"SE PROMENER D'UN PAS AGILE AU TEMPLE DE LA VÉRITÉ LA ROUTE EN ÉTAIT DIFFICILE" VOLTAIRE
mars 30, 2023
Les frontières du pays qui constitue aujourd’hui le Bangladesh résultent de la partition des Indes en 1947, quand le pays devint la partie orientale du dominion du Pakistan, devenu en 1956 la République islamique du Pakistan. Le lien entre les deux parties du Pakistan, fondé sur leur religion majoritaire commune, l’Islam s’est révélé fragile face aux 1 600 km qui les séparaient. Soumis à une discrimination politique et linguistique— l’ ourdou étant proclamé langue officielle du Pakistan — ainsi qu’à une négligence économique de la part du pouvoir aux mains du Pakistan occidental peuplé en 1970 de 55 millions alors que le Pakistan oriental comptait 70 millions.
Durant la période coloniale, la partie orientale du Bengale était l’une des plus pauvres des Indes britanniques. Une décennie, après avoir déclaré son indépendance, le 26 mars 1971 le Bangladesh s’appauvrit encore. Bien peu lui prédisait quelque brillant avenir. Or c’est ce qui est advenu. Alors un miracle bengali ? Avant la pandémie son taux de croissance avait atteint 7% par an durant quatre exercices. Le revenu annuel par habitant est devenu supérieur à celui du Pakistan.
98% des enfants accomplissent l’école primaire, comparé à moins de 30% dans les années 1980. Le Bangladesh possède la deuxième industrie mondiale de l’habillement, qui représente 11% de son PIB et 80% de ses exportations. Le pourcentage des femmes occupant un emploi est passé de 3% il y a cinquante ans à 36% aujourd’hui, 80% des 4 millions d’ouvriers de l’habillement , sont des femmes, dont le taux d’alphabétisation (70%) est supérieure à celle des femmes pakistanaises ( 40%) ou indiennes ( 60%).
De plus, il était périodiquement ravagé de catastrophes naturelles, inondations et typhons : dans la nuit du 12 au 13 novembre 1970, l’un particulièrement violent a laissé 300 000 morts et des millions de sans-abri. Les autorités pakistanaises, issues de la loi martiale, se sont montrées indifférentes et ineptes dans l’organisation des secours. La communauté internationale fut bouleversée par le drame qui se déroulait dans ce « coin perdu de l’Asie, hors du temps, utopique, mal connu » comme l’écrivit le jeune Bernard Henry Lévy qui y fera l’apprentissage de la célébrité.[1], dans le sillage d’un Byron ou d’André Malraux.
Le mécontentement s’exprime le 7 décembre 1970 lorsque se déroulent les élections au Parlement national que le président Muhammad Yahya Khan, saisi soudain d’un « zèle démocratique » qui lui sera fatal, a convoquées au Pakistan oriental. Elles voient le triomphe la Ligue Awami de cheik Mujibur Rahman, leader charismatique, excellent orateur qui défend des revendications autonomistes inacceptables pour Zulfikar Ali Bhutto, chef du Parti des peuples du Pakistan, majoritaire à l’Ouest. Elle obtient 167 sièges ce qui lui donne la majorité à l’Assemblée Nationale contre 85 pour Ali Bhutto. Entre les deux parties du pays, la rupture est bientôt totale.
Après avoir réclamé l’abrogation de la loi martiale, suivie de la proclamation d’un Pakistan confédéral, vague union d’Etats indépendants, il appelle, le 20 mars, le peuple à « lutter « pour la liberté et l’émancipation du Bangladesh (le pays des Bengalis). Avec l’assentiment de Bhutto, Yahya Khan décide de frapper : des unités ramenées de l’ouest sous le commandement du général Tikka Khan, connu comme le « boucher du Balouchistan » qui avait envoyé pour restaurer l’ordre, passent à l’attaque dans la nuit du 25 au 26 mars. Massacres à Dacca, Mujibur Rahman est arrêté à son domicile qu’il n’a pas voulu quitter et transféré par avion à Islamabad.
Il proclame néanmoins le 1er avril l’indépendance de la République du Bangladesh dans une plantation de manguiers adossée à la frontière indienne. La répression est brutale, le 27 mars des milliers d’étudiants et d’enseignants de l’Université de Dacca sont massacrés.
L’armée pille, tue, viole, déterminée à éradiquer toute velléité autonomiste, provoquant quelque 500 000 victimes et poussant à l’exode des millions, de 8 à 10, selon les sources de Bengalis bientôt décimés par une épidémie de variole et de choléra à partir du printemps 1971. Des unités de partisans, se constituent, les Mukti Bahinis. La crise s’internationalise. Indira Ghandi se rend à Washington pour faire fléchir Richard Nixon qui resta sur ses positions, prenant la défense de son allié pakistanais.
Car l’Inde, qui accueillait à la mi 1971, 10 millions de réfugiés du Bengladesh, appuyée par la seule URSS, soutient à fond l’insurrection, alors que le Pakistan bénéficie du soutien conjoint des Etats-Unis et de la Chine, une configuration diplomatique militaire originale qui ne se reproduira plus. C’est en effet d’Islamabad que le 9 juillet Kissinger s’envola secrètement pour Pékin. Washington manifestera sa gratitude en suspendant ses ventes d’armes à l’Inde et en envoyant son porte -avions nucléaire Enterprise dans le golfe du Bengale au début de la guerre.[2] Le 4 décembre 1971, le gouvernement indien, d’Indira Gandhi,[3] « That woman » comme l’appelle dédaigneusement Yahya Khan décide d’intervenir directement dans le conflit en apportant son soutien à la cause du Bangladesh, qu’il reconnaît officiellement le 6 décembre. Le 14, les troupes indiennes occupent Dacca, après avoir vaincu les Pakistanais. Le 17 un cessez-le-feu est signé entre les deux pays, ce qui fut rendu aisé car le commandant en chef indien, comme son homologue pakistanais avaient été ensemble à l’ académie militaire de Sandhurts, le « Saint Cyr britannique ».Durant le conflit, le Pakistan utilisa , jusqu’à sa disparition, le sous -marin conventionnel Ghazi, pour interdire au porte -avions indien Vikhrant l’accès au golfe de Bengale ; peu après le sous -marin Hangor coula la frégate Kukhri et parvint à fuir les moyens importants engagés par l’Indian Navy pour le détruire.
Au début de l’année 1972, Mujibur Rahman libéré est accueilli en triomphateur à Dacca, le 10 janvier il traverse la ville aux cris Joy Bangla ! Vive le Bangladesh ! La communauté internationale reconnaît le nouvel Etat, bientôt admis à l’ONU »[4]Un conflit d’une rare violence l’un des plus meurtriers de l’après 1945, faisant près de trois millions de morts, dix millions de réfugiés et 200 000 viols avérés. Le 25 mars l’armée indienne évacue le Bangladesh.
Malgré sa libération le Bangladesh, qui se mue en une République populaire alignée sur Moscou,[5] voit son développement marqué par des troubles politiques. Le 15 août 1975 Mujibur Rahman est assassiné par un groupe de jeunes officiers, Dès lors coups d’Etat se succèdent avec quatorze chefs de gouvernement et au moins quatre coups d’Etats dans les années qui suivent. Le 17 décembre Yahya Khan cède le pouvoir à Ali Bhutto, rentré triomphalement de Pékin. Il a perdu le Pakistan -oriental, mais a obtenu le pouvoir
Quel chemin a accompli depuis le pauvre Bangladesh !
Eugène Berg
[1] Bangladesh , nationalisme dans la révolution, François Maspero, Cahiers libres, 53 -54, 1973 ;
[2] « l’ éclatement du Bangladesh, » patrice de Beer, Le Monde 24 -25 mars 1991.
[3] Indira Gandhi, Pupul Jayakar Plon , 426 p. J’ai voulu présenter la vie d’Indira Gandhi comme le cours d’un fleuve, en remontant vers sa source ; j’ai cherché à détecter les forces inconscientes qui déterminèrent et parfois dénaturèrent ses sentiments et ses actions. Comme une rivière disparaît parfois lorsqu’elle s’engloutit au fond d’impénétrables gorges, la vie d’Indira a connu des périodes submergées par de sombres humeurs « écrit Jayakar.
[4] 1970/1980 p. 90 -91.
[5] En avril 1972, l’URSS obtint du Bangladesh le droit d’y installer une base navale, ce fut un des éléments de sa politique d’expansion navale que Moscou poursuivait inlassablement depuis les années 1960
Biographie Eugène Berg
Carrière diplomatique
– Ministère des Affaires Étrangères
Direction des affaires politiques, puis au Service des Nations unies et Organisations Internationales.
Adjoint au Président de la Commission Interministérielle pour la Coopération franco-allemande.
Consul général à Leipzig (Allemagne).
Ambassadeur de France en Namibie et au Botswana.
Ambassadeur de France aux îles Fidji, à Kiribati, aux Iles Marshall, aux Etats Fédérés de Micronésie, à Nauru, à Tonga et à Tuvalu.
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