La visite du jeune dieu
Par André Crettenand
17 FÉVRIER 2023

Il enlace le président ukrainien, l’agrippe, et le couvre d’attentions. Il voit bien que son invité hésite. Mais Emmanuel Macron insiste, multiplie les dons. Il sollicite la bienveillance du jeune dieu. Étonnant renversement des attitudes. Zelensky implorait naguère le président français, c’est maintenant Macron qui le prie. Le président français touche le dieu, et en capte les reflets dorés.
Le héros a été élevé au grade de Grand’Croix de la Légion d’honneur. Une idée du Président de la République, mais qui fait sens puisque Volodymyr Zelensky s’est révélé grand militaire. La France sait que la décoration fait toujours plaisir, et qu’elle génère beaucoup de fierté et de reconnaissance.

C’est qu’il a des choses à se faire pardonner le président français : sa fascination première pour Poutine, ses déclarations ambiguës, des atermoiements. Bonne pâte, Zelensky se prête au jeu. Il dit : « Je crois qu’il a changé. Et qu’il a changé pour de vrai cette fois… ». Ce qui dit beaucoup de toutes les autres fois.

La décoration parisienne ne fut qu’une étape. Washington il y a quelques semaines, puis Londres, Paris en passant, et enfin Bruxelles, c’est-à-dire l’Union européenne, objet de toutes les convoitises. Le trajet dessine la géopolitique, telle que l’Est européen se la construit. L’Amérique d’abord, garante de la sécurité, et sans qui l’Ukraine serait déjà totalement envahie et réduite à l’état de province russe. Le Royaume-Uni, l’allié anglo-saxon indéfectible, la France, maîtresse infidèle, l’Europe, la famille par adoption.

Volodymyr Zelensky ose les voyages. Ils étaient rares, il les enchaîne. Le tee-shirt kaki témoigne qu’il est, encore et toujours, chef de guerre. On voudrait croire qu’il s’autorise ces escapades loin de son pays parce que la situation serait assurée sur le front. C’est tout le contraire. La demande insistante de nouvelles armes, de munitions, d’avions, trahit l’anxiété. L’armée ukrainienne fait face au flot des nouveaux engagés russes, envoyés par milliers à la mort, pour percer le front et espérer que quelques-uns passent, et trouvent la faille. Elle n’avance plus, elle pourrait donc reculer. L’armée russe a appris de sa cavalcade erratique. Elle s’est organisée. Elle reviendra.

On sent Zelensky fébrile, soucieux de raffermir les énergies des Européens, craignant de les voir à tout instant craquer. C’est qu’on entend de plus en plus souvent les « réalistes » souhaiter la fin du soutien, l’arrêt des combats, et le sacrifice de l’Ukraine. Comme autrefois, à Yalta, une bonne partie de l’Est de l’Europe fut abandonnée sous le joug de l’empire soviétique. Zelensky s’accroche au « pour de vrai ».

Mais la décoration, comme les applaudissements qui l’ont accompagné tout au long de son périple européen, ne sont rien au regard de l’essentiel : le combat qu’il conduit avec son peuple pour la liberté. Nous devrions, au fond, tout considérer à cette aune-là. Peser toutes les opinions sur les causes de la guerre, à la lumière de cet enjeu-là. Les Ukrainiens sont « collés à la liberté », pour reprendre l’expression de l’historien grec Hérodote. C’est d’abord pour l’indépendance de leur pays, et la survie de leur nation, qu’ils sont engagés dans cette épreuve.
Une leçon pour l’Europe.

André Crettenand
in Genève Vision


Biographie

André Crettenand est le responsable des relations internationales de la RTS, la Radio Télévision Suisse.
Journaliste et éditorialiste, André Crettenand a occupé auparavant les postes de chef du service politique au journal télévisé national de la Télévision suisse romande de rédacteur en chef adjoint (1995-2001) puis de rédacteur en chef de l’actualité 2001-2008.
De 2008 à 2019, il a été directeur de l’information à TV5MONDE.

Après des études classiques (latin-grec) au Collège de Sion, il a accompli une licence en lettres à l’Université de Genève (1978-1982) et une année d’assistanat à l’Université libre de Lublin (Pologne).
Il a été journaliste au Journal de Genève entre 1983 et 1989, puis à L’Hebdo de 1989 à 1995.
Chef de l’actualité de 2001 à 2008 à la Télévision suisse romande, il dirige le journal télévisé national, le 19:30, ainsi que les autres éditions d’actualité et les projets de développement de multimédia.
Auteur de « La Suisse, l’invention d’une nation », Editions Nevicata, 2016. Lauréat de l' »Hommage Gutenberg Suisse 2017″ décerné par la Confrérie des Compagnons de Gutenberg.
Il a été chroniqueur de l’actualité internationale dans l’émission « Territoires d’info » sur Public-Sénat.