"SE PROMENER D'UN PAS AGILE AU TEMPLE DE LA VÉRITÉ LA ROUTE EN ÉTAIT DIFFICILE" VOLTAIRE
mars 22, 2023
« Un train peut en cacher un autre » : cet avertissement, bien connu des Français s’apprêtant à franchir un passage à niveau ferroviaire, s’applique bien à l’action du Président Trump. Ses rodomontades, coups d’éclat et revirements en tous genres sont en effet si nombreux que l’on peine parfois à les suivre et à prendre le temps de s’y arrêter. Il en est ainsi de sa politique économique, évoquée par les économistes lors du dixième anniversaire de la crise de 2008 mais finalement peu décortiquée auprès d’un large public. Blogazoi vous propose d’y revenir en retranscrivant l’essentiel du propos d’une conférence récente d’Olivier Marty à l’Association universitaire et artistique de Neuilly (AUAN) au début du mois.
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L’économie américaine connait une expansion inédite depuis dix ans, qui se traduit par une croissance annuelle moyenne de 2,3% sur la période 2009-2019, la baisse drastique du chômage, et des envolées plus ou moins vigoureuses de la bourse, du revenu médian des ménages, et de l’inflation. A en croire M. Trump et ses partisans, cette embellie serait à mettre exclusivement au crédit du président républicain : ce dernier s’enorgueillit en effet régulièrement d’avoir acté une série de mesures majeures (réforme fiscale, protectionnisme tous azimuts, relance de l’exploitation du gaz de schiste, etc.) qui, toutes, conforteraient l’activité de la première économie mondiale. Ce discours fait pourtant fi du bilan positif de son prédécesseur, Barack Obama, des risques financiers induits par cette politique, et des problèmes de fond de l’économie américaine. Il convient donc de se demander, d’une part, quel est le crédit réel que l’on peut attribuer à Donald Trump dans la bonne santé actuelle de l’économie américaine et, d’autre part, si sa politique n’est pas à la fois dangereuse et insuffisante.
Personnage narcissique, obsédé à l’idée de faire parler de lui et de s’arroger le crédit d’actions inédites et unilatéralistes, Donald Trump aime à faire croire que tout ce qui lui précède est nul et non avenu. Il en est ainsi de la bonne santé de l’économie américaine dont il hérita à sa prise de fonctions, début 2017. Au terme du mandat de Barack Obama, en effet, la croissance des Etats-Unis est vigoureuse, le plein-emploi est à portée de main, et la bourse connait une forte hausse. L’économie est, au gré des grands indicateurs macroéconomiques, sortie de la crise de 2008. Cette sortie fut elle-même favorisée par plusieurs facteurs : la flexibilité usuelle des marchés du travail et des biens, un plan de relance historique financé par une politique monétaire ultra-accommodante et, enfin, un traitement efficace des bilans bancaires et des dettes privées. Le déficit public était réduit à un rythme modéré tandis que la hausse des taux d’intérêt ne s’initiait qu’en 2013, au rythme de la reprise de la croissance et de l’inflation.
Cet état de fait favorable, qui comporte néanmoins des zones d’ombre (poursuite de la hausse des inégalités, baisse du taux de participation, problèmes sociaux considérables), ne satisfait toutefois pas le nouveau président.
Selon Donald Trump, plusieurs mesures vigoureuses devaient être actées pour se détacher de son prédécesseur et doper la croissance :
– l’abrogation de « l’Obamacare », qui permit pourtant à des millions de personnes qui en étaient exclues de bénéficier d’une couverture santé ;
– une réforme fiscale au bénéfice des entreprises et des ménages, se traduisant particulièrement par des baisses d’impôt sur les entreprises ;
– un vaste plan d’investissement dans les infrastructures de 500 milliards de dollars, qui ne s’est toutefois pas vraiment traduit dans les faits ;
– des mesures protectionnistes visant principalement la Chine et ses pratiques commerciales déloyales, mais également le Mexique, le Canada, et l’Union européenne.
Parallèlement, M. Trump a souhaité freiner l’immigration qualifiée, soutenir l’exploitation de gaz de schistes puis, finalement, reprendre le contrôle de la banque centrale en nommant à sa tête Jérôme Powell, qui inversa sous sa pression le processus de normalisation graduelle de la politique monétaire qui s’était engagé. Au total, les principales mesures économiques du Président Trump ne sont pas le reflet d’un corpus de pensée libéral que l’on pouvait attendre d’un homme d’affaires, bien au contraire : elles témoignent plutôt d’un attachement à l’économie industrielle du passé, d’un mercantilisme désuet et…d’une méconnaissance de certains enseignements économiques basiques, dont en particulier celui indiquant qu’une relance de l’activité est mal avisée en fin de cycle, dans une situation de plein-emploi des capacités de production. Le Président n’en a cure : pour lui, le risque de surchauffe de l’économie américaine, et donc de retournement brutal de la conjoncture, n’existe pas !
Quels ont été les résultats de cette politique jusqu’ici ?
A l’actif de la politique de Donald Trump se trouvent, principalement, les effets positifs de la réforme fiscale et de certaines mesures protectionnistes :
– la baisse de l’impôt sur les sociétés a augmenté les marges des entreprises et leurs investissements, ce qui se traduit par une hausse de la productivité. En ce sens, la réforme fiscale a bien eu un effet positif structurel sur l’économie américaine, qui est plus important que la hausse de la bourse, qu’elle a également favorisé ;
– au plan commercial, la renégociation de l’ALENA, en 2017, a plutôt favorisé celles des productions américaines qui se déversent dans les deux économies voisines, tandis que la hausse des droits de douane sur l’acier et l’aluminium, décrétée au printemps 2018, a protégé ces secteurs traditionnels aux Etats-Unis.
On peut également observer que la politique de croissance du Président a accentué la baisse du chômage, aujourd’hui au plus bas (4%) et rétabli le plein emploi, voire permis le retour sur le marché du travail de personnes qui en avaient été exclues au cours de la crise. Elle a également conforté le revenu médian des ménages (qui atteignit, en 2018, 62.000 dollars) et permis le reflux de la pauvreté (toutefois établie à 13,1% des ménages en 2018, contre 15,5% après la crise financière !). Enfin, elle a dopé les marchés financiers, ce qui a permis, dans une certaine mesure, de soutenir la consommation. En observant ces indicateurs, Donald Trump peut se targuer d’avoir contribué à effacer les effets de la crise sur l’emploi, les revenus, la demande intérieure et la condition sociale des millions d’Américains. Mais cette tendance globale aura duré dix ans au total et doit bien plutôt être mise au crédit de Barack Obama.
Au passif du bilan du Président américain, on trouve à la fois des effets négatifs et des risques.
Parmi les effets négatifs, on rappellera la hausse des prix à la consommation via le coût accru des importations taxées et la dégradation de la production de secteurs important ces mêmes produits taxés. De même, les exportateurs américains, typiquement dans le secteur agricole, subissent les mesures de rétorsion chinoises ou européennes, ce qui a poussé Donald Trump a les subventionner ! Aussi, on notera une dégradation importante du solde budgétaire, induite par le manque à gagner fiscal et des dépenses publiques accrues, notamment dans le domaine militaire Enfin, contrairement à ce que recherchait pourtant Donald Trump, qui voit d’un très mauvais œil les déficits commerciaux, la balance commerciale américaine continue de se dégrader !
Surtout, les mesures économiques de l’administration Trump sont risquées pour les Etats-Unis et pour le reste du monde. Les épisodes de tensions dans les négociations commerciales avec la Chine provoquent des soubresauts boursiers tout en affaiblissant la croissance du commerce international et, partant, la croissance mondiale. Aussi, la hausse de la bourse, favorisée par les mesures fiscales et monétaires, pourrait se traduire par l’éclatement de bulles, surtout si les taux d’intérêt sont amenés à remonter dans le futur. Enfin, la hausse des déficits américains expose le pays à une situation d’insolvabilité, qui pourrait être favorisée par la même hausse des taux et/ou la baisse des achats de dettes en dollars, par exemple en Europe.
En somme, la politique économique américaine de Donald Trump expose les Etats-Unis à un retournement brutal du cycle économique et le monde à un risque de crise financière.
Au-delà de sa dimension cyclique, il y a lieu de se demander si la politique économique américaine résout les défis de fond auxquels elle est confrontée. On peut en citer quatre :
– l’amélioration des perspectives d’emploi : l’administration doit permettre de faire revenir sur le marché du travail des personnes qui en ont été exclues par la crise, tout en favorisant la mobilité géographique et la montée en compétence des employés, particulièrement dans un contexte de mutation technologique ;
– l’augmentation de la productivité globale des facteurs, clé de la croissance de long-terme: en baisse tendancielle depuis des décennies, celle-ci implique des investissements dans les secteurs innovants, plus de concurrence, en particulier dans les secteurs des services, et un meilleur accès à l’éducation et à la formation ;
– la discipline financière : les Etats-Unis devraient veiller à contenir leurs déficits budgétaires et courants au risque de voir ceux-ci devenir insoutenables, notamment en cas de hausse des taux d’intérêt. Cet objectif est également utile à la réduction des risques financiers globaux dans la mesure où les déficits américains se traduisent par un surcroit de liquidité ;
– les enjeux sociaux : la hausse continue de la croissance depuis dix ans n’a guère permis une réduction de la pauvreté et n’a, surtout, pas contenu, tout au contraire, la hausse des inégalités de revenus et de patrimoine, qui atteignent des niveaux insoutenables au plan social mais aussi économique et démocratique .
Or on voit mal comment l’administration Trump parvient à traiter ces questions. Les inégalités sont favorisées et la discipline financière semble d’autant moins être un souci que les taux d’intérêt sont très bas et que beaucoup d’économistes pensent qu’ils le resteront. L’innovation n’entre guère dans le cadre conceptuel du président, qui favorise plutôt les secteurs traditionnels et s’oppose aux industries technologiques, telles que celles de la Silicon Valley. Enfin, l’amélioration des perspectives d’emploi reste très incertaine au regard du vieillissement démographique, de l’inégalité des chances, et de la condition sociale.
Afin d’éviter les risques de retournement brutal de la conjoncture, les dirigeants américains seraient avisés de poursuivre trois objectifs :
– normaliser avec précaution la politique monétaire : la hausse très graduelle des taux d’intérêt serait utile afin d’éviter l’éclatement de bulles sur les marchés financiers et de restaurer des marges de manœuvre en cas de future récession. Elle permettrait également de contenir les inégalités ;
– réduire les déficits budgétaire et courant : cet objectif permettrait de restaurer des marges de manœuvre en cas de retournement conjoncturel, mais aussi de réduire les risques financiers induits par leur existence. Il implique notamment une plus grande équité fiscale et la baisse de dépenses publiques ;
– trouver un compromis commercial avec la Chine : les Etats-Unis gagneraient à ne pas agresser la Chine, malgré son manque évident de coopération sur les enjeux de fond en discussion (espionnage industriel, transfert de technologie, subventions indues) tout en la pressant de modifier ses pratiques par le truchement de l’OMC et d’alliances.
A plus long terme, afin de relever les défis susvisés, ainsi que le défi écologique, les Etats-Unis gagneraient de toute évidence à développer l’État providence (santé, politiques sociales, retraites, etc), à réformer la fiscalité dans le sens d’une plus grande progressivité fiscale, à investir dans les infrastructures, en particulier environnementales et sociales, et à redonner un surplus de pouvoir aux salariés afin de réduire les inégalités et de soutenir durablement la demande intérieure. Favoriser un accès plus équitable à l’éducation devrait également être une priorité. Ces éléments semblent s’imposer progressivement dans le débat politique américain, qui évolue aujourd’hui rapidement dans un contexte incertain.
Ancien élève de Sciences Po Paris, de l’Institut européen de la London School of Economics et de l’Université Paris-Dauphine, Olivier Marty est enseignant-chercheur en Questions européennes à SciencesPo, et à l’Ecole normale supérieure de la rue d’Ulm. Auparavant, il a exercé dans le secteur financier, comme économiste à la Société Générale et à la Banque de développement du Conseil de l’Europe (CEB), notamment.
Il est le co-auteur de trois ouvrages dont récemment (avec Nicolas Dorgeret) « Connaitre et comprendre l’Union européenne : 35 fiches sur les institutions européennes » (préfacé par Jean-Dominique Giuliani), Ellipses, 2018.
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