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avril 1, 2023

soulages actes sud
Qu'est-ce que Soulages nous aura rendu visible? Par Michaël de Saint-Chéron

Pour le centenaire de Soulages
Qu’est-ce Soulages nous aura rendu visible ?
Par Michaël de Saint Cheron

Au lendemain de l’exposition du centenaire « Soulages au Louvre », organisée par Alfred Pacquement, et de celle du centre Pompidou, organisée par Camille Morando et Bernard Blistène, directeur du MNAM, redécouvrons Pierre Soulages.

La découverte de l’abbatiale de Conques durant l’enfance le marqua à jamais. Il ne cessera d’être impressionné par le mystère de l’art roman, comme par la puissance des statues menhir de l’art pariétal vues au musée Fenaille de Rodez, sa ville natale. À partir de la guerre, il sera fasciné par l’abstraction, que les nazis taxaient d’art dégénéré (Entartete Kunst), et déjà par le noir, la couleur totalisante de toutes les couleurs.

A partir de 1948 une galerie de Stuttgart le découvre, puis James Johnson Sweeney, le directeur du Metropolitan Museum de New York, l’invite, enfin, dix ans plus tard le poète Léopold Sedar Senghor, futur président du Sénégal, voit en lui un frère du génie africain. Quoi de plus encourageant pour le futur maître de l’Outrenoir, qui sera reconnu jusqu’au Japon et en Corée ?

Parler de l’autorité du noir, nous oblige à faire halte sur une tache de goudron originaire, aperçue un jour par le jeune Soulages, flanquée sur un mur. Il y a vu immédiatement une autorité du noir, de ce noir, qui n’était pourtant pas séparable de toute sa fragilité, avec « sa pauvreté de salissure » pour reprendre ses mots ? Un dernier mot peut-être sur cette fragilité jusqu’à cette « pauvreté de salissure » valable dans les deux sens.
La moindre tache de blanc par exemple se fait criante sur un vêtement noir comme la moindre tache noire sur un vêtement blanc est rédhibitoire. Ce qui se donne comme autorité devient dans le mouvement inverse une vulnérabilité.

Mais revenons à la primauté soulagienne du Noir. Chez l’artiste, « il ne s’agissait plus d’imitation ou de citation (par exemple de masques africains chez Picasso et chez les Fauves), mais du postulat d’une parenté intime, existant même en dehors de toute référence directe d’un continent à l’autre », écrit l’historien d’art Hans Belting.

Par ailleurs, Senghor, dans un article visionnaire de 1958, dans Les Lettres nouvelles, écrit : « Mais le poète – j’allais dire : le musicien – complète l’architecture par l’emploi symbolique, mythique plutôt que mystique de la couleur. Car Soulages, contrairement à l’opinion courante, est un coloriste : Bien sûr toute son œuvre se place sous le signe du noir, qui devient, avec lui, la couleur majeure. Je remarque, en passant, que le noir est l’une des trois couleurs fondamentales de la peinture négro-africaine . »

Tout est-il dit ici sur cette symbolique de la couleur noire ? Plus qu’une symbolique, j’y vois une dynamique noire inséparable à jamais du grand art négro-africain, inséparable encore de la couleur de la peau de millions d’êtres humains si longtemps humiliés, pris en esclaves, victimes de l’apartheid.

Le Noir, comme couleur de l’humiliation, devenue pour le peintre la couleur par excellence !
Comme si elle avait été malmenée, comme si elle avait été blessée, outragée, saignée par les Blancs, depuis des siècles, et qu’un peintre européen, parmi quelques autres, sans y réfléchir peut-être au premier instant, avait fait en sorte de lui rendre sa première place. Donner au noir sa fierté, sa dignité de couleur, voilà l’une des puissantes significations du génie de Soulages.

L’arbre sans feuilles, autrement dit l’arbre d’hiver, mais surtout le noir mais non la noirceur, sont autant de significations portées par l’artiste à son acumen, à son point culminant.

Certaines toiles de Soulages sont au bord des larmes. On sait que dans plusieurs de ses expositions, certains pleurent en contemplant telle ou telle toile. On ne peut rien dire d’autre. Puis il y a ces peintures acryliques, qui évoquent pour plus d’un, les pavés ruisselants du magnifique photographe Brassaï dans les années 1950.
Les larmes qu’ont pu susciter les expositions de Soulages, ne cessent de nous questionner autant qu’elles constituent l’une des réponses à l’affirmation de Klee « L’art ne reproduit pas le visible, il rend visible ». Nous sommes en face d’une peinture qui rend visible une émotion, parfois tragique, souvent intrigante et fascinante.

Par Michaël de Saint CheronSoulages

11/12/2019

Michaël de Saint-Cheron, chercheur affilié à l’EPHE (Centre HISTARA), travaille sur la philosophe des religions et chercheur en littérature de la modernité. Philosophe des religions et écrivain. Chargé du patrimoine mondial à la Drac Île-de-France.
Il est l’auteur d’une trentaine de livres et directions d’ouvrages dont ses /Entretiens et essais sur Emmanuel Levinas/, Biblio essais, LGF (2010), Réflexions sur la honte (Hermann 2017), Les Ecrivains français face à l’antisémitisme, DDB (2015). Il a également publié /Soulages, d//’une rive à l’autre/, chez Actes-Sud, avec Matthieu Séguéla, pour saluer le centenaire du grand peint

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