple mais paradoxale. L’état de relations antagonistes entre le Japon et la Cor鬬e du Sud n’a pas que des inconvénients. Nous sommes en plein concept Bismarckien, est-il nécessaire de le rappeler.

Un lourd passé, un contentieux géographique et des divergences quant au rôle de la femme dans la société les unissent et les empêchent (en tout cas jusqu’à un passé récent) de nouer une alliance formelle.
Un lourd passé les indispose et dispose de leur rapprochement. La mémoire est là pour raviver les plaies ! La rivalité, tantôt exacerbée tantôt assourdie, ne relève pas seulement des femmes de confort. Elle fait appel à des représentations autrement plus profondes car nationales.
Flaubert disait d’ailleurs : »Calomnient leur temps par ignorance de l ‘histoire »

En géopolitique, il faut savoir distinguer ce qui relève du réel et de l’instrumentalisation tels que l’orgueil ou la religion.

Le Japon a souvent été en guerre avec la Corée. Il a même été jusqu’aux portes de Pyongyang en 1590. C’est déjà la Chine qui les chassa dès lors que Hideyoshi atteignit Pyongyang.
Le Japon a été la première puissance asiatique à s’allier avec un état occidental en 1902 et battre un état occidental la même année ! Rien de tel à l’actif sud-coréen !

Mais surtout comme le souligne si brillement Henry Kissinger : « Sphère de coprospérité de la Grande Asie » « ( Le Japon)Il s’efforce de créer sa propre sphère d’influence anti-westphalienne- un bloc de pays asiatiques dirigés par le Japon et affranchis des puissances occidentales, organisé hiérarchiquement « afin de permettre à toutes les nations de trouver leur juste place dans le monde. » 78
Autant d’actions que la Corée du Sud ne peut revendiquer !

Dans cette nouvelle structure, la souveraineté d’autres états asiatiques aurait cédé la place à une forme de tutelle japonaise.

C 6 la problématique des états suzerains

L’ombre chinoise plane.

On le voit si le Japon et la Corée du Sud font face au même ennemi, la menace qu’ils redoutent n’est pas perçue avec la même acuité.
Séoul et Tokyo ne sont pas appréhendés de la même manière à Pékin. Les divergences sont même fortes. La rivalité culturelle est vigoureuse et quasi ontologique entre Tokyo et Pékin ; elle est attiédie avec Séoul.

La compétition économique entre Tokyo et Pékin est intense et frontale, Pékin pense venir plus facilement à bout de la montée en puissance de la Corée du Sud.
Les disputes territoriales avec le Japon sont violentes ; elles ne sont que mouchetées avec Séoul.
Enfin Xi-Ji Ping fit montre au sommet de Brisbane d’un superbe orgueil face à Shinzo Abe lequel a dû patienter un temps infini à Brisbane avant que Xi ne daigne lui serrer la main tandis que le leader chinois fit à moult reprises assaut de courtoisie et d’amabilité auprès de sa collègue Madame Park.
Gageons que la galanterie n’y était pas pour grand-chose !
Ce qui explique que les deux alliés de Washington n’ont ni les mêmes approches ni les mêmes intérêts face à Pékin.

Mais l’ombre chinoise a cependant un effet d’aubaine ! Elle embarrasse, inhibe, interdit et musèle tout conflit sérieux entre Tokyo et Séoul. Le parapluie américain qui les protège, les couve mais bride leur dispute permet à Séoul d’avoir à tout le moins de sérieuses divergences avec Tokyo tout en les contenant et de développer simultanément de bonnes relations avec Pékin sans que cela porte le moins du monde à conséquences quant à sa sécurité.
En outre la différence de puissance économique fait que Séoul et Tokyo ne partagent ni les mêmes craintes ni tout à fait les mêmes intérêts. Et pareillement, en tout cas en théorie, pour Tokyo qui se sait protégé par la double alliance des Usa et a donc moins à craindre de l’axe Séoul -Pékin.

Il en va de même pour Pékin dont l’émergence hypothétique et future d’un axe Tokyo- Séoul serait canalisée par Washington. Il est donc urgent pour Obama et Kerry de relire le traité de réassurance de Bismarck et de reprendre sa position de balancier qu’il a désertée.

Voilà pourquoi le temps de la trilatérale n’est pas le bienvenu. En parler soit, l’évoquer soit, mais avec précaution ; la mettre en application sûrement pas dans le contexte actuel.
Mais il est cependant exact que dans les calculs de certains officiels américains une trilatérale émonderait ou à tout le moins atténuerait les conflits entre Tokyo et Séoul.

Pour autant la Corée est ce que l’on appelle un asset pour Washington et même si la Corée du Nord est ce que l’on appelle une « buffer zone » elle fait partie de ce que l’on qualifie de « swing state ». C’est dire son importance.

Mais plus que tout les USA doivent se préoccuper avant tout de l’Asie de l’Asie du Nord-Est et pas seulement de la Corée qui n’est que la face émergée de l’iceberg. Que l’iceberg vienne à fondre et les vagues ainsi formées prépareront une tempête sans nom dans toute l’Asie. A cette aune l’onde de choc de Daesh ne serait qu’un simple clapotis de vagues.

« Don’t do it. If you liked Beirut, you’’ love » Mogadishu.78
Reconnaissons le parfois les diplomates ont des formules charmantes et poétiques à souhait !

Ce point de fixation qui est aussi l’émerillon d’affourche vers lequel convergent comme aimantés tous les intérêts, les passions, ou les peurs présente cependant en l’état actuel plusieurs avantages.
Il permet aux USA de maintenir des troupes dans la région sans qu’aucun signe massif et hostile ne se manifeste à leur encontre. La différence avec les troupes US basées à Okinawa n’est pas négligeable.
L’hydre nord-coréenne permet aussi aux différends coréens et japonais de rester cantonnés dans les limites du raisonnable.

La Corée du Sud peut également camper une posture nationaliste, prônant la réunification, oubliant ainsi ou faisant semblant de faire litière que Pyongyang n’est pas à Pankow mais surtout que Séoul ne ressemble que très peu à Bonn.
Quant à Pékin un collapse coréen signifierait un afflux massif de réfugiés et surtout de la même façon que volonté de puissance vaut puissance, menace brandie est souvent plus forte que menace exécutée.

Leo Keller

Notes

44 La Fontaine in L’Ours et le vieil homme
45 Henry Kissinger International Herald Tribune 04/06/2009
46 Propos cités par Antoine Coppolani in Richard Nixon
47 Henry Kissinger in Washington Post 13/06/2009
48 Henry Kissinger in Washington Post 08/06/2009
49 Henry Kissinger in Diane Rehm Show 1994
50 Henry Kissinger in Diane Rehm Show 1994
51 Associated Press 29/01/2016 Eric Talmadge
52 John Kerry in Associated Press 29/01/2016 Eric Talmadge
53 Washington Post 18/12/2009
54 Jonathan Pollack in Brookings Institute 27/01/2016
55 John Kerry conference de presse commune avec Wang 27/01/2016
56 Sungtae Jacky Park in Council on Foreign Relations 13/02/2016
57 Visite Kerry à Pékin le 27/01/2016
58 Jonathan Pollack in Brookings Institute 27/01/2016
59 Raymond Aron in Chroniques de la Guerre Froide 13 déc. 1950
60 The Czar of brinkmanship in Foreign Affairs 5/05/2014
61 Press Statement John Kerry Secretary of State February 6, 2016
62 Bismarck cité par Kissinger in l’ordre du monde.
63 Kelsey Davenport, director for nonproliferation policy at the Arms Control Association in Foreign Policy 6/1/2016
64 in Mémoires
65 Daryl Kimball, publisher of Arms Control Today in Foreign Policy 6/1/2016
66 Scott Snyder Council on Foreign Relations in Foreign Policy 6/1/2016
67 President Park 16/02/2016 in Korean Times
68 Park in a televised address given at the National Assembly 11/02/2016
69 Joseph de Thomas Janvier 2016 in 38 North
70 Christopher R. Hill 8/02/2016
71 Henry Kissinger in World order p 232
72 Henry Kissinger in World order
73 Tanguy Struye de Swielande cahiers du RMES volume cinq numéro un été 2008. In the emergence of peer competitors : a framework for analasys Santa Monica Rand corporation 2001 page 7 et 8
74 Henry Kissinger in Pour une nouvelle politique étrangère américaine p 64 Fayard
75 Sungtae Jacky Park in Atlantic Council Korean pivot nov 2015
76 Henry Kissinger In l’ordre du monde page 206
77 Henry Kissinger In l’ordre du monde lettre de l’empereur de Chine a Lincoln en 1863. page 211
78 Mémorandum japonais remis à Cordell Hull le 7/12/1941 P 182 in L’ordre du Monde
79 Smith Hemphstone Ambassadeur américain Interview in The Independent le 9/10/1993

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