"SE PROMENER D'UN PAS AGILE AU TEMPLE DE LA VÉRITÉ LA ROUTE EN ÉTAIT DIFFICILE" VOLTAIRE
juin 9, 2023
Les avancées victorieuses successives de l’armée ukrainienne à Izium, Lyman, et sur le front de Kherson, signalent qu’elle a réussi à établir un rapport de force à son avantage face à son agresseur russe. Elle est plus manœuvrière, plus motivée et mieux équipée que lui. L’Ukraine et ses alliés occidentaux ont d’ores et déjà montré, sur le terrain, que Vladimir Poutine avait commis une erreur stratégique en envahissant son voisin.
Maintenant que l’équilibre militaire est établi sur le front, la négociation politique redevient possible entre Russes et Ukrainiens. C’est ce que souhaitent les grandes puissances, membres permanents du Conseil de sécurité de l’Onu.
Meilleurs alliés de l’Ukraine depuis la révolution de Maïdan de 2014, les Américains ont, par la qualité de leur renseignement et de leurs livraisons militaires, contribué grandement à la résistance victorieuse des unités ukrainiennes. Mais ils ne sont pas tous jusqu’au-boutistes, loin de là. L’urgence du président Biden est désormais d’éviter une escalade du conflit – un « Armageddon » nucléaire – et si possible d’aboutir à un cessez-le-feu. Ses services de renseignement ont fait fuiter dans la presse que l’assassinat de la nationaliste russe Daria Douguina, dans un attentat à la voiture piégée à Moscou le 20 août 2022, était le fait des Ukrainiens. Une manière de leur dire de ne pas aller trop loin. Les responsables américains sont sensibles au discours de Trump du 9 octobre, qui les accuse de mener le monde à l’apocalypse nucléaire.
Certains commentateurs ont expliqué que l’armée russe était en débandade générale, que l’arrière perdait son moral, que la fin du régime de Poutine était proche, qu’on était en 1917. Il convient, à ce stade, d’être prudent et de ne pas prendre ses désirs pour des réalités. Bien sûr que tout le monde aimerait que Poutine démissionne, que la Russie revienne sagement à ses frontières de 1991, qu’elle renonce à avoir de l’influence chez ses voisins, qu’elle construise un Etat de droit démocratique chez elle, qu’elle réduise la taille de son armée, qu’elle abandonne gentiment ses armes nucléaires, qu’elle devienne une sorte de grande et pacifique Pologne, qu’elle tisse des liens de respect et d’amitié avec une Ukraine, que l’Occident aurait préalablement purgée de sa corruption endémique. Mais ce rose scénario a fort peu de chances de se réaliser. Le grand festin occidental n’est pas pour demain.
D’abord, Poutine, qui passe chez lui pour un centriste, n’est ni partant, ni parti. Les rares sondages indépendants disent que la majorité de la population russe le soutient encore. Un coup d’Etat militaire contre lui est improbable, tant il est bien gardé par le tout-puissant FSO. Ce service fédéral de protection de la Fédération de Russie, dépend directement du président Poutine, et compte au moins 30000 agents bien armés.
Ensuite, face à l’armée ukrainienne, l’armée russe n’a pas la qualité, mais elle a la quantité. Elle ne va plus se lancer dans d’audacieuses offensives mais s’enterrer aux limites de ses conquêtes et attendre de pied ferme d’éventuels attaquants ukrainiens. A tout attentat contre les infrastructures russes – comme celui sur le pont de Kertch -, elle répondra par des bombardements des villes ukrainiennes, comme elle a fait le 10 octobre 2022.
Le fait que l’armée ukrainienne soit fière de ses succès ne veut pas dire qu’elle ne soit pas fatiguée. Les Ukrainiens souhaitent épargner au maximum la vie de leurs jeunes soldats. Une offensive pour percer une ligne de front russe retranchée et renforcée risque d’être considérée comme humainement trop coûteux par les autorités élues d’Ukraine. Dans l’oblast annexé de Donetsk, les jeunes prorusses se battront farouchement, car leurs villes ont été bombardées par l’artillerie ukrainienne de 2015 à 2022. Les Ukrainiens ont une mentalité moderne : récupérer une Alsace-Lorraine perdue est souhaitable, mais cela n’autorise pas de sacrifier la moitié d’une génération de jeunes hommes.
La grande difficulté d’une négociation russo-ukrainienne est qu’elle devra, pour avoir la moindre chance de réussir, sauver la face des autorités de Moscou comme de Kiev. Aujourd’hui, personne n’a encore trouvé la recette miracle. Mais peut rouvrir le canal direct entre William Burns, directeur de la CIA et ancien ambassadeur à Moscou et Nikolaï Patrouchev, le très influent secrétaire du Conseil de sécurité russe.
Les Etats européens qui encouragent les Ukrainiens à récupérer la Crimée par la force sont irréalistes. Car les habitants de Crimée se sentent russes et ils se défendraient. Une telle offensive galvaniserait la réponse de la Russie tout entière.
Afin que ce conflit régional ne devienne pas mondial, l’urgence aujourd’hui est de faire taire les jusqu’au-boutistes des deux bords. Et d’ouvrir la voie à la reprise de négociations russo-ukrainiennes.
Renaud Girard
In le Figaro 11 Octobre 2022
Expert en géopolitique, il tient la chronique internationale du Figaro, il a écrit plusieurs ouvrages sur le Moyen-Orient, intervient dans les médias et anime régulièrement des conférences internationales. Il est notamment spécialiste de la zone Afghanistan/Pakistan, du Proche-Orient (Égypte, Liban, Syrie, Israël-Palestine), de la Russie et de la Chine. Il a été invité en décembre 2014 par le Asia Center et le China Institutes of Contemporary International Relations (CICIR).
Renaud Girard exerce également une activité de conférencier et de médiateur international. Il entreprend par exemple dès 2007 une médiation entre la France et l’Iran pour l’Élysée.
En 2014, il a reçu le Grand Prix de la presse internationale pour l’ensemble de sa carrière. Dernier ouvrage paru : Quelle diplomatie pour la France ? Prendre les réalités telles qu’elles sont (Cerf, 2017)
Il est également Professeur ( brillant ) à Sciences-Po Paris.
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Une réponse
J’ai beaucoup aimé votre article.
Il y a une question que je me pose: quels sont les réels moyens matériels des russes. D’un côté on nous dit que leurs exportations leur rapporte des fortunes et de l’autre coté on voit les appelés obligés d’acheter leur équipement ce qui parait surréaliste (j’imagine comment notre piou piou national réagirait) , d’un coté ils sont réduits à se fournir en Corée du nord de l’autre les chinois ne leur envoient aucun matériel? Tout cela nous dit que les sanctions pèsent très lourdement sur la Russie alors que l’Ukraine bénéficie d’une aide massive de l’Occident. En ce sens cela pourrait inciter Poutine à négocier sinon, s’il peut tenir dans la durée, si la population russe continue d’encaisser, il finira par l’emporter.