"SE PROMENER D'UN PAS AGILE AU TEMPLE DE LA VÉRITÉ LA ROUTE EN ÉTAIT DIFFICILE" VOLTAIRE
avril 1, 2023
Les réfugiés, afghans, méritent notre soutien
Par Patrick Delouvin Ancien Directeur Amnesty International France
La nouvelle donne en Afghanistan va pousser un plus grand nombre d’Afghans et d’Afghanes à chercher à fuir leur pays. Entre le 14 et le 30 août 2021, un pont aérien a permis d’en exfiltrer près de 3000 vers la France. Faut-il en accueillir davantage? en accueillir moins? lesquels? La France et les autres Etats de l’Union européenne ont le droit de contrôler l’accès à leur territoire, ils ne peuvent certes accueillir tous les Afghans sur leur territoire mais ils doivent respecter les principes d’accueil et les conventions internationales signées. Ces situations souvent complexes ne supportent pas la caricature, les contrevérités et les messages de peur qui circulent.
De nombreux pays meurtris. Aujourd’hui, l’Afghanistan fait la une, comme hier d’autres pays : Syrie, Zaïre, Chili, Côte d’Ivoire, Tchétchénie, Sri Lanka, Rwanda, Haïti, Bosnie …. De tous temps, des réfugiés fuient les persécutions, les guerres, les menaces … ils quittent tout, leur pays, leur famille, leur vie, rarement de gaité de cœur, souvent en urgence.
Les réfugiés dans le monde. L’Union européenne n’est pas le territoire qui accueille le plus grand nombre de réfugiés, loin de là. Selon les derniers chiffres du HCR , plus de 82 millions de personnes ont été forcées de fuir leur foyer, environ 50 millions restent « déplacées » à l’intérieur de leur propre pays et 25 millions ont fui vers un autre pays, parmi lesquels 6,7 millions de Syriens et 2,6 millions d’Afghans . Les plus grandes populations de réfugiés sont accueillies dans un pays limitrophe du leur (73%) : ils sont 3,6 millions en Turquie, 1,7 million en Colombie, 1,4 million au Pakistan, près d’un million au Liban. Environ 86% des personnes déracinées sont accueillies dans des pays en développement.
En France, 450.000 personnes de toutes nationalités sont protégées, enfants mineurs compris, parmi lesquelles 35.000 Afghans. En 2020, 10.000 nouveaux Afghans ont déposé une demande à leur tour, la plupart, 7500, ont été protégés . D’autres poursuivent leur errance dramatique autour de Calais et cherchent à rejoindre leur famille en Angleterre.
Barrières physiques et administratives. La Déclaration universelle des droits de l’Homme affirme le droit au départ de son pays mais pas le droit d’entrer dans tout autre pays de son choix. Souvent lors de leur périple, les migrants endurent de nouvelles épreuves, ils sont rançonnés, exploités, refoulés, … Beaucoup doivent affronter de nombreuses tentatives successives. Certains meurent en route, dans le désert ou noyés en mer.
Pour différentes raisons, des Etats cherchent à limiter les arrivées de réfugiés ou de migrants sur leur territoire. Difficile pour le Zaïre en 1996 d’arrêter les centaines de milliers de Rwandais franchissant le pont vers Goma en quelques semaines. De nombreux pays construisent murs et clôtures à leurs frontières. C’est le cas par exemple entre les Etats-Unis et le Mexique, à Ceuta et Melilla, les enclaves espagnoles au nord du Maroc, entre la Pologne et le Bélarus ou entre la Hongrie et la Serbie.
Deux murs sont en cours de finalisation pour stopper les Afghans, le premier à l’initiative de la Grèce à la frontière turque, le second à l’initiative de la Turquie à sa frontière avec l’Iran.
Certains Etats sous-traitent l’examen des demandes à des pays du Sud moins attirants ou signent des accords les forçant à « réadmettre » des migrants censés y avoir transité. D’autres ont utilisé leur marine, l’Australie pour bloquer des bateaux avant leur arrivée, les Etats-Unis pour refouler des Haïtiens vers leur base de Guantanamo et même l’Europe avec son agence Frontex de garde-frontières et de garde-côtes.
Union européenne. Au sein de l’Union, les efforts sont nombreux pour chercher à limiter les arrivées d’étrangers sur le territoire commun : instauration de visas, de visas de transit aéroportuaire, « sanctions » aux transporteurs … L’« externalisation » de la gestion des flux migratoires vise à assister divers pays pour renforcer leurs contrôles terrestres et maritimes des migrants en route vers l’Europe (matériel et formation, envoi de fonctionnaires européens …). La notion de « pays tiers sûr » vise à refouler des demandeurs d’asile vers des pays non européens pour y faire examiner leurs demandes et décourager les suivants. La concrétisation la plus efficace en a été l’accord passé avec la Turquie pour y bloquer les millions de Syriens en échange de quelques milliards d’euros.
Des passeurs? Face à ces barrières physiques et administratives, les migrants cherchent de l’aide, certains désespérés se tournent vers des « passeurs ». Tous ne sont pas des exploiteurs, la migration irrégulière se fonde sur un réseau complexe de relations et de tractations. Ainsi, en 2006, la Mauritanie est devenue un lieu de départ privilégié vers l’Europe via les Canaries en raison de la difficulté des routes migratoires marocaine et libyenne et de l’ouverture d’une route vers Nouadhibou : la pêche de chalutiers étrangers au large a poussé des pêcheurs mauritaniens à se reconvertir et à risquer leur vie en utilisant leurs « cayucos » pour tenter de franchir les 800 kilomètres avec une cinquantaine de passagers à bord.
Dans le pays d’accueil. A l’arrivée, c’est peut-être le soulagement mais les défis et les soucis cessent rarement. Les procédures peuvent être complexes, les délais décourageants, les conditions d’accueil réduites ou dissuasives. Le plus éprouvant est souvent l’angoisse du lendemain pour soi et sa famille, le sentiment d’abandon de ses proches et de culpabilité ressentie.
Malgré les épreuves et dangers du parcours et l’existence difficile d’un réfugié, comme beaucoup d’autres, des Afghanes et des Afghans vont continuer à chercher à fuir. La plupart n’auront d’autre possibilité que de trouver refuge dans un pays limitrophe. Certains tenteront de poursuivre vers un pays jugé plus sûr, souvent pour rejoindre des membres de leur famille. Il sera encore nécessaire de lutter contre les caricatures, les mensonges et les messages de peur.
Notes
Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés, Convention européenne des droits de l’Homme.
Le Haut Commissariat pour les réfugiés (HCR) est l’organisme des Nations unies chargé de leur protec-tion.
Les chiffres ne sont pas toujours aisés à comparer. Les situations géopolitiques les font évoluer régulière-ment et les Etats d’accueil n’ont pas forcément les mêmes notions et procédures.
En France, pour les demandeurs d’asile, il existe 2 formes de protection distinctes : le statut de réfugié en application de la Convention de Genève de 1951 et la protection dite « subsidiaire » pour des personnes exposées à certains risques (PS).
Source Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides, Rapport pour l’année 2020, juin 2021.
31 août 2021
Patrick Delouvin, ancien directeur à Amnesty International France en charge des questions de réfugiés. Missions au Rwanda et Zaïre, Tanzanie, Mauritanie, République Dominicaine, Bahamas et Guantanamo
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Une réponse
Un texte important fondé sur les principes de la règle de droit et le refus des assimilations douteuses entre situation des réfugiés créés par des guerres et flux migratoires. Toutes les études sociologiques corroborent ces propos que malheureusement certains groupes et partis politiques ignorent volontairement pour ne pas déplaire à un électorat réactionnaire. Didier Bigo. professeur des universités. Sciences Po Paris