"SE PROMENER D'UN PAS AGILE AU TEMPLE DE LA VÉRITÉ LA ROUTE EN ÉTAIT DIFFICILE" VOLTAIRE
juin 5, 2023
La force des mots ; la force de l’amour !
Erik Orsenna -tout immortel qu’il soit- vient de nous offrir un petit bijou littéraire qui lui survivra, à coup sûr et fort heureusement !
Après « la grammaire est une chanson douce » et « la révolte des accents » voici-tout droit sorties des limbes- des béatilles littéraires les unes plus plaisantes et charmantes que les autres.
L‘ancien conseiller de François Mitterrand est un amoureux de la belle langue, laquelle le lui rend d’ailleurs fort bellement.
Erik Orsenna magicien des mots !
Sous sa plume alerte, les mots virevoltent, dansent, chantent en une messe parfaite.
Nous mesurons cependant combien il faut être inconscient pour raconter ce livre. Inconscient car ce livre est tout en poésie. Lorsque Socrate, ayant fait exprès d’arriver en retard demande à Protagoras de lui résumer le mythe de Prométhée, Protagoras perd toute sa superbe.
On ne résume pas une poésie. Acceptons cependant de nous laisser submerger par une audacieuse inconscience.
Orsenna invente donc une Fabrique des Mots dans une ile imaginaire gouvernée par un dictateur de pacotille, tout engoncé dans son inénarrable bêtise. Le cadre est posé, les décors plantés, les symboles parfaitement arrimés.
Les mots descendent du paradis et sont le paradis sur terre.
Les mots sont un langage d’amour. Leur magie a permis à l’homme à son tour d’inventer le langage.
Mais avant d’être langage ils sont poésie.
Amour certes, mais ils peuvent aussi être dangers ! Tout au long de ce très court livre, Orsenna chaloupera sa plume entre ces deux phares. Orsenna joue et jongle avec un bonheur inégalé sur le sens des mots qui discernent les choses si proches et pourtant si différentes.
Que serions-nous sans les mots ?
Ils sont notre premier rempart contre la dictature de l’instant, contre le caporalisme du superficiel, contre la tyrannie de la barbarie !
D’aucuns les ont tant aimés, d’aucuns les ont tant dénaturés, et d’autres les ont tant avili en tentant de les asservir. Mais ils sont toujours là, toujours aussi vaillants, prêts à nous défendre à la première alerte, prêts à illuminer notre raison, prêts à enluminer nos âmes !
À travers un fort joli prétexte littéraire, l’auteur nous compte la vie des mots et des dictionnaires. Que le lecteur nous pardonne une digression.
Ingrid Betancourt, fier symbole de la résistance à la barbarie humaine, a pu tenir face à ses bourreaux grâce à l’aide de son plus fidèle compagnon : le dictionnaire.
Car les mots, symboles de la liberté, ne plient pas devant les autodafés. Aucun autodafé n’a réussi à vaincre les mots. Orsenna saute et gambade tel un cabri dans le mot.
Il sait comme nul autre trouver le sens du mot et en déceler le sens contraire. Mais les mots, comme la vie, sont fragiles et l’homme s’acharne, on ne sait pourquoi à les dévoyer.
Camus écrivit « Ce qui compte c’est que nos amis soient heureux et émus de ce que nous écrivons. »
À cette aune, en nous permettant de visiter sa Fabrique des Mots, Orsenna participe de notre bonheur.
Ce livre peut et doit être offert à tous. Chacun, du plus jeune au moins jeune, y butinera la fleur qu’il préfère. Le miel précieusement récolté sera-tel le nectar des dieux !
De page en page le lecteur verra un Éric Orsenna éployer les mots et les idées en une époustouflante symphonie.
Ami lecteur, laissez-vous guider, vous découvrirez les merveilles du gai savoir. Et si certains mots sont comme la caresse du zéphyr les verbes couvent la tempête de la dictature.
Le mot, triomphe de l’intelligence, est un trésor caché qui doit se mériter !
Visitez la Fabrique des Mots vous y découvrirez qu’un mot est tout uniment ouverture et fermeture, qu’ils sont nos meilleurs amis.
Ils nous protègent du vulgaire ! Et il est vrai, ô combien, que le mot nous permet de nous sentir plus grand et plus fier qu’on ne le soupçonne.
Telle la rosée diaprée qui embaume le matin, le mot précise ce qui est confus, il sépare ce qui est mélangé. Il fait naître ce qui n’existait pas.
Que l’on nous permette de citer le grand Racine.
« Oh sagesse, ta parole
Fit éclore l’univers.
Posa sur un double pôle,
La terre au milieu des mers
Tu dis et les cieux parurent,
Et tous les astres coururent
Dans leur ordre se placer.
Avant les siècles tu règnes :
Mais qui suis-je,
Que tu daignes jusqu’à moi te rabaisser ! »
La fabrique des mots nous enivre de ses saveurs. C’est un livre sensuel certes, mais il est mêmement un livre profondément intellectuel ; car à travers les mots il nous permet de découvrir le sens caché de la vie.
Éric Orsenna nous administre une formidable leçon de vie et d’optimisme.
Le mot c’est la démocratie !
Se battre pour les mots, c’est porter haut et fort le gonfalon de la démocratie.
Parce qu’il respire le beau !
Parce qu’il hait la confusion des genres !
Parce qu’il est précision et tout en élégance !
Comme la mythologie et parce qu’il est Création le mot permet à l’Homme d’accéder au divin.
Et si l’homme est croyant, le mot est ce qui lui permettra de se rapprocher au plus près du divin !
Au lecteur de choisir.
Le lecteur nous pardonnera, du moins l’espérons nous, d’avoir entremêlé nos pensées et émotions à celle d’Éric Orsenna.
Mais cette chronique est le fruit d’un hasard. Un séjour en Israël dont nous venons juste de rentrer nous a permis une manducation différente.
La magie des mots épousait la magie du pays du Mot et du Livre. Israël -berceau des trois religions monothéistes- nous a fait toucher différemment ce livre.
Magie pour magie, spiritualité pour spiritualité, religion du mot pour berceau des trois religions !
Ce livre exhale des saveurs -saveurs profondément ressenties en Israël- en admirant l’esprit qui régnait dans la contemplation du coucher du soleil dans la ville trois fois sainte.
Aurions nous lu ce livre ailleurs, nous l’aurions sans doute lu différemment et n’aurions nous pas trouvé cette parfaite congruence.
Nous ne résistons pas au plaisir de rapporter au lecteur, que nous espérons impatient de lire ce livre, deux paraboles toutes de finesse. Orsenna nous délivre, mais peut-être est ce l’ancien conseiller de Mitterrand qui refait surface, une vraie leçon de science politique.
« Il ne faut pas croire que les mots interdits se sont laissés faire. » Les mots se regroupent place de l’Indépendance. Symbole éminemment poétique et intellectuel, car l’Indépendance est le symbole des mots par excellence.
Rassemblés les mots frappent fort et juste. Ils frappent fort et juste mais ils savent se faire douceur.
Lisons -ou plutôt écoutons- Orsenna :
« Apprend Jeanne que peu de gens résistent à la vraie gentillesse. Tu sais comment le dictionnaire définit la douceur ? Une jouissance calme et délicate. »
C’est cela, et c’est d’abord cela Orsenna. Les mots et les idées s’épousent avec grâce et intelligence. Orsenna use d’une trouvaille littéraire époustouflante.
Trois cours d’eau ; Inclination, Estime, Reconnaissance coulent leur chemin dans la carte du Tendre.
–« L’inclination nous porte vers quelqu’un, peut-être vers l’amour. » « Estime c’est la bonne opinion qu’on a de quelqu’un c’est le respect de sa valeur. Et la reconnaissance c’est à la fois la découverte des qualités de l’autre et le remerciement pour les bienfaits qui en découlent.
-Et tous ces mots-là sont des mots d’amour !
-Bien sûr comment voulez-vous aimer quelqu’un vers qui vous n’avez pas envie d’aller quelqu’un que vous n’admirez pas, quelqu’un que vous n’avez pas le désir de connaître.
-Et quand on n’aime pas, on tombe dans le lac d’Indifférence » !
Il y a du La Fontaine chez Orsenna. C’est cela et c’est d’abord cela Orsenna !
Pour lui la mer c’est la passion. Paul Valéry écrivit d’ailleurs « Ce ne sont pas les vagues qui m’intéressent, ni l’écume des vagues ; les événements sont l’écume des choses. C’est la mer qui m’intéresse. »
Éric Orsenna nous fait don d’une fulgurance. Dans l’île de la Fabrique des Mots le dictateur Nécrole, après avoir banni la quasi-totalité du vocabulaire, après avoir imposé les douze mots officiels, frappe un grand coup. Il décide d’arrêter les mots d’origine étrangère.
Le clin d’œil est génial. Il est génial car il stigmatise non seulement les mots étrangers mais aussi ceux à consonance étrangère.
Au lecteur de capturer dans son épuisette la pêche qui lui semblera judicieuse et savoureuse. En sa poésie Orsenna rejoint le superbe livre de Dominique Reynié « la montée des populismes ».
Chasse aux sorcières, chasse aux préjugés, chasse à la bêtise, les mots ne pensaient pas être en état d’arrestation !
L’hallali est sonné, licence de chasse accordée !
Les mots comme, comme les individus – étrangers ou pas – se pensaient protégés ! Illusoire naïveté !
L’on rappellera au lecteur le superbe poème du Pasteur antinazi Martin Niemoeller :
« Quand ils sont venus chercher les communistes
Je n’ai rien dit.
Je n’étais pas communiste.
Quand ils sont venus chercher les syndicalistes
Je n’ai rien dit.
Je n’étais pas syndicaliste.
Quand ils sont venus chercher les juifs
Je n’ai rien dit.
Je n’étais pas juif.
Quand ils sont venus chercher les catholiques
Je n’ai rien dit.
Je n’étais pas catholique.
Et puis ils sont venus me chercher
Et il ne restait plus personne pour protester ».
« Als die nazis die kommunisten holten
Habe ich geschwiegen
Ich war ja kein Kommunist.
…..
Als sie mich holten, gab es kein mehr
Der protestieren konnte.”
Le pire est toujours possible mais la résistance toujours plus forte. C’est cela et c’est d’abord cela Éric Orsenna.
Et c’est surtout cela Éric Orsenna !
Les mots, notre dernier rempart contre l’arbitraire, notre ultime arme qui nous permet de ne rien perdre de la diversité du monde.
C’est à dessein que nous n’avons pas voulu dévoiler la figure littéraire du livre afin que le lecteur éprouve la même jubilation que nous avons éprouvée à la découverte de ce livre.
« Dans leur quête de liberté (leur) première manière de dire NON ce fut d’aimer comme jamais ceux dont on voulait nous priver. »
« D’accord c’est nous, les humains qui avons créé les mots. Mais en retour, ils n’ont pas cessé de nous inventer. Que serait l’amour sans mots d’amour. »
En guise de conclusion que le lecteur veuille bien nous pardonner une touche toute personnelle.
La lecture du livre d’Orsenna nous a ramené loin en arrière lorsque nous faisions nos humanités grecques. S’est imposé à nous ce que les Grecs appelaient le « praos » c’est-à-dire la douceur.
Et nous est revenue cette superbe pensée d’Isocrate.
« Notre cité a tant distancé les autres hommes pour la pensée et la parole que ses élèves sont devenus les maîtres des autres, qu’elle a fait employer le nom des Grecs non plus comme celui de la race, mais comme celui de la culture, et qu’on appelle Grecs plutôt les gens qui participent à notre éducation que ceux qui ont la même origine que nous. »
Merci Monsieur Orsenna de m’avoir permis de me souvenir.
Leo Keller
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Une réponse
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