"SE PROMENER D'UN PAS AGILE AU TEMPLE DE LA VÉRITÉ LA ROUTE EN ÉTAIT DIFFICILE" VOLTAIRE
mars 22, 2023
Dans la ligne des engagements de son Président, qui appelait dans ses deux derniers discours sur l’état de l’Union à recourir aux« clauses passerelles », qualifiées de « trésor perdu du Traité de Lisbonne », la Commission européenne a récemment invité les chefs d’État et de gouvernement à passer au vote à la majorité qualifiée en matière fiscale. Cette initiative peut être perçue avec scepticisme : l’état actuel des dissensions des capitales dans ce domaine régit par l’unanimité se conjugue avec le terme proche de la législature, qui ne semble pas de nature à imposer un sujet moins prioritaire que le « Brexit » ou la politique migratoire. Toutefois, la nette mobilisation des citoyens européens sur les enjeux fiscaux, touchant tant à la performance économique qu’à la justice sociale dans un contexte international marqué par une vive concurrence des États, invite à se demander si le projet porté par la Commission ne doit pas être considéré pour ses mérites propres et s’il n’a pas vocation à être soutenu pour s’imposer dans le débat des élections européennes.
Dans cette perspective, cette note rappelle brièvement le contexte et les contours du projet (1.), le bien-fondé de ses objectifs (2.) et les raisons pour lesquelles il est utile d’en débattre et de le soutenir prochainement (3.).
1.1 Prolonger les récentes avancées européennes
Soucieuse de promouvoir un fonctionnement plus agile et plus efficace de l’Union européenne, la Commission a publié le 15 janvier dernier une communication invitant les dirigeants européens à faire usage des « clauses passerelles » en matière fiscale. Cette volonté s’exprime alors que l’exécutif européen aura fait voter, depuis 2014, pas moins de 14 directives visant principalement à lutter contre la fraude et l’évasion fiscale.
Certes, cette action inédite des institutions européennes dérivait en grande partie des engagements pris par l’Union et ses États dans le cadre du projet « BEPS » porté par l’OCDE1 tout en répondant au besoin pressant des capitales de s’assurer un surplus de recettes fiscales dans un contexte de crise. Néanmoins, elle doit être saluée comme une inflexion politique importante, qui est explicitement attendue par les opinions publiques2 et particulièrement relayée par le Parlement européen, qui s’est sensiblement mobilisé sur ces questions au cours de la législature3.
Fondamentalement, le souhait de la Commission de passer à la majorité qualifiée apparait comme un levier d’adaptation au nouvel environnement économique et comme un moyen de donner corps aux engagements politiques de l’UE et de ses États. D’un côté, le contexte de très vive concurrence fiscale internationale, l’avènement du numérique, la criminalité transfrontalière et les nouvelles habitudes des consommateurs imposent des décisions fiscales plus réactives. De l’autre, les objectifs de l’UE en matière de changement climatique, de croissance durable et d’emploi impliquent également une adaptation de la fiscalité. Ce sont précisément ces raisons qui ont récemment légitimé les deux propositions de réforme visant l’harmonisation et la consolidation des assiettes d’impôt sur les sociétés (ACCIS) et la taxation des grandes entreprises numériques débattues actuellement avec un succès très mitigé4.
1.2 Organiser progressivement la convergence des États
Le Traité de Lisbonne prévoit deux types de « clauses passerelles » permettant de basculer d’un vote à l’unanimité à une décision à la majorité qualifiée5. Les deux auraient vocation à être utilisées en matière fiscale.
ENCADRÉ 1 ? Les « clauses passerelles »
• La « clause passerelle générale », régie à l’article 48(7) TUE, offre la possibilité de recourir à un vote à la majorité qualifiée lorsque les Traités prévoient normalement un vote à l’unanimité (endéans la procédure législative spéciale ou PLS) ou de passer de la PLS à la procédure législative ordinaire (PLO). Son activation nécessite un vote unanime du Conseil européen, qui délimite le champ de la
nouvelle procédure de vote, après que celui-ci se soit assuré de l’absence d’objection des Parlements nationaux endéans six mois et de l’approbation du Parlement européen.
• La « clause passerelle spécifique », régie à l’article 192(2) TUE, s’applique aux politiques environnementales incluant des dispositions fiscales. Son activation nécessite un vote unanime du Conseil de l’UE à la suite d’une proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, du Comité des Régions et du Comité économique et social. Elle est envisagée en particulier pour améliorer les politiques environnementales et de lutte contre le changement climatique, dans l’étape 2 prévue.
Sur ces bases, la Commission prévoit quatre étapes de convergence des intérêts des États dans le domaine fiscal d’ici à 2025, suivant le degré de complexité des sujets.
La première étape ne concernerait ni les pouvoirs, ni les bases, ni les taux des États membres.
Elle promouvrait la coopération et l’entraide des capitales sur des mesures de lutte contre la fraude, l’évasion et l’optimisation fiscale, ainsi que sur la facilitation du respect des obligations des entreprises. La volonté de la Commission est de favoriser des décisions consensuelles tant au sein des institutions européennes que lorsque l’UE défend ses intérêts dans des cénacles internationaux
tel que l’OCDE.
La deuxième étape viserait à mettre la fiscalité européenne au service des grandes politiques publiques de l’Union, en particulier dans les domaines de l’environnement et du climat. Ce sont sur ces deux étapes qu’un passage à la PLO est prévu.
Les troisième et quatrième étapes seraient plus ardues au plan politique : en conséquence, le Conseil européen ne serait qu’invité à « considérer (à leur endroit) l’usage de la clause passerelle générale d’ici à la fin de 2025 ». L’étape 3 viserait les domaines où la fiscalité est déjà harmonisée mais où le consensus des États demeure très difficile : tel est particulièrement le cas du régime de TVA, qui fait l’objet d’une réforme déposée début 2018, et des droits d’accises. Au cours de l’étape 4 seraient abordés les sujets les plus contentieux, l’harmonisation et la consolidation des assiettes d’impôts sur les sociétés (ACCIS) et la taxation du secteur du numérique.
Il est important de souligner que le passage à la majorité qualifiée envisagé ne modifierait pas la répartition des compétences en matière fiscale entre l’UE et les États membres : ce domaine resterait une « compétence partagée ». De même, l’initiative ne concernerait aucunement les taux, par le biais desquels s’exerce une grande partie de la vive concurrence fiscale interne à l’UE. À ce double titre, la souveraineté des États, qui est spontanément opposée au projet de la Commission par plusieurs d’entre eux, est bien formellement respectée.
Par ailleurs, le recours aux « clauses passerelles » serait triplement démocratique : il a été explicitement prévu par le Traité de Lisbonne, ratifié unanimement par les États ; il nécessiterait l’unanimité du Conseil européen ou du Conseil ; enfin, il serait sujet aux approbations des Parlements nationaux et européens.
Ceci est sans compter la légitimité démocratique accrue qu’octroierait le Parlement européen aux décisions fiscales dans le cadre de la PLO.
2 ? L’initiative de l’exécutif européen répond à des enjeux d’intérêt général et permet de réduire les coûts liés à l’unanimité
2.1 Répondre à des enjeux économiques, politiques et de justice fiscale
La perspective d’un passage à la majorité qualifiée en matière fiscale se justifie, selon la Commission, à plusieurs titres :
• il s’agit, en premier lieu, d’approfondir le marché intérieur. En effet, une fiscalité trop diverse, telle qu’on l’observe actuellement en Europe, comporte des coûts non négligeables pour les entreprises et obère le commerce et les investissements transfrontaliers. Dès lors, faire converger ou harmoniser les fiscalités nationales rendrait le marché unique plus dynamique et attractif ;
• la fiscalité peut également être mise au service des grandes politiques publiques européennes, de l’Union monétaire au cadre énergie-climat à horizon 2030. À moyen terme, c’est la politique environnementale de l’UE qui serait susceptible de bénéficier le plus de l’initiative, car celle-ci poursuit à certains égards des objectifs contradictoires6 ;
• l’initiative de la Commission est aussi, paradoxalement, de nature à renforcer les souverainetés nationales. En effet, la pratique des rescrits fiscaux restreint la liberté de choix des États, et leurs recettes, tandis qu’une plus grande coopération est de nature à les renforcer toutes deux ;
• surtout, un changement du système de vote permettra d’aboutir à des fiscalités plus justes. En effet, la dynamique actuelle de réduction des impôts des grandes entreprises (via les rescrits fiscaux) aboutit à une sur-taxation relative des petites entreprises, des emplois, ou des consommateurs ;
• enfin, impliquer le Parlement européen sur les sujets fiscaux dans le cadre de la procédure législative ordinaire est de nature à rendre la prise de décision plus démocratique, car le Parlement a pleinement, dans cette configuration, son mot à dire sur le contenu des textes.
On peut ajouter à ces raisons qu’une décision facilitée en matière fiscale est de nature à voir les États membres s’accorder sur de nouvelles taxes communes emblématiques au niveau de l’UE, faisant office de nouvelles ressources propres abondant le budget communautaire, comme cela a été envisagé par la Commission dans le prochain cadre financier pluriannuel 2021-2027 avec la taxation des sacs plastiques. A minima, des reversements de surplus de recettes fiscales nationales ainsi dégagées pourraient être envisagés aux mêmes fins, bien que cette mécanique ait l’inconvénient d’être moins intelligible aux plans politique et civil.
Le retrait britannique serait de nature à favoriser l’une ou l’autre de ces perspectives.
2.2 Réduire les inconvénients politiques et les coûts économiques de l’unanimité
Le système de l’unanimité comporte plusieurs inconvénients politiques. Il rend d’abord la conclusion de compromis très difficile : soit les dossiers n’aboutissent pas, comme on l’observa avec le projet de directive sur la fiscalité énergétique, proposé en 2011 et retiré en 2015 (l’unanimité est alors « autobloquante ») ; soit ils mettent un temps considérable à aboutir, comme on l’a vu avec la directive sur les intérêts d’épargne, qui mit finalement 25 ans à être adoptée en 2015).
De plus, l’unanimité peut conduire à vider les réformes de leur substance, comme on le voit actuellement avec les projets ACIS ou de fiscalité du numérique. Enfin, l’unanimité se prête à des « marchandages » politiques très
regrettables, comme on l’a observé dans le cas de la réforme du régime d’auto-liquidation généralisée de TVA7. Dans de nombreux cas de figure, un conservatisme certain des États, dont la fiscalité est l’un des derniers leviers quasi-autonomes de politique économique, s’exprime.
Certes, la majorité qualifiée n’est pas en elle-même de nature à débloquer des dossiers complexes : avec ce mode de décision, le double projet d’assiette commune consolidée d’impôt sur les sociétés (ACCIS) serait, par exemple, sans doute encore sujet à des désaccords entre les États, alors que le projet de fiscalité sur le numérique serait sans doute susceptible d’être adopté. De même, on peut opposer à ce système de vote qu’il n’exclut pas des contentieux postérieurs à l’approbation de certains textes, comme on le vit avec le plan de relocalisation des réfugiés proposé en 20158.
Toutefois, la majorité qualifiée pousse à la négociation et au compromis de façon endogène, à la fois parce que le système de vote en lui-même y invite et parce qu’il est politiquement plus difficile de s’opposer dans ce cadre que dans celui de l’unanimité. A contrario, l’unanimité est un système qui favorise le conservatisme et nourrit le défaitisme. Au plan économique, l’absence « d’Europe fiscale» est particulièrement coûteuse pour les finances publiques des États et de l’Union européenne ainsi que pour la performance économique générale.
D’après la Commission, la seule fraude à la TVA représenterait quelque 50 milliards d’euros de manque à gagner par an pour les États membres, tandis que les recettes fiscales non perçues dues à l’évasion ou à l’optimisation fiscale sur cette taxe indirecte représenterait 147 milliards d’euros supplémentaires sur une base annuelle. Récemment,
l’absence d’accord sur le projet de taxe sur les entreprises du numérique représenterait un manque à gagner de 5 milliards d’euros de recettes par an. Au total, d’après une étude du groupe S&D au Parlement européen, le « manque à gagner » fiscal total dans l’Union serait de 825 milliards d’euros sur la base des données 2015.9.
3 ? Les enjeux et le mode de décision en matière fiscale doivent s’imposer dans la campagne des élections européennes
3.1 Susciter un débat pour faire aboutir l’initiative
La probabilité de voir le Conseil européen déclencher les « clauses passerelles » ce printemps semble très incertaine, malgré un soutien franco-allemand officiel10. D’une part, les divergences de vues des ministres des Finances, telle qu’elles se sont exprimées à l’Ecofin du 12 février dernier, ne permettent guère d’imaginer leur consensus11. La perspective concomitante de voir la discussion repoussée au Conseil Ecofin informel d’avril n’est pas plus engageante12. Par ailleurs, certains désaccords au sein du Parlement européen s’expriment, notamment au sein des groupes PPE et ALDE, et ne garantissent pas un soutien unanime des élus lors du prochain vote sur ce sujet au sein de la Commission spéciale TAX3, prévu le 27 février prochain13.
La Commission est consciente de cette conjoncture délicate : son ambition, assumée, semble au contraire d’imposer cet enjeu dans le cadre des élections européennes de mai 2019 afin de contraindre les chefs d’État à s’en saisir tôt ou tard.
Cette perspective doit être favorisée, pour au moins deux raisons.
La première a trait à la conception même de l’initiative. Certes, reléguer à l’horizon 2025 le traitement de dossiers actuellement en cours de négociation sonne comme un significatif aveu d’échec de la Commission à les faire aboutir. De même, il est possible d’objecter que la première des étapes prévues, autant politique que technique, relative à la lutte contre l’optimisation fiscale, sera en elle-même très difficile à faire avaliser en raison des avantages que tirent notoirement certains États à exploiter des failles du système fiscal international et européen. Toutefois, le séquençage envisagé, prévoyant de construire d’abord un consensus sur les sujets qui répondent le plus aux attentes des citoyens et à l’intérêt général de l’Union, est habile. Il est de nature à maintenir la pression sur plusieurs États peu coopératifs et à susciter progressivement un climat de coopération.
La seconde concerne l’extension légitime et naturelle de la majorité qualifiée. Il n’est en effet pas normal que le champ des politiques régies par ce mode de décision, qui a été considérablement élargi au fil des Traités, y compris à des sujets sensibles comme la coopération judiciaire et policière, bute encore sur la fiscalité. Surtout, opérer une bascule du système de vote démontrerait l’agilité de la prise de décision européenne, tant au plan interne qu’international, répondant ainsi à des critiques pointant tout à la fois le fonctionnement complexe et peu démocratique de l’Union et l’orientation, souvent jugée trop disparate, de ses priorités. La fiscalité apparaitrait ainsi comme un domaine où l’action européenne démontre une valeur ajoutée nette, à l’instar d’autres politiques identifiées ces dernières années par les chefs d’État et de gouvernement comme prioritaires (migration, défense, notamment).
3.2 Fiscalité, économie et diplomatie : des enjeux complémentaires
La nécessité d’avaliser l’initiative de la Commission se justifie également au regard de deux enjeux économiques et diplomatiques.
D’une part, la réforme fiscale envisagée est bien de nature, en approfondissant le marché intérieur, à renforcer le potentiel de croissance de l’Union, qui demeure relativement faible. Par ailleurs, une fiscalité harmonisée peut favoriser une plus grande mobilité du capital et ainsi une meilleure répartition des risques financiers en zone euro.
Ainsi, le passage à la majorité qualifiée en matière fiscale peut autant servir la croissance économique de moyen-long terme que contribuer à renforcer la zone euro. On peut également arguer que les avancées récentes en matière de réforme de la zone euro sont de nature à convaincre, certes très progressivement, plusieurs États membres de revoir certaines de leurs politiques fiscales s’ils sont amenés à bénéficier d’une plus grande solidarité financière propre à l’union monétaire.
D’autre part, l’initiative de la Commission peut conforter l’autonomie stratégique de l’Union européenne. Le contexte actuel de vive concurrence fiscale, ravivé par la réforme américaine promue par le Président Trump, appelle en effet une réponse européenne coordonnée qui puisse efficacement en pallier les effets négatifs. Par la même, les États membres et l’Union pourront dégager des marges de manœuvre budgétaires appréciables pour soutenir des politiques publiques importantes à long terme (éducation, santé, environnement-climat) alors que leurs ressources se tarissent. Une action européenne commune peut également être décisive pour promouvoir des standards fiscaux de qualité au plan international, que cela soit dans le cadre de l’OCDE ou dans celui de futurs accords commerciaux14.
Conclusion
Le souhait de la Commission européenne de voir les décisions fiscales soumises à la majorité qualifiée vise divers objectifs aussi utiles au plan économique qu’ils sont de nature à répondre à plusieurs critiques émises à l’encontre de l’Union européenne. Cette idée doit être soutenue pour ses mérites propres dans la perspective des élections européennes de mai et au fil des différentes échéances politiques préalables. Si toutefois les Vingt-Sept ne souhaitaient pas avaliser le recours aux « clauses passerelles » dans un avenir proche, compte tenu des divergences encore récemment exprimées à ce sujet par les ministres des Finances, la communication publique des positions respectives des États en matière fiscale au plus haut niveau serait, a minima, utile pour mettre à jour les « stratégies non coopératives » poursuivies par plusieurs d’entre eux.
De même, la mobilisation politique autour de cet enjeu pourrait éclairer l’audition du futur commissaire à la fiscalité et l’action du prochain exécutif, au cours de la législature 2019-2024.
Olivier Marty
Notes
1. Le cadre BEPS (« Base erosion and profit shifting ») est un corpus de réformes fiscales mis en œuvre, à des degrés divers, par une centaine de pays membres de, et associés à, l’OCDE afin de lutter contre l’optimisation fiscale. BEPS est une inflexion majeure dans la coordination fiscale ces dernières années.
2. Selon un Eurobaromètre de mi-2016, 74% des citoyens de l’UE désirent en effet une action plus résolue au niveau européen « en matière de lutte contre la fraude et l’évasion fiscale ».
3. Le Parlement européen aura en effet, en réaction aux multiples scandales fiscaux de ces dernières années, créé trois commissions spéciales et une commission d’enquête chargées de faire la lumière sur les pratiques fiscales en cause. Il ainsi a pu exercer une pression politique significative sur la Commission et le Conseil, comme par exemple lorsqu’il demanda l’établissement d’une « liste
noire des paradis fiscaux », finalement publiée en 2017. L’implication manifeste des élus européens et leur plus grande compétence sur les enjeux fiscaux, augure d’un travail parlementaire efficace à l’avenir et légitimerait la création, envisagée, d’une Commission permanente sur la fiscalité au sein du Parlement.
4. Dans les deux cas, des objections de certains États se sont en effet plus ou moins nettement exprimées et les textes semblent avoir été vidés de leurs substances. Le projet ACIS relancé en 2016, par exemple, fait à ce jour toujours l’objet de discussions des États à propos de ses effets techniques, tandis que les trois éléments nouveaux par rapport à la réforme proposée en 2011 ont été mis de côté par le Conseil. Pour sa part, le projet de taxation des entreprises du numérique a vu son champ d’application sensiblement réduit pour n’inclure que les prestations de services de publicité. Il est, plus encore que le premier, sujet à des désaccords explicites de plusieurs États (Irlande, Finlande, Suède, Danemark).
5. Deux autres dispositions du Traité pourraient permettre de contourner la règle de l’unanimité : l’article 116 TFUE prévoit un vote à la majorité qualifiée dans le cadre de la procédure législative ordinaire afin « d’éliminer des distorsions de concurrence dues à des disparités dans les dispositions législatives ou règlementaires des États membres » ; l’article 20 TUE (et les articles 326 à 334 TFUE)
prévoient les coopérations renforcées entre États. Toutefois, ces deux dispositions posent une série
de problèmes techniques et politiques ne permettant pas à la Commission de les envisager en matière fiscale à ce stade.
6. Citons à titre d’exemple la volonté de l’UE d’encourager le report modal des passagers de l’aviation vers le rail, alors que le kérosène utilisé sur les vols internationaux est taxé à 0% en vertu de la Convention de Chicago. Ainsi, on peut même imaginer d’utiliser la clause passerelle en guise de test sur la fiscalité du kérosène utilisé lors de vols intra-UE, si toutefois l’étape 1 envisagée par la
Commission n’était pas avalisée prochainement.
7. Ce dossier a été pris en otage par la République tchèque, qui souhaitait obtenir une dérogation au régime d’auto-liquidation généralisée envisagé en échange de son vote en faveur de la réforme de la TVA applicable aux livres et journaux électroniques. Les deux dossiers ont finalement été adoptés en 2017 et 2018.
8. Le mécanisme de relocalisation, approuvé par le Conseil en juillet 2015 contre le gré de la Slovaquie, de la Hongrie, de la Roumanie, et de la République tchèque, a en effet fait l’objet d’un recours de la Hongrie, de la Slovaquie, et de la Pologne devant la Cour de Justice de l’UE. Bien que la Cour ait donné tort à ces pays en validant la légalité du mécanisme, celui-ci demeure très contesté, et de facto non appliqué, par la Hongrie, la Pologne et la République tchèque. Voir Koenig, N. (2018), op cit, p. 7.
9. Voir le « Fair Tax Report », réalisé par le professeur d’économie Murphy, de l’Université de Londres.
10. Les ministres français et allemand des Finances sont en effet favorables à l’initiative et ont publié un communiqué conjoint pour l’exprimer.
11. Au cours de ce Conseil Ecofin, en effet, les États favorables, à des degrés divers, au passage à la majorité qualifiée (France, Espagne, Allemagne, Grèce, Belgique, Portugal, Finlande, Danemark, Autriche) se seraient opposés à ceux qui mettent en avant l’argument usuel de la souveraineté ou les vertus de la concurrence fiscale. Quinze États, en particulier d’Europe centrale mais aussi l’Irlande, le Luxembourg, Malte, Chypre, et les Pays-Bas, seraient ainsi nettement opposés à l’initiative, selon Agence Europe.
12. On relèvera toutefois qu’un Conseil Ecofin informel est plus propice à des discussions libres sur des enjeux de long terme.
13. La Commission TAX 3 est en effet amenée à voter, le 27 février prochain, sur le Rapport d’initiative des députés Kofod (S&D) et Niedermayer (PPE), par le biais duquel une position sera prise sur l’initiative de la Commission. La plénière prévue fin mars débattra également de ce sujet.
14. Certains économistes, tel Thomas Piketty, préconisent ainsi de ne conclure de nouveaux accords commerciaux que s’ils incluent des standards fiscaux de haut niveau. Cet enjeu pourrait être posé lors des négociations sur la relation future entre le Royaume-Uni et l’UE.
Par Olivier Marty
Ancien élève de Sciences Po Paris, de l’Institut européen de la London School of Economics et de l’Université Paris-Dauphine, Olivier Marty est enseignant-chercheur en Questions européennes à SciencesPo, HEC et l’Ecole normale supérieure de la rue d’Ulm. Auparavant, il a exercé dans le secteur financier, comme économiste à la Société Générale et à la Banque de développement du Conseil de l’Europe (CEB), notamment.
Il est le co-auteur de trois ouvrages dont récemment (avec Nicolas Dorgeret) « Connaitre et comprendre l’Union européenne : 35 fiches sur les institutions européennes » (préfacé par Jean-Dominique Giuliani), Ellipses, 2018.
Nous remercions l’Institut Jacques Delors et les Echos pour leur aimable autorisation de publier ces deux articles
https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/quatre-priorites-pour-relancer-lindustrie-europeenne-1006482
Quatre priorités pour relancer l’industrie européenne
Par Damien Ientile et Olivier Marty
Plusieurs événements récents, du drame Alstom–Siemens au feuilleton Renault–Nissan, confirment la politisation croissante des enjeux industriels dans le monde, y compris en Europe. La montée surprise de l’État néerlandais capital d’Air France–KLM ou la réponse à adopter face à la Chine montrent aussi que l’énergie ainsi déployée peut diviser les Européens. Comment, au contraire, la canaliser pour soutenir l’industrie de notre continent et en faire une action plus consensuelle de lutte contre l’euroscepticisme ?
Le renforcement des dispositifs européens de financement et de soutien à l’investissement constitue la première piste. Bâtissant sur le succès du « plan Juncker », la Banque européenne d’investissement (BEI) devrait poursuivre son appui direct aux entreprises qui investissent dans les domaines où l’Europe a du retard, à l’instar de son soutien récent à Fnac Darty pour sa transformation digitale.
Le financement des technologies de pointe et des infrastructures, de l’intelligence artificielle aux réseaux télécoms, doit également être amplifié. Dans le même registre, le futur budget de la zone euro et le cadre financier 2021–2027 seront prochainement l’occasion d’accentuer des efforts européens en soutirant en soutien à la R&D. Enfin, la création d’un dispositif européen de crédit- export pourrait être étudiée, voir confiée à la BEI.
La protection systématique du patrimoine industriel devrait être un second volet. Cela s’appuierait sur les schémas fonctionnels dans plusieurs Etats et développerait les moyens européens existants. L’utilisation effective du dispositif européen de protection contre les investissements étrangers hostiles, de même que des mesures rendant nos marchés publics moins accessibles à des groupes étrangers, seraient un premier pas.
La mobilisation d’investisseurs publics expérimentés, tel BPI France, en soutien au capital de champions nationaux, en serait un autre, éventuellement relayé par des moyens européens. Enfin, l’Union doit mener une réflexion très approfondie sur les moyens de répondre à l’extraterritorialité des législations étrangères : ceci passe par la montée en puissance du dispositif de troc Instex se le renforcement substantiel de la loi de blocage.
Le financement des technologies de pointe et des infrastructures doit être amplifié
La modernisation de la politique de la concurrence pourrait être un troisième axe. Le cas Alstom–Siemens, comme d’autres avant lui, l’a montré : l’arbitrage entre le maintien d’une concurrence effective et nécessaire au sein du marché unique et l’émergence de champions européens affrontant plus vite, et partout de nouveaux géants mondiaux, est de plus en plus délicat et incompris.
Cette situation devrait conduire non à une remise en cause des fondements de la politique de la concurrence, mais plutôt à un ajustement des méthodes et critères d’évaluation pour s’assurer que l’émergence de champions européens n’est pas indûment freinée. Vis-à-vis de l’extérieur, le contrôle des positions dominantes, dans le secteur numérique notamment, doit être maintenu, et les mesures antidumping renforcées.
En quatrième lieu, d’autres volets connexes en soutien à l’industrie européenne pourraient être étudiés. L’effet des réglementations, environnementales notamment, pourraient être systématiquement évalué, par exemple dans le secteur de la mobilité. En matière de gouvernance des entreprises, les meilleures pratiques observées à l’échelle européenne pourraient faire l’objet d’un dialogue étroit entre états membres, par exemple en matière d’association des parties prenantes. L’approfondissement du marché unique, dans les domaines de l’énergie, du digital et des services financiers, est également nécessaire. Enfin le développement du capital humain dans les domaines peinant à recruter doit faire l’objet de mesures résolues.
Damien Ientile
Olivier Marty
Olivier Marty est ancien élève de Sciences Po Paris, de l’Institut européen de la London School of Economics et de l’Université Paris-Dauphine, Olivier Marty est enseignant-chercheur en Questions européennes à SciencesPo, HEC et l’Ecole normale supérieure de la rue d’Ulm. Auparavant, il a exercé dans le secteur financier, comme économiste à la Société Générale et à la Banque de développement du Conseil de l’Europe (CEB), notamment.
Il est le co-auteur de trois ouvrages dont récemment (avec Nicolas Dorgeret) « Connaitre et comprendre l’Union européenne : 35 fiches sur les institutions européennes » (préfacé par Jean-Dominique Giuliani), Ellipses, 2018.
Damien Ientile est ancien élève de l’Ecole normale supérieure de la rue d’Ulm. Diplômé du Master « Analyse et politique économiques » de l’Ecole d’Economie de Paris. Diplômé du Master « Affaires publiques » de Sciences Po Paris. Ancien Procter Fellow à l’Université de Princeton (Etats-Unis). Ancien élève de l’Ecole nationale d’administration.( Major de la promotion « Marie Curie »
Damien Ientile travaille aujourd’hui chez Société Générale
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