"SE PROMENER D'UN PAS AGILE AU TEMPLE DE LA VÉRITÉ LA ROUTE EN ÉTAIT DIFFICILE" VOLTAIRE
avril 1, 2023
Avertissement au lecteur.
Je suis conscient que la tribune publiée dans le monde signée par quatorze avocats et que je republie intégralement sur mon blog va heurter profondément certains d’entre vous. À l’avance, et ce n’est pas une simple formule de rhétorique, je vous prie de m’en excuser.
Je conçois parfaitement que votre réaction d’indignation sera non seulement légitime mais aussi parfaitement juste. Mon but, encore une fois, n’est pas de provoquer. Mais dans l’affaire du procès Merah, et pour que les choses soient parfaitement claires, je souhaitais- bien entendu- la peine maximale pour l’assassin qu’est Merah (sous réserve de la traditionnelle formule que chacun est présumé innocent tant que la sentence n’est pas définitive).
Pour autant, en cette affaire la naïveté ne saurait avoir cours. Merah est un être profondément ignoble. Pour autant, il a certes droit à être défendu.
À cet égard le procès fait à Me Dupond-Moretti, les menaces de mort proférées à son encontre et à celle de ses enfants, me semblent elles aussi injustifiées, nauséabondes et parfaitement inaudibles.
Je peux aussi concevoir que certaines des formules employées par Me Dupond-Moretti soient profondément choquantes, eu égard à l’indicible douleur des familles des victimes.
Je ne dénie pas non plus à toute personne de bonne foi le droit d’être blessée.
Et pour que les choses soient encore plus claires, s’il en était encore besoin, je n’ai bien entendu aucune compassion pour la mère d’un terroriste qui n’a montré aucune compassion envers les victimes.
Pour autant libre à Me Dupond-Moretti de défendre son client comme il l’entend et bien entendu du mieux qu’il peut ou qu’il le juge.
Il est, pour le meilleur et pour le pire, le seul maître de sa plaidoirie. Avoir exercé en son âme et conscience son métier ne saurait justifier les attaques parfois ad hominem.
Parce que je respecte profondément et sincèrement l’opinion d’ami(e)s qui me sont cher(e)s et avec lesquels j’ai un différend, je publierai bien entendu toute tribune qui sera d’un avis contraire au mien. Ce n’est pas parce que je souhaitais la condamnation de Merah que je me refuse à bâillonner Me Dupond- Moretti ou que cela m’autorise à m’immiscer dans son système de défense.
Antigone est parmi nous en cette affaire.
Un dernier mot Me Dupond-Moretti est un formidable avocat, un bretteur à l’intelligence exceptionnelle. Mais là n’est pas le problème.
Une société ne sort jamais grandie lorsque l’on bâillonne l’intelligence qui s’éploye en majesté tant qu’elle s’insère dans le corpus républicain et démocratique.
Léo Keller
Tribune du Monde le 16 novembre 2017
Ni obscènes ni méchants, ils sont juste avocats.
Les défenseurs d’Abdelkader Merah n’ont fait que leur travail, clament des pénalistes. Rappelons qu’en France tout accusé est présumé innocent et que, faute de preuves on ne condamne pas.
Des années d’enquête, cinq semaines de procès, des éléments à charge décortiqués, examinés publiquement et contradictoirement afin que chacun puisse se faire son idée et, finalement, Abdelkader Merah a été condamné à 20 ans de réclusion criminelle, maximum de la peine encourue pour l’association de malfaiteurs terroristes pour laquelle il a été reconnu coupable, mais acquitté pour les complicités d’assassinat car les preuves manquaient, tandis que Fettah Malki a été condamné à quatorze ans pour avoir fait commerce des armes qui ont servi aux agissements criminels de Mohamed Mera. Après cette décision, un vent de tempête s’élevait contre les avocats des deux hommes.
Ou plutôt contre l’un d’entre eux, coupable aux yeux de l’opinion, des médias, des réseaux sociaux, d’on ne sait qui finalement, d’incarner une défense dont on dit ainsi qu’elle n’aurait pas dû exister. En tout cas, pas comme ça, pas avec ces mots-là, pas sur ces bases-là ; bref, la seule défense admissible aurait été celle qui aurait plu à tous, victimes, juges, journalistes, public, une défense pour dire que c’était mal, et que ces deux hommes devaient être lourdement et complètement condamnés ! Rien que cette personnalisation du début du débat autour d’Éric Dupond–Moretti–alors que ces quatre confrères ont, comme lui et avec lui, porté la véritable défense, une défense de fond, pied à pied, en s’affrontant au dossiers, aux éléments à charge, à la vérité des faits et les investigations réalisées–démontre que ce qui est en cause ici c’est bien la place et le rôle institutionnel de l’avocat pénaliste.
Abdelkader Merah et Fettah Malki ont été défendus sur le dossier. Pas par des anathèmes, pas par des effets de manche, pas de manière politique ou médiatique, mais juste par cinq avocats qui ont travaillé, analysé les faits et les preuves et ont voulu démontrer que certaines des charges retenues ne pouvaient devenir des preuves et que quand il n’y a pas de preuves, on ne condamne pas. Ils ont été entendus pour une partie du dossier, pas pour une autre partie. Quoi de plus banal ! Quoi de plus normal, si ce mot a encore un sens.
Eh bien, non! Il paraît que c’était mal de faire ça. Étrange contradiction de dire que seul le procès public va réparer les victimes, faire de cette exigence le nec plus ultra de la prise en compte de celles-ci et en même temps d’interdire qu’au sein de ce procès la parole des défenseurs soit libre alors que cette publicité des débats n’a d’intérêt que si ce qui se dit est justement marqué du sceau de la liberté.
Étrange contradiction d’affirmer que nous sommes dans un pays de droit tout accusé est présumé innocent–où on ne condamne pas sans preuves, et où les charges réunies par un juge d’instruction ne sont jamais que des charges et doivent se transformer en preuves au moment de l’audience si l’on veut condamner–et de dire en même temps que rien de tout cela n’est plus possible parce que le crime est horrible et révulse.
Le devoir de rendre compte
Folie de demander un avocat de s’excuser d’avoir dit quelque chose de vrai parce que cette vérité était insupportable aux oreilles des victimes. Quand un crime est commis, la défense de celui qui en est accusé est nécessairement inaudible pour la victime qui ne veut ni ne peut l’entendre et c’est légitime. Mais quand d’autres, et surtout ceux dont le métier est de rendre compte de la complexité des choses et d’en être les passeurs, enfourchent le cheval d’une douleur qui n’est pas la leur–en évoquant des images qui n’ont d’autre but que de tétaniser par leur évocation pour dire qu’il est obscène qu’un avocat ose dire que les mensonges d’une mère dont l’un des fils est mort et l’autre en prison, pour insupportables qu’ils soient aux victimes, trouvent à s’expliquer–alors l’obscénité change de camp.
Quelle que soit la monstruosité inouïe du geste d’un homme de 22 ans qui abat à bout portant un enfant parce qu’il est juif, l’avocat qui défend son frère accusé de complicité de tels faits a le droit pour les besoins de sa défense de dire ce qu’il estime utile quand il le considère nécessaire. Sans cette liberté, il n’y a tout simplement plus de défense possible et plus de procès utile à la décision de justice. Rappeler le malheur objectif de cette femme pour essayer de faire comprendre son comportement n’était ni une provocation ni une obscénité, c’était un fait dont le rappel était nécessaire à la compréhension de ce qui se passait. L’avocat n’a alors fait que son devoir d’avocat : en le disant, il ne demandait pas de la compassion ou de l’empathie, il défendait.
À d’autres, le rôle de juges
Rappelons des choses simples : les avocats défendent des hommes, pas des actes ; ils portent la parole de celui, accusé ou partie civile, qui leur confie sa défense et uniquement celle-ci ; ils ne sont pas des juges ; ils ne sont pas des confesseurs. Leur fonction n’est pas de compatir ou de plaire mais de défendre soit celui qui est innocent, en faisant partager la conviction que les preuves de sa culpabilité n’existent pas, soit celui qui est coupable en tentant de faire comprendre ce qui a pu l’amener à agir comme il l’a fait, soit celui qui est victime en relayant sa conviction et sa douleur.
La nature des faits, l’horreur éventuelle de ceux-ci, la douleur de ceux qui ont été les victimes directes ou indirectes, dans leur chair ou dans leur âme, n’est pas du ressort de celui qui défend l’accusé. Il serait d’ailleurs bien malvenu de vouloir s’en charger et d’en être comptable et trahirait alors tout le monde, son client, sa fonction et l’institution judiciaire. Ou alors faisons une échelle des crimes et passé un certain seuil de violence ou d’atrocité, ou pour certains types de fait interdisons les avocats, bâillonnons aussi l’accusé, sa famille et d’ailleurs ne faisons plus de procès, et lynchons- le immédiatement, de préférence en place publique. Cela s’est fait en France à certaines époques, cela se fait toujours ailleurs.
Archibald Celeyron, Éric Dupond-Moretti, Christian Etelin, Édouard Martial, Antoine Vey sont des avocats. Ni obscènes ni méchants, justes avocats !
Frédérique Baulieu, Romain Boulet, Karine Bourdié, Marie-Alix Canu-Bernard, Julien Delarue, Corinne Dreyfus-Schmidt, Denis Fayolle, Emmanuelle Kneusé, Jacqueline Laffont, Jean-Yves Leborgne, Christian Saint-Palais, Clarisse Serre, Hervé Temime, Caroline Toby
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2 réponses
Bravo pour vos textes; il est évident que les accusés ne sont pas blancs comme neige ; mais il n’était pas possible de les rendre directement responsables des crimes de Merah; l’absence de celui-ci n’était pas une raison pour condamner ces proches pour ses crimes
Et qui a payé pour ces cinq avocats? Le Qatar, l’Arabie saoudite?
jmc