"SE PROMENER D'UN PAS AGILE AU TEMPLE DE LA VÉRITÉ LA ROUTE EN ÉTAIT DIFFICILE" VOLTAIRE
mai 28, 2023
Jean d’Ormesson écrivit le 10 Mai 1978 un article dans le Figaro un article intitulé : l’exécution d’Aldo Moro.
Il y analysait toute la mécanique de la barbarie terroriste.
Celui qui n’était pas encore académicien avait déjà à l’époque disséqué tout ce qui en constituait leur ressort idéologique et leur machinerie mortifère.
Tout, sauf bien sur le dispositif internet.
Que ces meurtres soient commis par Daesh ou les Brigades rouges ne change pas la nature de la monstruosité.
A toutes et à tous, je vous en souhaite une bonne lecture et une saine réflexion.
Leo Keller
Le 19 Décembre 2015
L’exécution d’Aldo Moro par Jean d’Ormesson de l’Académie Française
le premier sentiment éprouvé devant le corps d’Aldo Moro jeté comme un défi sanglant à la face de l’État italien, c’est l’émotion et la pitié. M. Aldo Moro est une victime – la plus éclatante et peut-être la plus éprouvée – de cette guerre non déclarée, limitée, mais cruelle dont parlait une des sinistres lettres signées de son propre nom. Une des victimes, non la seule : au même titre que celui de l’homme politique, du chef du plus puissant parti italien, du futur président de la République italienne, l’assassinat du plus obscur des citoyens est insupportable et injustifiable. Mais le martyre et la mort de M. Aldo Moro prennent figure de symbole : en l’enlevant, en le torturant, en le tuant, les brigades rouges se sont attaquées à la puissance majeure de notre temps : à l’État. A l’un des plus faibles, sans doute. Mais enfin, à l’un d’eux.
Les interventions – inutiles – des autorités morales les plus hautes – le Saint-Père, le secrétaire général des Nations unies – n’auront servi à rien. À rien qu’à donner plus d’éclat à la sauvage violence. La violence n’est pas neuve dans le monde et dans son histoire. Nous en avons connu de plus massives. Mais rarement exploitées avec plus de ruse monstrueuse, rarement diffusées plus largement dans le monde est rarement plus cruelles.
Jamais peut-être le mépris de l’homme – ce fameux mépris de l’homme tant dénoncé dans ce siècle est sans cesse renaissant – n’aura été poussé plus loin. Aldo Moro n’était plus un otage dont se servaient ses ravisseurs : il en avait été réduit à se faire lui-même leur porte-parole et leur messager. Les camps de concentration hitlériens et les procès de Moscou marquent des sommets de l’abjection. La main n’est pas perdue : voilà, sous nos yeux un atroce chef-d’œuvre d’ignominie.
Le pire dans cette abomination, et le mélange – si caractéristique de notre temps – de politique et de banditisme. Un idéal délirant guide les assassins. Ils se voient peut-être eux-mêmes sous des aspects de prophète. Ils se réclament de Karl Marx et de Lénine. Ils luttent, par la bombe, par la torture, par le crime, pour une justice dérisoire, dont ils sont peut-être dupes sanglantes. Quelles que soient l’émotion, la stupeur, l’indignation ressenties, il faut regarder en face les motifs, la signification et les leçons de ce crime.
Les motifs : ils plongent naturellement dans la démoralisation, consciemment provoquée, de l’Italie entière. Elle remonte loin. La responsabilité de beaucoup est engagée. Il n’y avait plus, en Italie, et depuis longtemps, de sens civique ni de morale publique. Les apprentis sorciers ont fait le reste, par la déstabilisation, par l’agitation permanente, par un mélange subtil de revendications et de privilèges.
La signification : ce n’est pas par hasard que le corps de l’homme d’État a été retrouvé près du siège du parti communiste italien. Peut-être parce qu’il faut faire oublier que les brigades rouges aussi se réclament du marxisme et du communisme, le PCI est à la pointe du combat contre elles. Le communisme est ainsi au centre de l’affaire Moro : à la fois à l’origine – du moins en grande partie – du malaise italien, au cœur des Brigades rouges et à la tête de la lutte engagée contre le terrorisme. Les contradictions du capitalisme sont passées au communisme.
Les leçons, enfin : un défi est clairement lancé à la démocratie. N’en doutons pas : il s’élèvera encore des voix pour justifier, par de subtils et méprisables biais, la torture et l’assassinat. Jamais pourtant, les choses n’ont été, en même temps, aussi sinistres et aussi lumineuses : ou la démocratie trouve en elle-même le courage – physique peut-être, mais surtout moral – de rejeter le cancer du terrorisme politique, ou elle est condamnée.
Les signes précurseurs ne nous auront pas manqué. Le cadavre d’Aldo Moro dans une voiture romaine nous met cette fois en face du choix. Il faut se battre – sous peine de mort.
Jean d’Ormesson
le Figaro 10 mai 1978
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Une réponse
Admirable et prémonitoire . On parle de torture et d’assassinat , le modèle existe depuis longtemps , C’est le même aujourd’hui . Mais les missions, missions de mort , mission de vie , regardent aujourd’hui le monde entier , c’est l’avenir de notre planète qui est en jeu , c’est aussi un défi inconnu a ce jour . Il faut se battre et gagner.
Il faut sauver l’humanité.