"SE PROMENER D'UN PAS AGILE AU TEMPLE DE LA VÉRITÉ LA ROUTE EN ÉTAIT DIFFICILE" VOLTAIRE

mars 22, 2023

eugène berg 1
Il y a soixante ans, Washington décrétait un embargo commercial à l’égard de Cuba… toujours en vigueur. Par Eugène Berg Ambassadeur

Il y a soixante ans, Washington décrétait un embargo commercial à l’égard de Cuba… toujours en vigueur. Par Monsieur l’Ambassadeur Eugène Berg

Durant les années 1961 – 1962 l’ Assemblée générale des Nations -Unies refusa de se saisir de la question cubaine au fond. En juin 1960, lorsque les raffineries anglo-saxonnes ( Standard Oil, Texaco, Shell) refusèrent de traiter le brut soviétique importé en vertu du traité commercial signé quelques mois auparavant, le gouvernement cubain les saisit, le 1er juillet, moyennant quoi les Etats-Unis supprimèrent les importations de sucre cubain et décrètent, le 20 octobre l’ embargo sur toutes les exportations à destination de l’île, à l’exception de quelques produits pharmaceutiques. 1

John Kennedy , en pleine campagne électorale déclare que les Etats-Unis devront aider au renversement de Fidel Castro. De son côté le 9 juillet , Nikita Khrouchtchev avait déclaré, fut-il entendu que « l’URSS pourrait être amenée à envoyer des fusées sur le territoire américain en cas d’intervention américaine contre Cuba », une posture bien imprudente, au vu du rapport des forces nucléaires entre les deux Grands, mais qui illustre bien l’ »aventurisme « du leader soviétique comme le démontrera la crise des missiles d’octobre 1962.
Le 2 septembre 1960, Fidel Castro prend la parole à La Havane devant un million de Cubains . Une foule qu’il qualifie « d’assemblée générale » puisqu’il lui refuse des élections. Il tient le micro quatre heures. « Nous proclamons à la face du continent américain le droit des paysans sur la terre, le droit de nationaliser les monopoles, le droit d’armer le peuple pour défendre ses droits et sa destinée. .La foule l’acclame : « Cuba si, Yankis, no ! Cuba si, Yankis, no !’ », un rythme qui se prête parfaitement à la danse.

En tout cas après Berlin, l’île au sucre est devenu dès les premiers mois de la révolution cubaine un des points de fixation des relations Est- Ouest, comme il deviendra très vite un enjeu du conflit sino -soviétique, comme développera K.S. Karol.2
L’URSS s’empressa d’offrir son marché et c’est ainsi que Cuba commença à orienter son économie vers l’Est. Cette dissidence à l’intérieur du système panaméricain posait un gros problème aux Etats -Unis.

L’exemple de la révolution cubaine suscita bien des émules. Au Venezuela, classé, en 1950, au 4e rang mondial pour son PIB par habitant, derrière les États-Unis, la Suisse et la Nouvelle-Zélande la démocratie commença à s’installer à partir de 1958. En 1959, un président réformiste Romulo Betancourt fut porté au pouvoir, mais l’aile gauche de son mouvement l’accusant de collusion avec l’impérialisme américain forma le Movimiento de Izquierda Revolucianaria ( MIR) De connivence ave le Parti communiste resté interdit et les castristes lancèrent une révolte armée qui finit par être défaite en 1967.
Le 3 janvier 1961, seize jours avant l’entrée en fonction de John Kennedy, Washington rompt ses relations diplomatiques avec La Havane .

Déterminé à venir à bout de Castro, convaincu peut -être des chances de l’opération, le nouveau président donne son feu vert , le 17 avril 1961, jour anniversaire de Khrouchtchev ( quelle faute de goût !) au débarquement d’une brigade d’anti castristes aidée par la CIA, dans la baie des Cochons, au sud de La Havane.
Toute l’opération était digne des pieds nickelés.

En mars, lorsqu’il fut convoqué au Pentagone pour une réunion avec le chef d’ état major, le chef de l’Air Force, Curtis Le May ,3  ne savait absolument rien de cette opération tramée par des civils , et tous les yeux se tournèrent vers lui lorsqu’on lui demanda lequel des trois sites présélectionnés paraissaient les plus appropriés pour un atterrissage. Il rétorqua qu’il lui manquait des éléments pour donner son avis, et lorsqu’on lui annonça le nombre d’hommes prévus pour le débarquement, il en fut interloqué, estimant que ceci était bien insuffisant pour assurer le succès.
On lui coupa la parole sèchement- Cela ne vous concerne pas ! Le 16 avril, il en apprit plus, mais confirma que sans couverture aérienne cette tentative d’invasion de l’île n’avait aucune chance de succès. Mais conformément à l’ordre de John Kennedy, le secrétaire d’ Etat, Dean Rusk, annula cette couverture aérienne.
Seuls six avions repeints aux couleurs cubaines, pour faire croire qu’ils étaient pilotés par des rebelles cubains assurèrent une maigre couverture.
Ce qui devait arriver, arriva : l’expédition tourna au fiasco le 19 avril lorsque les 1400 exilés cubains de la brigade 2506 entraînés au Guatemala et transportés par la CIA furent décimés ou faits prisonniers en trois jours par les forces castristes plus nombreuse et mieux équipées. Leur maîtrise de l’air rendit la piste aérienne de Giron inutilisable ; pis encore, le cargo Rio -Escondido qui transportait les caisses de munition, le matériel de communication et le ravitaillement alimentaire, fut coulé dès le premier jour ! Les assaillants furent réduits à néant grâce notamment aux batteries anti aériennes fournies par les Soviétiques .
John Kennedy fut profondément affecté par cet échec, qui endommagea ses relations avec l’état major de l’armée. Les militaires de carrière vécurent mal le fait que Mac Namara , qui fut le plus jeune président de Ford, avait emmené avec lui au Pentagone, toute une pléiade de conseillers civils, qu’ils dénommèrent les intellectuels, créant l’ expression dépréciatif de « Whiz Kids »4  .Il remplaça peu après , le 20 novembre 1960, Allen Dulles, à la tête de la CIA, responsable du fiasco par John MCCone.

En juin 1961 le PC cubain entrait dans la nouvelle organisation unifiée avec toutes les formations révolutionnaires. La réforme agraire se poursuivait, brûlant les étapes, passant des coopératives aux fermes populaires organisées sur le modèle des sovkhozes russes. Jean-Paul Sartre pouvait écrire que » la révolution cubaine se découvrait elle-même face à l’adversité et réinventait spontanément le socialisme ».
Cuba qui s’était proclamé, le 16 avril 1961 comme société socialiste , 5 avait été exclu de l’OEA, lors de la huitième réunion de consultation de la Conférence inter- américaine de Punta del Este du 22 au 31 janvier 1962 par 17 voix contre 3 (Argentine, Brésil, Chili) dont la 8 è résolution déclarait que « l’adhésion de tout membre de l’ OEA au marxisme -léninisme est incompatible avec le système interaméricain », ce qui fera dire à Fidel Castro, que l’OUA, était le « ministère des colonies des Etats-Unis ».

L’ action clandestine n’ en pas moins été poursuivie, puisqu’en novembre 1961, une directive présidentielle créa l’opération Mongoose, ( Mangouste) dont l’un des objectifs était de détrôner Castro,6  qui le 1er décembre avait proclamé son adhésion au marxisme -léninisme ; déjà en mai, quinze jours après le débarquement de la Playa Giron, il avait proclamé Cuba, « République démocratique socialiste ».

Eugène Berg

Notes
[1] L’ embargo américain ne fut pas un  véritable blocus, il n’a pas empêché Cuba  d’importer des Etats -Unis outre  des produits pharmaceutiques, des produits alimentaires  sans recourir toutefois au crédit. L’ordre exécutif 3447 du 3 février 1962 confirma et  solidifia l’embargo. Par la suite des restrictions aux  voyages furent instituées en 1963.
[2] Les Guérilleros au pouvoir, Robert Laffont

[3] À partir d’août 1944,   c’est lui qui avait dirigé  la campagne de bombardements stratégiques lors de la campagne du Pacifique, parachevée par les bombardements atomiques de Hiroshima et Nagasaki en prenant le commandement du XX Bomber Command puis du XXII Bomber Command. Il commande à partir juillet 1945 la 20th USAAF dont le quartier-général est basé dans l’île de Guam.. Son implication dans la planification stratégique des raids menés par les Boeing B-29 Superfortress de la 20th USAAF au départ des Mariannes fut décisive pour réduire le potentiel industriel permettant au Japon impérial de régénérer ses arsenaux. Face à un phénomène naturel connu sous le nom de « courant-jet » (jet stream en anglais) dans la troposphère et rencontré par les avions à haute altitude, les tapis de bombes larguées manquaient leur cible. Curtis LeMay compensa, sur le plan tactique, cette déficience technique non prévue par les concepteurs de l’avion en recommandant aux pilotes réunis en briefing, à leur grande stupéfaction1, de voler à basse altitude la nuit sur les villes japonaises, afin de larguer leurs bombes incendiaires. Ce mode opératoire était déjà privilégié par la RAF en Europe mais ne faisait pas partie de la stratégie de l’USAAF.Le bombardement de T?ky? durant la nuit du 9 au 10 mars 1945, mené par 334 bombardiers B-29 opérant par vagues, fut d’une ampleur sans précédent. Les bombes au napalm déclenchèrent un incendie qui ravagea un tiers de la ville, puisque les usines d’armement se trouvaient au milieu des habitations construites en bois. Quelques quartiers et le palais impérial échappèrent à ce bombardement majeur, qui causa environ 100 000 morts. En survolant les brasiers, le général Le May lança : « Nous ramènerons le Japon à l’âge de la pierre »2. Un militaire d’alors qualifie l’opération comme « l’un des massacres les plus impitoyables et barbares de non-combattants de toute l’histoire ».

Le cap des pertes humaines étant passé, ce bombardement ouvrit, dans l’esprit des dirigeants américains, la perspective de l’emploi de l’arme atomique sur des villes moins peuplées. Interrogé après-guerre sur la dimension morale liée à la planification du bombardement stratégique qu’il avait organisée, le général Le May répondit de manière laconique sur la nécessité de lier les objectifs aux opérations lors d’un conflit d’une telle ampleur4. Mais selon son subordonné Robert McNamara, Curtis   disait que si les États-Unis avaient perdu la guerre, lui-même aurait été poursuivi comme criminel de guerre. Après la fin de la seconde guerre mondiale, il occupe quelques mois le poste d’assistant au chef d’état-major pour les questions de recherche et développement avant de prendre le commandement de l’United States Air Forces in Europe; à ce titre, il dirige le pont aérien allié durant le blocus de Berlin. Il organise ensuite le Strategic Air Command (instance suprême de commandement des forces aériennes stratégiques aux États-Unis d’Amérique) à partir du 19 octobre 1948 en prévision d’une guerre nucléaire durant la Guerre froide. La taille de ce commandement est multipliée par cinq sous l’ère Le May, passant de 51 000 à 278 000 personnes, est il transforme un commandement en piteux état en un outil extrêmement puissant, doté d’une terrifiante capacité de destruction. Lorsqu’il quitte le SAC en juin 1957, il devient sous-chef d’état-major de l’USAF avant de devenir chef d’état-major entre le 1er juillet 1961 et son départ à la retraite le 1er février 1965.Il est connu pour ses positions bellicistes qui tendaient à aggraver les tensions lors de graves crises internationales, telles que le blocus de Berlin, en 19481949.  (Source Wikepedia).

[4] L’expression familière, , qualifiant un enfant particulièrement brillant ;  peut être traduite  par « as », ou « crack ». ou Les Petits Génies .
[5] René Dumont, Cuba  est-il  socialiste ?  Seuil, 1970, p. 187.

[6] 50 millions  de $, 400 agents  de la CIA, 2000 Cubains exilés sont mis au  service de l’entreprise : prépartifs en  vue d’une intervention militaire, propagande, mesures d’isolement  économique et diplomatique, soutien à la « Contra » anticastriste, voire action criminelle , puisque la CIA, en liason avec la mafia s’efforce de  faire assassiner des responsables cubains. Le général Lansdale est même chargé de préparer l’invasion.

Biographie Eugène Berg
Carrière diplomatique
– Ministère des Affaires Étrangères
Direction des affaires politiques, puis au Service des Nations unies et Organisations Internationales.
Adjoint au Président de la Commission Interministérielle pour la Coopération franco-allemande.
Consul général à Leipzig (Allemagne).
Ambassadeur de France en Namibie et au Botswana.
Ambassadeur de France aux îles Fidji, à Kiribati, aux Iles Marshall, aux Etats Fédérés de Micronésie, à Nauru, à Tonga et à Tuvalu.

Diplômes
Maîtrise d’économie 1965
Proficiency Cambridge 1966
Ancien élève de l’E.N.A. l’Ecole Nationale d’Administration (1971– 1973)
Enseignement
Maître de conférences à IEP Paris (1973 – 1986),
Direction de Séminaire sur le Pacifique (2006 – 2008),
Conférences de méthode, ENA, École Polytechnique,
Enseignements de géopolitique au CEDS Paris et à Saint -Cyr

Ouvrages publiés
Chronologie Internationale (1945-1980 éd. PUF Collection Que sais-je ? 1997 4 éditions. Non alignement et Nouvel Ordre Mondial éd. PUF – 1982
La politique internationale depuis 1955 éditions Economica – 1990 -1756 pages ouvrage couronné par l’Académie des Sciences morales et politiques
Un ambassadeur dans la Pacifique éd. Hermann 2009
La Russie pour les Nuls (éditions First, 2016).
A la recherche de l’Ordre mondial éd Apopsix, septembre 2018

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