"SE PROMENER D'UN PAS AGILE AU TEMPLE DE LA VÉRITÉ LA ROUTE EN ÉTAIT DIFFICILE" VOLTAIRE

avril 1, 2023

Yitzhak Rabin interview de David Chemla et YItzhak Rabin 20 ans après par Denis Charbit

yitzhak-rabinEn hommage à Yitzhak Rabin , ignoblement portraituré en général nazi lors d’une manifestation à Jérusalem sous l’oeil goguenard de Netanyahu et lâchement assassiné par Ygal Amir, nous publions une interview de David Chemla- Secrétaire Général de JCall Europe – puis un article du Professeur Denis Charbit ainsi que le discours de remerciement d’Yitzhak Rabin lors de sa remise du diplôme Honoris Causa à l’université hébraïque au Mont Scopus le 28 Juin 1967.Nous n’avons pas l’habitude de mélanger les contributions mais il s’agit là d’un Homme d’Etat d’une envergure  exceptionnelle. Un véritable homme de paix!L’honneur d’Israël

Né en Tunisie, David Chemla a quitté pour la France ce pays peu après son indépendance. A la fin de sa scolarité Il a émigré en Israël où il a été membre d’un kibboutz pendant une dizaine d’années. De retour en France, il a été un des fondateurs du mouvement « La Paix Maintenant », créé en soutien au mouvement israélien de même nom. Auteur du livre « Bâtisseurs de paix », paru en 2005 chez Liana Levi, il a été un des fondateurs de JCall, cet appel de Juifs européens pour la paix au Proche-Orient, dont il est le secrétaire général européen. C’est l’un des plus fins observateurs de la société israélienne.
http://jcall.eu/

Interview de David Chemla Secrétaire Général de JCall Europe

Yitzhak Rabin un héros wébérien !

Leo Keller :
A l’image des très grands hommes d’État, De Gaulle, Nixon/Kissinger, Rabin qui au départ n’était pas une colombe a su opérer un aggiornamento de sa pensée n’hésitant pas à heurter la bienséance pensante de son camp.
L’homme qui n’a pas hésité à dire qu’il fallait « briser les os des émeutiers » est celui qui parmi les premiers – en tout cas le premier de son envergure – n’a pas tergiversé à tendre la main à son ennemi sur la pelouse de la Maison-Blanche.
Est-ce ce constat d’échec relatif qui lui a insufflé un tel courage, une telle lucidité ? Que vous inspire le cheminement du Prix Nobel de la Paix ?

David Chemla :
Je pense que la comparaison avec De Gaulle fait plus sens que celle avec le tandem Nixon/Kissinger. C’est celle, d’ailleurs, qui sert de référence lorsque l’on parle du conflit israélo-palestinien en Israël comme en France.

Rabin était un homme dont l’histoire personnelle a été intimement liée à celle d’Israël. Il est né et a été élevé dans ce pays avant que celui-ci n’existe. Très jeune, il a adhéré aux forces paramilitaires israéliennes qui ont précédé Tsahal. Il a étudié dans une école d’agriculture et a intégré le Palmach, les commandos qui rassemblaient majoritairement les jeunes issus des kibboutzim et des mochavim et qui ont intégré, après la création de l’Etat, la nouvelle armée d’Israël. Rabin a joué un rôle central pendant la guerre d’indépendance, notamment dans les combats pour libérer Jérusalem. Rabin a donc été forgé dans et par l’histoire du pays. Il est resté à l’armée durant les 20 premières années de sa vie d’adulte et a terminé sa carrière après avoir été chef d’état major pendant la guerre des 6 jours. Il connaissait donc bien les contraintes sécuritaires du pays et le contexte régional.
Mais, et c’est capital pour comprendre la dimension psychologique du personnage, il avait aussi la culture de base du sionisme pionnier proche des valeurs socialistes que sa famille lui avait transmises.
Il était un vrai représentant de cette élite, de cette aristocratie militaire et sociale des fondateurs d’Israël. Après la guerre des 6 jours, Rabin a été nommé ambassadeur à Washington où il a joué un rôle essentiel dans le renforcement des liens entre Israël et les Etats-Unis.
Bien qu’il ne fût pas au départ un homme politique, il est arrivé aux responsabilités après la guerre de Kippour lorsqu’il a succédé à la tête du parti travailliste à Golda Meir, dont la responsabilité, ainsi que celle de son ministre de la défense Moshé Dayan, avaient été mises en cause dans ce qu’on a appelé les « incuries » de la guerre de Kippour. Il avait battu lors des élections internes à la tête du parti travailliste Shimon Pérès et tout le monde connaissait leur animosité réciproque. Il est resté Premier Ministre jusqu’à sa démission en 1977, suite au « scandale » causé par la découverte que sa femme avait conservé un compte bancaire crédité de quelques centaines de dollars aux Etats Unis, contrevenant ainsi à la loi israélienne qui interdisait, alors, de détenir des comptes à l’étranger.
A cette époque, il n’y avait pas de négociations envisageables avec les Palestiniens et les contacts avec leurs représentants étaient interdits.
C’est une dizaine d’années plus tard qu’il a prononcé cette fameuse phrase sur les Palestiniens auxquels il fallait « briser les os » alors que, ministre de la défense dans un gouvernement d’union nationale dirigé par Yitzhak Shamir, il a du faire face à la première Intifada. C’est, je pense, pendant cette période que, confronté à cette rébellion populaire, il a compris qu’on ne pouvait résoudre ce conflit par la force; mais à ce moment il n’y avait pas encore d’ouverture politique côté palestinien.

Revenu au pouvoir en 1992 à la tête d’une coalition dirigée par les travaillistes, ce n’est pas lui qui entame la démarche qui conduira aux accords d’Oslo. Ce fut Shimon Pérès, alors ministre des affaires étrangères, qui laissa Yossi Beilin et ses deux émissaires, Ron Pundak et Yair Hirshfeld, prendre les premiers contacts avec les Palestiniens. Shimon Pérès en informa par la suite Rabin qui lui dit de poursuivre sur cette voie. A ce moment Rabin ne savait pas où ce processus allait mener et il n’était pas, non plus, sûr de la crédibilité d’Arafat en qui il n’avait pas confiance.
Mais au cours de ces négociations, et c’est cela qui est intéressant dans son personnage, il s’est convaincu qu’il y avait là une alternative possible, et à ce moment précis, il s’y est engagé totalement.

Rabin n’était pas un pacifiste comme l’ont été, par exemple, les mouvements opposés à la guerre du Viet Nam aux Etats-Unis dans les années 70. Des pacifistes, il y en eût en Israël même avant 1967, qui étaient engagés à trouver une solution au conflit avec les Palestiniens. Ce n’était pas son cas. Rabin, lui, était un sécuritaire qui connaissait les contraintes du pays et ses impératifs de sécurité. Il avait géré l’armée, il avait assumé et assuré la défense du pays. Mais lorsqu’il fût convaincu, confronté à la réalité de la révolte palestinienne, de l’existence d’une volonté palestinienne d’une indépendance- au départ on ne parlait pas d’ailleurs d’État Palestinien, on parlait simplement d’une vague autonomie dont les contours étaient d’ailleurs flous et imprécis – il a pris tous les risques. Il voulait surtout séparer Israël des Palestiniens et mettre fin à cette situation d’occupation.
Rabin était un homme pragmatique qui ne partageait pas la vision messianique que des opposants de droite pouvaient nourrir pour la Judée Samarie. Il était prêt à faire des compromis sur cette terre, tout en veillant aux intérêts stratégiques de l’État.
C’est cela qui est intéressant dans son parcours. C’est cette capacité d’évoluer. Voilà ce que je retiens de lui comme personnage historique : un homme venant de la sécurité et qui, confronté à la réalité de l’occupation, construit et adopte, les compromis nécessaires pour trouver une solution politique.

Léo Keller :
C’est ce qui m’avait intéressé dans sa formule. Ce n’est pas un idéologue. Il part d’une conviction très dure pour arriver à la pointe de la paix et c’est là la comparaison avec Kissinger-Nixon sur le Vietnam.

David Chemla :
C’est vrai sauf qu’il n’y avait pas d’intérêts stratégiques militaires américains, ni d’Américains vivant aux au Vietnam, et ce pays ne menaçait pas les USA.
C’est pour cela que la comparaison avec de Gaulle est plus percutante.
De Gaulle comme Rabin ont été tous deux confrontés à une autre réalité : une population française vivait en Algérie et des Israéliens se sont installés en Cisjordanie depuis 1967. Et de plus, il y a des considérations sécuritaires à prendre en compte parce qu’il n’y a pas de Méditerranée entre les deux territoires comme entre la France et l’Algérie. C’est un même territoire. C’est donc encore plus compliqué.

Léo Keller :
En 1976 Rabin compare les colonies à « un cancer dans le tissu de la société démocratique israélienne » et souhaitait après moult réflexions et hésitations leur démantèlement : « si l’on ne veut pas aller vers un apartheid. »
Pourtant c’est le même brillantissime officier du Palmach qui a déclaré en Juin 1967 : « Les parachutistes qui se sont emparés du Mur des Lamentations se sont appuyés à ces pierres et ont pleuré. Je doute que l’on trouve beaucoup de gestes aussi symboliques dans toute l’histoire de l’humanité. Nous avons gagné le droit d’être conscients de notre supériorité sans avoir pour autant méprisé nos adversaires. Notre armée est celle d’une nation qui aime et désire ardemment la paix, mais qui est aussi capable de se battre avec courage lorsque ses ennemis la forcent à le faire. »
Jacob Talmon écrivit en 1967 dans Haaretz : « La victoire a propagé l’ivresse de la force, elle a balayé tout sentiment de mesure, la force prenant l’aspect de la toute- puissance, de la réponse à tout ».
Près de 50 ans après, alors qu’Israël n’a jamais autant bénéficié d’une absence de menace stratégique de haute intensité, que vous inspirent les propos visionnaires d’un des plus grands héros voire hérauts d’Israël ?
L’implosion de l’URSS a subitement permis à Frederik de Klerk de se découvrir intelligent. Cette même implosion a-t-elle joué un rôle dans la vision de Rabin et de Peres, voire d’Arafat ?

David Chemla :
Il faut relire le discours prononcé par Rabin à Har Hatsofim (le Mont des Oliviers) en août 67 lorsqu’il il a été fait docteur Honoris Causa de l’université de Jérusalem après la guerre des six jours. Alors qu’auréolé d’une victoire éclatante- unique en six jours dans l’histoire militaire moderne -, il ne tint pas du tout le discours d’un général triomphaliste.
C’était plutôt au contraire un discours très retenu, qui parlait de valeurs, aux antipodes des valeurs bellicistes. Il n’y avait, non seulement pas de mépris pour l’adversaire, mais Rabin insistait sur l’exigence de trouver des solutions. Il y rappelait que cette guerre n’était pas une guerre de conquête. Ce qui me semble très important pour comprendre le personnage, c’est contextualiser ses paroles et ses actes. On peut en effet dire des choses en 67, mais 25 ans plus tard le monde a changé.

Léo Keller :
Est-ce lié à l’implosion de l’URSS, de Mandela et de Klerk ?

David Chemla :
Je n’en suis pas certain. Même s’il est vrai que les années 90 sont les années de l’implosion de l’URSS, celles de la fin de l’apartheid en Afrique du Sud sous l’impulsion du tandem Mandela et de Klerk, celles où Fukuyama développe sa théorie sur « la fin de l’Histoire » et alors que dominait un sentiment d’euphorie en Occident. Pour comprendre l’évolution de Rabin et de Pérès vis-à-vis des Palestiniens, je pense qu’il faut revenir à l’histoire du conflit et des changements survenus depuis 1967.
Rappelons tout d’abord que la guerre des 6 jours fut une guerre de défense qui a entrainé une occupation qui n’était ni voulue, ni programmée de la Cisjordanie (ou Judée et Samarie) par les Israéliens. Certes, l’armée israélienne avait des plans en cas d’occupation de territoires arabes dans ses tiroirs avant 1967 – à l’instar de toutes les armées du monde qui préparent des plans pour faire face à toutes les situations – mais ces plans n’avaient pas été mis à jour depuis la guerre de Suez de 1956. Le général Chaim Herzog (le père d’Yitzhak Herzog, l’actuel président du parti travailliste), qui avait la responsabilité de l’unité de réservistes en charge d’une éventuelle gestion de territoires occupés, rapporte dans le livre de Shabtaï Teveth (The cursed blessing : the story of Israel’s occupation of the West Bank, London Weidenfeld § Nicholson, 1970) que son unité n’avait été mobilisée que le 5 juin et qu’elle n’était pas prête à assumer les tâches auxquelles elle a été confrontée suite à la guerre. N’oublions pas que dès que la guerre éclate, le gouvernement israélien a fait savoir au roi Hussein de Jordanie de ne pas bouger. Si ce dernier, trompé par les informations en provenance du Caire et de Damas sur les « succès » des armées arabes, n’avait pas décidé de bombarder Jérusalem Ouest, Israël n’occuperait sans doute pas aujourd’hui la Cisjordanie et l’on ne serait pas dans la situation actuelle.
Au lendemain de la guerre, la doctrine officielle de la direction politique israélienne de l’époque était d’échanger ces territoires occupés contre la paix. En quelque sorte, on les gardait en gage pour les échanger.

Et puis, progressivement, il y a une évolution par rapport à ces territoires et c’est tout ce processus qu’il faut décoder avec, notamment, le développement des idées messianiques et de suprématie de la force, comme le rapporte Yakov Talmon ou Amnon Kapeliouk.
Mais dans les 10 premières années, cette évolution reste la marque de groupes marginaux qui ont encore peu d’influence sur la direction politique du pays. Ce fut d’ailleurs l’erreur de Pérès de les avoir laissés s’installer dans des zones à proximité des villes palestiniennes comme à Sébastia qui est devenue ensuite la colonie d’Elon Moreh. En 1977, 4400 israéliens sont installés dans des colonies majoritairement situées le long du Jourdain, c’est-à-dire à des endroits stratégiques sur le plan sécuritaire et en accord avec le plan Allon. Il y a quelques exceptions : la zone du Goush Etsion, une région à l’est de Jérusalem où il y avait eu 4 kibboutzim qui étaient tombés pendant la guerre d’indépendance, et où les descendants des fondateurs de l’un d’entre eux, Kfar Etsion – qui avaient été massacrés en 1948 – sont venus se réinstaller quelques semaines après la guerre des 6 jours. Et à l’exception aussi de Hébron, où des religieux s’installent dès le printemps 1968 dans un camp militaire jordanien abandonné qui deviendra par la suite la ville de Kyriat Arba.
Dans les dix années qui suivent, la droite, qui accède au pouvoir avec Begin en 1977, encourage les implantations en dehors de ce périmètre. A la veille de la première intifada en 1987, il y a 60 000 colons et le sentiment dominant alors en Israël est que cette occupation dite « éclairée » est bien supportée par la population palestinienne qui bénéficie des retombées économiques du développement du pays. 100 000 Palestiniens travaillent quotidiennement en Israël, il n’y a ni mur, ni frontières entre les deux territoires. Quand la première intifada éclate, à la stupéfaction de la majorité d’entre eux, les Israéliens découvrent que les Palestiniens n’acceptaient pas cette situation et qu’ils voulaient leur autonomie et leur indépendance. Cette révolte dite « des pierres »éveilla même un sentiment d’empathie au sein de la société israélienne. Cette première Intifada n’était pas une guerre comme le sera la seconde. Rabin, ayant dû la gérer en tant que ministre de la défense, était arrivé, lui, à la conclusion qu’il fallait chercher une solution politique.
Ainsi le processus d’Oslo est plus la résultante de cette prise de conscience et de la nécessité de sortir Israël de ce guêpier, tout en assurant les besoins sécuritaires du pays.

C’était plutôt cette démarche qui poussa les dirigeants israéliens travaillistes de l’époque à enclencher le processus d’Oslo davantage que la conjoncture internationale. C’était le constat que même si l’occupation semblait supportable par les Palestiniens – malgré quelques attentats- et que l’économie marchait bien, on ne pouvait pas continuer comme cela et qu’il fallait trouver une solution politique.
Il faut rappeler aussi que depuis les accords de paix signés avec l’Egypte et la Jordanie, il n’y avait pas de menace militaire externe. Même avec la Syrie il y avait un statu quo respecté. La seule frontière où il y avait des risques sécuritaires pour la population israélienne était celle avec le Liban.
En résumé c’est, véritablement, la prise de conscience de la nécessité d’une solution politique plutôt que les évolutions du monde des années 90 qui ont été déterminantes dans les choix israéliens.

Léo Keller :
Et du côté d’Arafat ne peut-on dire qu’il savait qu’il ne pouvait plus compter sur le soutien de l’URSS ?

David Chemla :
Je pense qu’avant de parler de l’URSS, il faut rappeler la position du monde arabe qui s’est toujours servi de la cause palestinienne. Cet élément est plus structurant que la position de l’URSS pour comprendre l’évolution palestinienne.
Le mouvement national Palestinien s’est construit, depuis son origine, dans une confrontation avec le mouvement sioniste ; puis pendant longtemps dans le refus d’une solution de compromis avec lui : refus de la proposition de la commission Peel en 1938, refus du partage en 1947 etc.
Le traumatisme de la Nakba – « la catastrophe » pour les Palestiniens suite à la création d’Israël qui a causé le départ des réfugiés (750 à 800 000 selon les estimations) – est fondateur de l’identité palestinienne. Il fait partie de leur histoire, de leur narratif. Et tant qu’Israël ne le comprendra pas – même si maintenant beaucoup d’Israéliens le comprennent de plus en plus – tant qu’Israël n’intègrera pas la signification que représente pour chaque famille palestinienne les événements de 48 et sa responsabilité dans cette tragédie, il est impossible de trouver de solution. Je tiens à préciser que comprendre cette responsabilité n’implique pas un retour des descendants de ces réfugiés. D’autres solutions existent pour résoudre ce problème, notamment, en mettant en place des compensations ou un retour dans le futur État palestinien le jour où il existera. Mais revenons à l’histoire : de 1948 à 1967, la cause palestinienne est utilisée par les pays arabes, mais pas vraiment soutenue. Il y a bien en 1964 la création avec Choukeiry au Caire de l’OLP. Mais c’est une direction fantoche qui tient surtout des discours tels que : « on va jeter les juifs à la mer » mais ne représente pas une force militaire.
En 67 les Palestiniens sont pour la première fois re-confrontés aux Israéliens avec l’occupation. Et là, ils sont en situation, les trois armées arabes ayant été défaites, d’être sur le terrain les premiers résistants. Ils ont commencé à faire quelques actes de résistance ou de terrorisme. Peu importe la façon dont on les appelle puisque de leur point de vue, c’est de la résistance. La bataille de Karamé en mars 68 est très importante dans l’histoire du mouvement national palestinien parce que c’est la première fois où les forces israéliennes et palestiniennes se sont confrontées militairement. Au cours de cette bataille, une trentaine de soldats israéliens sont tués, une centaine de jordaniens et de 100 à 200 combattants palestiniens. Mais le plus important pour les Palestiniens, c’est qu’ils ont reconquis à leurs propres yeux, et aux yeux du monde arabe, leur dignité en continuant le combat que les autres armées arabes avaient déserté. Mais nous sommes donc toujours dans la période du refus.
En 1987, l’Intifada est déclenchée par les populations palestiniennes vivant en Cisjordanie sous occupation. Arafat et l’OLP, au départ, n’ont aucun contrôle sur elle et ne la pilotent pas de l’extérieur. Ils accompagnent simplement la révolte et s’en arrogent le prestige. Mais c’est essentiellement une révolte des forces de l’intérieur.
C’est en 1988, au congrès de l’OLP à Alger, que pour la première fois les Palestiniens ouvrent la porte à une reconnaissance d’Israël dans une formule qu’on peut effectivement considérer comme ambiguë – chacun ayant sa version selon son point de vue. Mais il y a une ouverture à une reconnaissance d’Israël, en différenciant les territoires occupés de l’État d’Israël.

Le processus d’Oslo est précédé par une phase où des contacts ont été établis entre Palestiniens et Israéliens. C’est notamment le cas en France, sous l’égide de Pierre Mendès-France qui a organisé des rencontres entre Issam Sartaoui, un dirigeant palestinien modéré, qui fut assassiné par la suite par des extrémistes palestiniens, avec des représentants de la gauche israélienne comme le général Matti Peled, le colonel Meïr Païl, Uri Avneri et Liouba Eliav, ancien secrétaire du parti travailliste. Arafat était évidemment au courant de ces contacts.
Je pense donc que l’on assiste à une longue maturation, aussi du côté palestinien, qui a conduit au processus d’Oslo qui a été plus facile à faire accepter à ses débuts aux Palestiniens du fait de leur honneur retrouvé suite à l’Intifada.
Le fait que l’URSS ait disparu avec la chute du Mur ne me semble pas avoir été un élément déterminant dans l’évolution palestinienne parce que la cause palestinienne n’avait jamais intéressé fondamentalement l’URSS qui a toujours privilégié les États comme la Syrie ou l’Égypte plutôt que des mouvements nationaux incontrôlables.

Léo Keller :
Juste comme Staline avait utilisé Israël ?

David Chemla :
Oui mais Staline avait soutenu Israël à sa création parce que les Israéliens menaient une guerre d’indépendance contre l’empire britannique et que les soviétiques espéraient ainsi mettre pied dans cette région du Proche Orient qui a toujours été stratégique pour eux. N’oublions pas que la clé de la géopolitique c’est d’abord la géographie.

Pour Arafat, ce qui est déterminant, me semble-t-il, dans son évolution, ce n’est pas tant le lâchage de l’URSS, qui d’ailleurs n’est plus un acteur majeur dans les années 90, mais plutôt le constat (et l’on peut faire une analogie entre Arafat et Sadate) que grâce à la première Intifada et à la révolte armée, il a acquis un prestige auprès de son peuple et qu’il fallait trouver une solution politique. Il a donc laissé cette porte entrouverte à la négociation pour arriver à ce qu’il appelait à la « paix des braves.» C’est d’ailleurs la critique, que je peux faire à Rabin, et encore davantage plus tard à Barak, c’est qu’ils n’ont pas du tout intégré dans leur analyse la symbolique que représente pour les Palestiniens, la reconnaissance de leur souffrance causée par la Nakba et de leur honneur retrouvé par l’Intifada.

Léo Keller :
Celui qui l’a intégré c’était Shlomo ben Ami ?

David Chemla :
Oui certains dans la gauche israélienne étaient plus sensibles à cette question, mais ce n’était pas le cas de tous les dirigeants. Rappelez-vous cette image d’Ehud Barak à Camp David en 2000 poussant Arafat pour qu’il rentre en premier dans la salle de réunion, comme s’il voulait le forcer à accepter ce qu’il allait lui proposer. C’est le symbole de l’incompréhension totale entre deux sensibilités. C’est là que réside la tragédie. Le conflit est un conflit historique entre deux nationalismes. C’est un conflit auquel il y a des solutions si on l’aborde, hors de tout point de vue religieux, avec une démarche pragmatique et rationnelle. Mais il a aussi une dimension symbolique émotionnelle très importante qu’il faut prendre en compte. Si on ne le fait pas, si on n’intègre pas la peur de l’autre, la sensibilité de l’autre, et ce des deux côtés, il n’y aura jamais de solution.
Cela ne signifie pas que l’on doive tout accepter et être d’accord, pour les Israéliens, avec tout ce qu’Arafat voulait. Arafat n’avait jamais, par exemple, accepté que l’on puisse refuser aux réfugiés, ou à leurs descendants, le droit de retour. Par contre les choses ont ensuite évolué après sa mort, quand par exemple Mahmoud Abbas a déclaré que, bien que né à Safed, il ne demandait pas à y retourner.

Léo Keller :
Au-delà des animosités personnelles- mais dont ils ont su s’abstraire -qu’est-ce qui différencie l’analyse de Rabin- brillantissime général- et de Pérès ?

David Chemla :
C’est vrai que c’est Rabin qui, en tant que chef d’état major, avait préparé l’armée à la guerre des six jours. Puis Dayan s’est auréolé de la victoire.
Rabin était aussi un homme d’État. Car un homme d’État est quelqu’un qui opère des choix mêmes douloureux et les assume, sans chercher à gagner l’élection suivante. Rabin avait intégré une vision à long terme. Et je ne pense pas qu’il y avait une différence entre lui et Pérès à ce propos.
Certes les deux hommes avaient des différends. Au départ Rabin avait un certain « mépris » envers Pérès qu’on présentait comme un apparatchik qui avait fait carrière politique et qui n’était pas un militaire. Pour autant Pérès a contribué à la sécurité du pays. Ben Gourion lui avait confié la direction du ministère de la Défense et c’est lui le père de l’industrie nucléaire israélienne. Lorsque Rabin et lui se sont retrouvés en concurrence pour prendre la direction du parti en 1974, c’est Rabin qui l’a emporté.

Léo Keller :

Peut-on dire que l’un est plus idéologue que l’autre ?

David Chemla :
Je pense que Pérès, tout comme Rabin, a lui aussi évolué.
Rabin était un pragmatique, un sécuritaire qui, confronté à la réalité d’une Intifada qu’il a dû gérer, était arrivé à la conclusion qu’il fallait une solution politique. Il n’était pas un pacifiste; il avait même un certain mépris pour Shalom Akhchav (La Paix Maintenant) qui n’a même pas été informée des négociations avec les Palestiniens. Lorsque Rabin s’envola pour signer à Washington les accords d’Oslo, ce n’est pas un représentant de Shalom Akhchav qu’il invita avec lui, mais le père d’un soldat qui avait été kidnappé et tué par le Hamas. Ce père a créé par la suite le Forum des familles endeuillées israéliennes et palestiniennes; une O.N.G. qui existe toujours et rassemble aujourd’hui 600 familles, moitié israéliennes et moitié palestiniennes. Rabin a voulu ainsi, au moment de la signature des accords d’Oslo et de la joie qui les accompagnait, faire une place à la douleur du deuil pour rappeler qu’il n’oubliait pas le lourd tribut payé par la population israélienne à cause du terrorisme palestinien. C’est d’ailleurs en tant qu’ancien militaire qu’il s’était présenté sur la pelouse de Washington, rappelant son matricule et ses titres militaires.
Pérès était peut-être plus politique que ne l’était Rabin, bien qu’il intégrait lui aussi la dimension sécuritaire. N’oublions pas qu’il fut à l’origine du programme nucléaire israélien et de « l’usine textile » de Dimona. Depuis son décès, on insiste aujourd’hui sur son côté visionnaire. C’est vrai qu’il fallait l’être pour se lancer dans l’aventure nucléaire dans les années cinquante, alors qu’Israël était un petit pays faible et dépendant, même avec le soutien de Ben Gourion, mais contre l’avis de l’État-major qui aurait préféré que l’argent englouti dans ce projet aille plutôt au renforcement de l’armée. Après leur retour au pouvoir en 1992, quand il va trouver Rabin pour lui présenter le processus enclenché à Oslo, Pérès était sans doute plus visionnaire que lui. Il n’avait certes pas à ce moment de vision d’une solution en termes d’État pour les Palestiniens, mais il était plus ouvert que Rabin qui méprisait Arafat. Pérès a donc ouvert la porte. Mais lorsque le processus fut enclenché, à ce moment-là, je pense qu’ils ont travaillé ensemble de façon harmonieuse. Et durant les trois années qui ont suivi de 1992 à 1995, toutes leurs animosités dues à leurs conflits antérieurs sont passées au second plan et n’existaient plus devant leur combat commun pour un accord avec les Palestiniens.
Opposer donc ces deux hommes me semble donc abusif. Ils avaient, certes, des caractères différents dus à leurs histoires personnelles. L’un était peut être plus visionnaire que l’autre ce qui ne l’a pas empêché de faire de graves erreurs politiques. La première quand, ministre de la défense en 1975, il avait soutenu les implantations au cœur de la Samarie, pensant que cela n’aurait pas de conséquences pour le futur et qu’il serait toujours possible de déloger les colons par la suite. L’autre erreur, quand il n’a pas appelé à des élections tout de suite après l’assassinat de Rabin, préférant peut être, comme le soutient Fréderic Encel respecter le calendrier électoral par respect pour la démocratie ; ou plutôt pour ne pas les gagner sur le dos de la mort de son ancien rival, comme le pense Elie Barnavi.
C’étaient donc deux personnalités qui se sont retrouvés sur le tard, l’un entrainant peut être l’autre au début, mais assumant tous les deux leur choix pour une paix de compromis.

Léo Keller :
Laissons-nous aller à l’uchronie ! Si Rabin n’avait point été assassiné, son génie charismatique et sa vision impeccable forgée dans les combats – mais en respectant la pureté des armes- auraient-il pu modifier profondément la donne géopolitique ? Me vient à l’esprit ce qu’écrivit Raymond Aron dans les carnets de la guerre froide : « On se demande avec angoisse si, en allant dès l’origine, jusqu’au bout des concessions inévitables, on n’aurait pas évité la tragédie. »

David Chemla :
Faire l’histoire avec des si peut lui faire dire n’importe quoi. Yigal Amir, l’assassin de Rabin, avait la possibilité de tuer Pérès puisqu’ils étaient tous les deux présents à la même manifestation à Tel-Aviv. Pérès était descendu le premier de la tribune, mais Amir a choisi d’attendre et de tirer sur Rabin parce qu’il pensait – et il a malheureusement eu raison de son point de vue – que Rabin était le plus dangereux des deux. Il savait que compte-tenu de son passé de militaire, de sa personnalité, Rabin était l’homme qui pouvait faire accepter aux Israéliens les compromis nécessaires. Pérès ne bénéficiait pas du même crédit auprès de la population israélienne.

Si Pérès avait procédé à des élections le lendemain de l’assassinat de Rabin, il aurait certainement été élu avec une très confortable majorité, ce qui lui aurait permis de faire les compromis difficiles et de prendre les décisions politiques nécessaires. Difficile de savoir comment les choses auraient évolué. Peu importe, mais il est certain qu’Amir a choisi, de son point de vue, la bonne cible.
Si Rabin n’avait pas été assassiné, on peut penser qu’il y aurait eu quand même des attentats, car ils étaient commis par la frange palestinienne hostile à tout compromis avec Israël, comme le Hamas. Ce n’est pas la seule politique israélienne qui est responsable de cette situation. Évidemment les Palestiniens ont aussi une grande part de responsabilité dans les blocages et dans le terrorisme qui s’en est suivi. Mais il est certain que Rabin, comme Sharon 10 ans plus tard, lui aussi compte-tenu de son prestige d’ancien général, était capable de faire des choix difficiles et de les faire accepter par la population israélienne.

Parce que comme de Gaulle, capable en son temps, de faire voter par référendum l’indépendance algérienne par les Français, Il est certain que c’est toujours plus facile pour la droite de faire les compromis : Begin avec Sadate, Sharon avec le retrait de Gaza et Rabin avec Oslo ! Ce sont presque toujours des leaders de droite – Rabin n’était certes pas de droite – mais ce sont des leaders auréolés du crédit dû à leur prestige militaire qui font plus facilement accepter les décisions difficiles qui touchent à la sécurité du pays.
Ce qui fut beaucoup plus compliqué pour Pérès ou pour tout autre dirigeant politique depuis. Nous en sommes aujourd’hui toujours là, à la recherche d’un nouveau général qui sera capable demain d’être une alternative au gouvernement actuel. Mais cela est une autre histoire.

Léo Keller :
Qui fut l’héritier le plus direct de Rabin ? Peut-on tracer un parallèle avec cet autre héros visionnaire de la paix que fut Arik Sharon ? Que représente aujourd’hui Rabin dans le roman national israélien ? Est-ce précisément le fait qu’il fut un vrai sioniste qui permit au glorieux soldat de rêver ?

David Chemla :
Sharon- Rabin d’abord : Rabin était un enfant de Ben Gourion comme Sharon et tout comme Pérès. Ils furent forgés tous trois dans le contexte des années 48, du combat pour l’indépendance. Sharon et Rabin dans l’armée. Pérès dans l’armement et la sécurité puis dans la politique. Sharon était, comme Rabin, un pragmatique et non un idéologue. Ce qui lui permit d’ailleurs de faire les compromis nécessaires. Pour lui la terre n’avait pas plus d’importance symbolique qu’elle soit à Hébron ou ailleurs. Il était bien davantage sensibilisé aux questions sécuritaires.
Sharon a joué un rôle central dans les années 70-80 à l’époque du gouvernement Begin notamment dans la colonisation, et pendant la première guerre du Liban. Il avait cru pouvoir lui aussi défaire par la force Arafat et ses forces militaires au Liban. Ça s’est terminé en catastrophe politique, en tout cas pour lui, puisqu’il a été obligé de démissionner de son poste de ministre de la Défense après le massacre de Sabra et Chatila commis par les phalangistes chrétiens. Mais il avait comme Rabin, vu son passé la capacité de prendre des décisions. Et lorsqu’il, prenait une décision il allait jusqu’au bout.
Sharon n’a pas hésité en 2003 lors d’une réunion interne du Likoud – alors qu’il était Premier ministre- de parler à plusieurs reprises d’occupation. Il a utilisé le mot en hébreu « Kibouch », un mot utilisé habituellement seulement par la gauche. La droite ne parle pas d’occupation, elle parle de territoires contestés etc. Sharon a répété trois fois ce mot « occupation » ce qui a fait bondir le Likoud à l’époque. Il était conscient de cela, il pensait déjà sans doute à Gaza.

Léo Keller :
Il a quand même évacué des colonies en Judée Samarie !

David Chemla :
Effectivement, il a évacué quatre colonies dans le nord de la Samarie. Ce qui amène certains à penser, qu’il ouvrait ainsi la porte à d’autres retraits ultérieurs. Encore une fois l’on ne peut savoir ce qui se serait passé s’il n’avait eu son attaque cérébrale.

Léo Keller :
C’était courageux de sa part quand même !

David Chemla :
Oui certainement ! Mais il avait le soutien de la majorité de la population israélienne. Les colons de Gaza pensaient qu’il y aurait des vagues de manifestants qui s’opposeraient à leur départ. Finalement la majorité des Israéliens n’a pas bougé.
Certes sur le plan symbolique Gaza n’est pas la Judée Samarie. Dans le Tanakh, c’est-à-dire la Bible, on parle de Gaza notamment lors de l’épisode de Samson contre les Philistins. Mais les principaux événements rapportés se sont déroulés en Judée Samarie. Donc pour les religieux, Gaza n’a pas la même force symbolique que la Judée Samarie.

De plus il y avait un clairement un problème démographique. 9000 colons vivaient au milieu de 1 900 000 Palestiniens avec tous les risques sécuritaires que cette promiscuité entrainait. Sharon avait parfaitement compris que l’on ne pouvait assurer leur sécurité, que cela coûtait trop cher en vies humaines, et qu’il fallait sortir de ce guêpier.
En effectuant ce retrait de Gaza, il a, certes, considérablement amélioré la position d’Israël sur la scène internationale. Mais malheureusement il l’a fait sans passer un accord préalable avec les Palestiniens et en les méprisant. C’était après la mort d’Arafat. En ignorant Mahmoud Abbas et en ne négociant pas avec lui, il a indirectement favorisé l’arrivée au pouvoir du Hamas. C’est aussi une erreur que l’on peut lui imputer. S’il avait essayé d’obtenir un accord avec l’OLP, il n’est pas sûr que le Hamas n’aurait pas accédé au pouvoir, mais cela aurait pu changer la donne.
Sharon comme Rabin avaient donc tous les deux la capacité de faire passer des décisions difficiles.

Est-il l’héritier de Rabin ? La réponse n’est pas évidente. Je pense que Rabin avait pris conscience de la nécessité d’une solution politique qui aurait donné une forme d’autonomie aux Palestiniens, dont il ne connaissait pas exactement, d’ailleurs, le contour. Je ne pense pas que cela était le cas pour Sharon.

Léo Keller :
Mais pourtant Sharon a eu un discours dans lequel il a dit : « nous aurons des décisions très douloureuses à prendre et il faut les prendre » !

David Chemla :
Exactement mais ce sont des décisions en termes de compromis territorial. Il n’avait pas cette reconnaissance de l’adversaire qu’a pu avoir Rabin. Rabin a serré la main d’Arafat, Sharon jamais ! Il ne me semble pas que Sharon avait intégré un État Palestinien dans son système de réflexion.
Il voulait un compromis, partir et après moi le déluge! En sortant de Gaza, c’est ce qu’il a fait d’ailleurs, en les laissant se débrouiller tout seuls. Il a jeté la clé derrière la porte ! Et je pense que ce fut une erreur politique qui a amené le chaos à Gaza. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y en aurait pas eu autrement. Mais il aurait été plus intelligent, même dans l’intérêt des Israéliens, de sortir de Gaza suite à des négociations. Rabin ne concevait des retraits que dans le cadre de négociations.

Léo Keller :
Rabin dans le roman national israélien ?

David Chemla :
D’abord pour les jeunes de moins de 25 ans, Rabin est le nom d’un hôpital et d’une place à Tel Aviv ! Je pense qu’il y a une méconnaissance profonde de l’homme Rabin.
De plus, depuis une quinzaine d’années, on assiste à un certain lavage de cerveau pratiqué par la droite israélienne à travers les médias, et notamment le journal gratuit Israël Hayom que les Israéliens lisent majoritairement. Ce journal appartient à Sheldon Adelson, un juif américain milliardaire, ami de Netanyahu qui lui avait demandé à l’époque de le créer pour l’aider dans sa conquête du pouvoir. Aujourd’hui ce gouvernement s’attaque aux autres medias télévisuels, notamment la seule chaîne publique, pour les contrôler.
A l’étranger, on parle beaucoup de Haaretz, mais ce journal n’est lu en Israël que par 3 % de la population israélienne, donc si l’on enlève les politiques, les diplomates et les intellectuels, c’est un journal qui n’est pas lu par le public israélien.
Compte tenu de ce qui s’est passé depuis une vingtaine d’années, on présente Rabin et Pérès, comme les responsables des horreurs d’Oslo, les responsable des attentats, les traîtres qui ont voulu rendre, affaiblir le pays etc.
C’est cela l’image que beaucoup de jeunes ont de Rabin et pas celle du héros. Alors évidemment, il y a bien les 80 ou 100 000 manifestants qui se sont encore rassemblés cette année lors de la commémoration de son attentat pour lui rendre hommage. C’est plus ou moins le public de gauche. Mais ils ne sont pas majoritaires. Il y a aussi évidemment les commémorations officielles …

Léo Keller :
Enfin ce que l’on a vu avec Naftali Bennet c’est honteux !

David Chemla :
Cette année, au moment de l’anniversaire de l’assassinat de Rabin, le chef du groupe parlementaire du Likoud à la Knesset a dit que ce n’était pas un assassinat politique, mais l’œuvre d’un détraqué. Voilà ce que l’on fait passer comme lavage de cerveau. Rabin était un traître et il a été assassiné par un détraqué ! Et ces idées sont passées auprès d’une grande partie du public jeune. Il faudrait enseigner l’histoire, revenir sur le contexte des événements et des appels au meurtre qui ont précédé son assassinat !

Léo Keller :
Est-ce précisément le fait qu’il fut un glorieux soldat, qui fait rêver les soldats ?

David Chemla :
Non les soldats ne rêvent pas de cela. Ils rêvent d’une chose c’est de rentrer chez eux. J’ai été soldat, j’ai participé à des guerres et ce que je peux vous assurer, ce dont on rêve c’est d’avoir un bon repas le soir, de rentrer en paix chez soi le shabbat, de retrouver ses amis et sa petite amie, de sortir de la guerre. Et non pas de sionisme !

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David Chemla
Paris le 14 Décembre 2016

 

Yitzhak Rabin, plus de 20 ans après,
Par Denis Charbit

Nous tenons tout particulièrement à remercier Denis Charbit pour sa très aimable contribution alors qu’il est en année sabbatique aux Etats-Unis
Sociologue, politologue, maître de conférences au département de sociologie, science politique et communication à l’Open University d’Israël, Denis Charbit est l’un des observateurs les plus avertis de la société israélienne et, partant, de l’ensemble du Proche-Orient.
Denis Charbit est réputé pour parler avec mesure de la société israélienne.
Il est l’auteur de plusieurs livres et articles qui portent sur la nation en Israël et en France. Parmi ses publications récentes, « Qu’est-ce que le sionisme ? » (Albin Michel, 2007), « Les Intellectuels et l’Etat d’Israël » (éditions de l’éclat, 2009). Il a publié à l’automne 2013, en hébreu une anthologie de textes des Lumières et de la Révolution française aux éditions Carmel.
Enfin il vient de publier aux éditions du Cavalier bleu dans la collection idées reçues « Israël et ses paradoxes » où il dépeint brillamment les paradoxes de la société israélienne.

 

Article de Denis Charbit

Chaque année, à l’approche du mois de novembre, un fantôme nous hante, un revenant nous guette: Yitzhak Rabin n’en finit pas de se retourner dans sa tombe, et son souvenir qui s’estompe d’une année à l’autre nous dépouille de nos dernières certitudes. Lors de sa disparition, il nous laissait un engagement en forme de testament pour la paix, toujours la paix, surtout la paix. L’espoir d’une paix imminente, pour conjurer l’intention préméditée de l’assassin, contrebalançait le chagrin de sa perte. Cet espoir est aujourd’hui à l’agonie, y compris parmi ceux qui revendiquaient fièrement il y a vingt ans leur engagement pour cette cause. C’est pourquoi on devrait se recueillir à double titre tous les 4 novembre : parce que Rabin est mort, parce que cet espoir de paix est moribond.
Il est vrai que cette commémoration instituée par une loi votée à la Knesset en 1997 était, dès le départ, placée sous le signe de l’ambiguïté. Célébrer la mémoire de l’homme d’Etat assassiné en constitue le passage obligé: on évoque ses faits d’armes sur le champ de bataille comme dans l’arène politique; son style de leadership, discret et rigoureux; son parler-vrai inimitable; son intégrité morale au nom de laquelle il avait remis sa démission comme premier ministre en 1977 en signe de solidarité avec sa femme qui allait être traduite en justice pour avoir omis de fermer son compte en banque aux Etats-Unis à une époque où c’était encore illégal.
Certes, plus de vingt ans après, il devient plus difficile pour des jeunes de s’identifier à Rabin puisqu’ils sont tous nés après sa disparition. Sa voix ne leur dit rien, ses traits ne leur rappellent rien, c’est pour eux de l’histoire ancienne, touchante, étrange, pas un événement dont ils peuvent dire comme nous: « nous étions au moment où nous avons appris sa mort en tel lieu ou à tel endroit, défaits, stupéfaits, atterrés, comme si la terre avait tremblé sous nos pieds. » On a donc recours au mythe, à la légende, à l’image d’Epinal, à la minute de silence que ces jeunes enfants respectent parce qu’on le demande, non parce qu’ils en éprouvent le besoin. Chaque secteur éducatif respectif (laïc et religieux) arrange le héros à sa sauce. Il s’avère que dans certaines écoles religieuses, on s’est rendu compte que la date hébraïque de l’assassinat de Rabin correspondait, jour pour jour, à celle de la disparition de Rachel la matriarche. Le saviez-vous ? Quelle aubaine, alors du coup, on escamote le souvenir du premier au profit de la commémoration de la seconde. Et lorsque, sans aller jusqu’à cette extrémité, on préfère éviter de convoquer le fantôme d’Oslo et ses déchirements consécutifs, rien de tel que de se ruer sur la prise de la vieille ville par Rabin, alors chef d’état-major, ou sur la réunification de Jérusalem proclamée en 1967 qui, justement, réunit tout le monde dans un consensus bien venu. Passe encore l’exaltation de la démocratie, le rappel des règles du jeu politique à respecter, le respect du suffrage universel, et le rejet de la violence, encore que sur ce point il est difficile d’expliquer que les trois balles tirées dans le dos d’Yitzhak Rabin ont été inutiles, qu’elles n’ont eu aucun effet politique. Nul ne pourrait déclarer solennellement: « ces balles ont tué un homme, pas son idéal. » Car… comment dire…, c’est que…, en effet,… pour le coup…, la réalité actuelle est bien copie conforme à celle que souhaitait Yigal Amir en préméditant son crime. Contrairement à l’attentat du Petit-Clamart par lequel ses auteurs souhaitaient éliminer le général de Gaulle qui avait déjà commis l’irréversible en évacuant la France de l’Algérie, Yigal Amir voulait supprimer celui dont il pensait, à tort ou à raison, qu’il était le seul leader qui parviendrait à faire la paix. Autrement dit, il voulait arrêter à temps la catastrophe et faire rebrousser chemin à l’histoire. C’est chose faite. Yigal Amir s’en réjouit tous les jours du fond de sa cellule, et il peut décidément penser que le sacrifice de sa liberté est peu de chose par rapport à la situation qui, somme toute, est bien celle qu’il souhaitait faire advenir avec une paix au point mort et la Judée-Samarie toujours bien entre les mains d’Israël.
Car le vrai problème posé par ces commémorations du 4 novembre est bien la politique de paix du premier ministre assassiné. Comment commémore-t-on un échec? Comment célèbre-t-on un espoir avorté? Comment explique-t-on que tel était son projet, mais que ses successeurs ont en jugé autrement, et notamment le dernier d’entre eux. Alors, faute de pouvoir en parler, « car, comprenez-vous, la paix, c’est politique, ce n’est pas consensuel », eh bien on se noie dans de grandes déclarations sur Rabin, le grand homme, Rabin le héros, Rabin le chef d’état-major; on rapportera une anecdote inédite de son chauffeur, de son aide-de-camp, d’un compagnon d’armes ou d’un voisin de palier pour cerner la vérité du personnage hors du commun, et simultanément dissimuler le vide, l’abîme, l’aporie, et refouler ce qui gêne.
Yitzhak Rabin reste donc comme un pionnier sans relève, un maître sans disciple, un roi sans héritier, un homme riche dont on rejette l’héritage jugé trop encombrant, comme un génie de la musique dont l’ultime chef d’œuvre serait une symphonie inachevée. Et si d’aucuns ne se défilent pas devant ce non-dit, c’est pour expliquer et asséner aussitôt que c’est l’ennemi, toujours l’ennemi et rien que l’ennemi qui ne voulait pas de la paix et n’en veut toujours pas.
La disparition, le mois dernier, de Shimon Pérès est apparu comme une étape de plus dans cette via dolorosa que traverse le camp de la paix. Pérès n’en était-il pas le dernier symbole tant il s’était identifié lui-même à cette noble cause avec la persévérance et l’optimisme qui le caractérisaient? A cet égard, ses funérailles en grande pompe avaient quelque chose de troublant: autant que pour l’honorer, les Grands de ce monde semblaient se recueillir devant la dépouille mortelle de la paix définitivement ensevelie. Netanyahou, dans son oraison funèbre, en a donné une illustration remarquable en soulignant ses divergences avec Pérès: Netanyahou pensait que la sécurité est prioritaire et que c’est par elle qu’on aboutit à la paix, tandis que Shimon Pérès estimait que la paix elle-même est la sécurité par excellence. Mais Netanyahou a eu beau dire qu’ils avaient raison tous les deux, l’enjeu n’est pas là: paix et sécurité ne sont nullement contradictoires, et tous savent bien que le règlement du conflit inclura des garanties de sécurité de nature territoriale, militaire et diplomatique.
Des obsèques de Pérès à la commémoration de Rabin, il convient d’ajouter une autre date à ce calendrier du deuil, et qui sera, sans aucun doute, plus controversée encore: le cinquantième anniversaire de la guerre des Six-Jours, de Jérusalem réunifiée, des implantations qui ont crû et multiplié ou, pour les rabat-joie que nous sommes, cinquante ans d’occupation. On a longtemps désigné par « camp de la paix » tous ceux qui se ralliaient à cette cause et ont soutenu Rabin dans sa démarche. L’expression laisse entendre que le Likoud constitue celui de la guerre, ce qui occulte le fait que le premier accord de paix fut signé, avec l’Egypte, par Menahem Begin, fondateur et leader du Likoud. Il serait plus adéquat de les désigner ainsi : le camp de la décolonisation contre le camp du statu quo et du maintien de l’occupation ou, si le mot gêne tout comme celui de « colonie », le camp des implantations. C’est là la ligne de partage, le clivage irréductible. La gauche s’est longtemps accommodé des territoires, elle s’en accommode de moins en moins. Elle estime pour un ensemble de raisons morales, politiques, diplomatiques et économiques que l’exercice continue de cette domination exercée sur une population étrangère est préjudiciable aux intérêts à long terme de l’Etat d’Israël.
Le camp de la paix, ou plutôt le camp de la décolonisation, est aujourd’hui en crise. Les facteurs sont nombreux, au premier rang desquels un climat régional et international qui ne prédispose pas à l’optimisme et à la confiance. Rappelons-le, Oslo avait eu lieu dans ce même temps suspendu de la fin de l’apartheid, la chute du mur de Berlin, et la reprise du Koweït des mains de Saddam Hussein. Mais le répit fut de courte durée. Le nouvel ordre international, érigé en « fin de l’histoire », avait sa part d’ombre tragique, laquelle l’a submergée: génocide au Rwanda, épuration ethnique en Ex-Yougoslavie, les attentats du 11 septembre, la seconde guerre du Golfe… Enfin, après le paradigme heureux des révolutions en Tunisie et en Egypte qui furent l’exception, le « printemps arabe » en Syrie a tourné au cauchemar, plongeant la communauté internationale dans la confusion la plus totale puisque voilà que du camp des libérateurs censés s’affranchir du dictateur, a surgi une mafia terrifiante, sordide et barbare, faisant de l’autre barbare une nouvelle persona grata par défaut. Dans ce contexte, on ne peut être surpris que l’optimisme du début des années 1990 apparaisse aussi déplacé, inadéquat, anachronique.
Car c’est là la victoire la plus subtile remporté par les partisans du statu quo. Plus besoin d’être contre la paix, il suffit de montrer qu’elle est inadaptée. Longtemps, le statu quo était voué même par ceux qui le défendaient, à être temporaire pour laisser place un jour, fut-il différé, à cette dynamique pacifique qui finirait par triompher des antagonismes. Aujourd’hui, le statu quo apparaît aux Israéliens comme le moins mauvais des régimes, car tout en conférant une autonomie bien relative aux Palestiniens des grandes villes de Cisjordanie, ce qui dispense Israël d’en assumer les responsabilités civiles, la sécurité militaire de la région reste entre les mains de Tsahal. Dans ce contexte régional chaotique, on peut comprendre la prudence et la réticence de mes concitoyens: nombreux redoutent qu’un traité de paix inaugurant une nouvelle ère se retourne et s’effondre sous le poids des forces hostiles à la paix qui subsisteraient encore. Autrement dit, ils craignent de lâcher la proie pour l’ombre.
Le climat actuel est à la fermeture, à la xénophobie, à la méfiance généralisée. Quiconque plaide pour d’autres voies est aussitôt taxé de « bisounours ». La violence terroriste qui s’abat régulièrement sur l’Europe n’incite guère à des révisions politiques. Il est extrêmement difficile dans ce contexte de plaider la cause de la paix et de la réconciliation. En outre, les Palestiniens sont sceptiques sur la détermination des Israéliens à la faire et cherchent une issue du côté des instances internationales. Celles-ci ne pourront ne leur offrir que des compensations symboliques sous forme de condamnation rituelle des agissements d’Israël, non assortie de sanction car s’il y a injustice, déni de liberté, refus du droit à l’autodétermination et violation du droit international, comme le réitèrent la majorité des membres des Nations-Unies au grand dam d’Israël, le conflit demeure cependant « de faible intensité » et, de surcroît, Israël constitue dans la région un facteur de stabilité stratégique, en plus d’être une puissance nucléaire, militaire et énergétique.
Alors que faire? Faute d’une alternance politique conséquente, il faut revenir aux initiatives bottom-up pour que Palestiniens et Israéliens, en dépit de l’asymétrie de leurs conditions respectives, se rencontrent, dialoguent, redessinent l’espoir, multiplient les échanges entre eux. Ces démarches sont indispensables, car ce qui mine la volonté de paix, c’est le sentiment de menace et de peur qui habitent les deux parties réciproquement. Cette dimension psychologique est le plus grand obstacle à une culture de paix, laquelle ne peut plus aujourd’hui être pensée comme consécutive à la paix, mais doit la précéder, comme on dit de la guerre qu’elle est annoncée par une culture de guerre.
Pas plus que 1789 n’était la faute à Voltaire et la faute à Rousseau, il me paraît trop simplificateur de penser que s’il n’y a pas la paix, c’est la faute à Netanyahou ou la faute à Mahmoud Abbas. Le président américain Barack Obama avait dit lors sa première visite en Israël en 2013 – il était venu relancer le processus de paix que John Kerry voulait prendre en charge : « des leaders politiques ne prennent de graves et lourdes décisions que si leurs peuples les obligent à les prendre. »
Ce travail-là est à faire, à poursuivre, à mener. Il est de longue haleine. Certains lui préféreront sans doute le combat contre le BDS et la lutte contre les résolutions de l’UNESCO. Ce militantisme-là est parfois opportun, on s’y réchauffe, mais s’il est le seul combat qu’on mène, qu’est-il alors sinon la continuation de la guerre par d’autres moyens? Un combat n’exclut pas l’autre, mais quiconque mène le premier sans daigner poursuivre le second rend un tribut à la cause d’Israël, pas à celle de la paix qui fut le dernier combat d’Yitzhak Rabin. Nous sommes en guerre, nous dira-t-on, mais il y a ceux qui s’en contentent (je n’ai pas écrit: « qui s’en réjouissent »), et ceux qui, engagés dans cette guerre, refusent de déserter le front de la paix qui doit lui succéder.
Rencontrer des Palestiniens lorsqu’on est un Juif israélien, rencontrer des Israéliens lorsqu’on est un Palestinien, c’est s’aventurer sur un terrain miné, entouré de sables mouvants et exposé à de vents mauvais; c’est faire des premiers pas timides, hésitants, dans un no man’s land; c’est accepter de laisser à distance certitudes et préjugés réciproques; c’est essayer de voir l’interlocuteur qui vous fait face autrement qu’avec les lunettes manichéennes qui identifient si commodément lequel des deux est le bien, lequel est le mal; c’est mettre un visage là où l’on voyait la figure informe de l’ennemi; c’est comprendre que personne n’a le monopole de la souffrance, mais que la douleur est partagée. L’exercice est difficile, lent, déstabilisant. Il ne s’agit ni pour les uns ni pour les autres de changer de rive et d’épouser la cause de l’adversaire, mais de faire l’effort de concilier et réconcilier des fidélités contradictoires. De redonner espoir, sans illusion et sans naïveté, de faire incursion dans une terre promise qu’on a tort d’abandonner aux cyniques et aux indifférents qui n’en ont cure.

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Denis Charbit
14 Décembre 2016

 

Yitzhak Rabin: Acceptance of Honorary Doctorate
Mt. Scopus
June 28, 1967

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Following the victory of the Six day war, IDF Chief of Staff Yitzhak Rabin was awarded an honorary doctoral degree by the Hebrew University. His acceptance speech was a symbolic act, delivered in the name of the entire IDF. The speech was given in the amphitheater of the newly liberated Hebrew University campus on Mount Scopus, that had been dormant behind enemy lines for 19 years, since the Israel War of Independence. For Rabin and for his comrades, the liberation of Jerusalem was the completion of unfinished business that had waited for 19 years, since the chance had been missed in 1948, the fulfillment of a silent pledge made by the men and women of that generation. In addition to the Hebrew University campus, the wailing wall and the Jewish quarter of the old city, vanquished and ethnically cleansed in 1948, the cemetery on the Mount of Olives, and all the other places that Israelis had gazed at from across barbed wire for 19 years, were finally under Jewish rule.
The speech was Rabin’s way of saying thank you to the soldiers of the IDF. He stressed that the degree was granted to the entire IDF, of which he was only a representative, to honor the spiritual values that had sustained them in the war.
For the generation of the Six day war and perhaps for all Israelis who remember that speech, it was in many respects high point of the achievement of Zionism, and of the reborn Jewish nation. In his speech, Rabin emphasized not victory but the cruelty of war, extending sympathy and empathy to the fallen enemy as well as to the families of our soldiers who had fallen in battle. He stressed that the marvelous heroism of our soldiers was due to their conviction that this was a just war and to their spiritual motivation, which served to sustain them against superior numbers of enemy soldiers armed with better weapons. The truth of this judgment was perhaps illustrated by the contrast with other wars, where the IDF performed less brilliantly despite superiority of arms. Rabin’s reference to spiritual values as more important than arms, and to faith in the morality of our cause, is reminiscent of a speech by David Ben-Gurion, an address to the Mapai Central Committee in January, 1948.
The speech was written under Rabin’s supervision and with his revisions, by the chief education officer of the IDF, Mordechai Bar-on, and was reworked by his staff. Rabin ordered Bar-on to stress the human aspects of the war, and to the dependence of victory on spiritual motives. The speech, which was remarkable for modesty, for absence of arrogance, and for sensitivity to the cost of war for Israel and the Arabs, became a symbol of the virtues worthy of the army and its soldiers.
To many, Yitzhak Rabin came to symbolize Zionism. Since then, new generations of Israelis forgot on the one hand, what the victory in Jerusalem had symbolized, and on the other, what Rabin had symbolized and what Rabin had fought for. One faction had never known East Jerusalem when it was inhabited by Jews and did not feel a historic connection with it. They did not understand why Israelis should be ruling a place that was clearly so alien. The graves on the Mount of Olives and the wailing wall meant nothing to them, as did the Hebrew University. The national attachment to Jerusalem, both because of its ancient connection with the Jewish people, and because of the many tragic events and the blood shed in trying to defend it, had little significance for them.
Another group had only a religious attachment to Jerusalem. The humanitarian aspects of Rabin’s legacy and of Zionism meant nothing to them. They did not understand what Rabin and his generation had done for the Jewish people. Those who still remembered and kept the faith, were intensely shocked when Yitzhak Rabin was murdered by religious fanatic Yigal Amir on November 4, 1995, for trying to make peace.
Ami Isseroff
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The Hebrew University of Jerusalem,
Mt Scopus Campus, 1967
Mr. President, Mr. Prime Minister, Mr. President of the Hebrew University, Mr. Rector of the Hebrew University, Members of the Board of Governors, Ladies and Gentlemen:
I stand here before you, the leaders of our generation, in awe, in this ancient, glory filled place overlooking our eternal capital and looking upon the staging grounds of our nation’s earliest history.
You have chosen to do me the great honor of conferring upon me the degree of Doctor of Philosophy, along with a number of distinguished persons who are doubtless worthy of this honor. Permit me to say what is in my heart:
I see myself here as the representative of the thousands of officers and tens of thousands of soldiers who brought the victory of the Six Day War to the State of Israel; as the representative of the entire Israel Defense Forces.
It may be asked: why should the university have been moved to bestow the degree of honorary Doctor of Philosophy, upon a soldier in recognition of his war services? What have soldiers to do with the academic world, which stands for the life of civilization and culture? What have those who are professionally occupied with violence to do with spiritual values?
However, I see in this honor that you are sharing, through me, with my fellow soldiers, a profound appreciation of the special character of the Israel Defense Forces, which is itself an expression of the distinctiveness of the Jewish People as a whole.
The world has recognized that the Israeli Army is different from most other armies. Though its first task, that of maintaining security, is military, it also assumes numerous tasks directed to the ends of peace. These are not destructive, but constructive, and are undertaken with the object of strengthening the nation’s cultural and moral power.
Our work in the field of education is well known, and even received national recognition in 1966 when the army won the Israel Prize for Education. Nahal, which already combines military duties with work on the land, and the teachers in border villages who also contribute to social development and the like, are only a few examples of the unique nature of the Israel Defense Forces in this sphere.
Today, however, the university is conferring on us an honorary degree in recognition of the army’s moral and spiritual force as shown precisely in active combat. For we are all here in this place only by the heavy battle, from which, even though it was forced on us, we emerged with a victory which is already viewed as victorious. victorious.
War is intrinsically harsh and cruel, accompanied by much blood and tears. But the war we have just fought also brought forth marvelous examples of rare courage and heroism, side by side with the most moving expressions of brotherhood, comradeship and even spiritual greatness.
Anyone who has not seen a tank crew continue its attack even though its commander has been killed and its tank almost destroyed, who has not watched sappers risking their lives to extricate wounded comrades from a mine field, who has not witnessed the concern for a pilot who has fallen in enemy territory and the unremitting efforts made by the whole Air Force to rescue him, cannot know the meaning of devotion among comrades.
The nation was excited, and many even wept when they heard of the capture of the Old City. Our Sabra youth, and certainly our soldiers, have no taste for sentimentality and shrink from any public show of emotion. In this instance, however, the strain of battle and the anxiety which preceded it, joined with the sense of deliverance, the sense of standing at the very heart of Jewish history, to break the shell of hardness and diffidence, stirring up springs of feelings and spiritual discovery. The paratroopers who conquered the Wall leaned on its stones and wept. It was an act which in its symbolic meaning can have few parallels in the history of nations.
We in the army are not in the habit of speaking in high-flown language, but the revelation at that hour at the Temple Mount was greater that the constraints of habitual language, which brought forth is profound truth.
Moreover, the elation of victory has seized the whole nation. Yet among the soldiers themselves a curious phenomenon is to be observed increasingly. They cannot rejoice wholeheartedly. Their triumph is marred by grief and shock, and there are some who cannot rejoice at all. Those battling in the front lines saw with their own eyes not only the glory of victory, but also its cost — their comrades fallen beside them soaked in blood. I know that the terrible price the enemy paid has also profoundly affected many of our men. Perhaps the education and the experience of the Jewish people has never brought it to feel the joy of the conqueror and the victor, and therefore the matter is accepted with mixed feelings.
In the Six Day War there were manifestations of heroism beyond that of the single, daring assault in which a man thrusts himself forward almost without thinking. In many places there were long and desperate battles: in Rafah, in El-Arish, in Um-Kal Um-Kataf, in Jerusalem and on the Golan Heights. In these places, and in many others, our soldiers showed a heroism of the spirit and a courage of endurance which inspired feelings of wonder and exaltation in those who witnessed them.
There is much talk of the few against the many. In this war, perhaps for the first time, since the Arab invasions in the spring of 1948 and the battles of Negba and Degania, units of the Israel Defense Forces in every sector stood few against many. The significance of this is that relatively small groups of soldiers often encountered a sea of long, deep networks of fortifications, surrounded by hundreds and thousands of enemy troops, through which they had to cut and force their way for many long hours. They pressed on through a sea of dangerous, even when the momentum of the first charge, the exhilarating momentum, had dissolved, and all that remained to sustain them was their belief in our strength, with no alternative alternative, and in the goals of the war, and the summoning of every resource of spiritual strength to continue to fight to the finish.
Thus, our air force persisted and rained its blows on the enemy. Thus our armored forces broke through on all fronts; thus, our paratroops fought their way into Rafah and Jerusalem, our sappers cleaned minefields under enemy fire. The platoons that penetrated enemy lines reached their goal after hours of battle, while they pressed ever forward, while their comrades fell to the right and left of them and they continued forward – only forward! These platoons were carried by the power of moral and spiritual values, not by arms or battle technique.
We have always demanded the best of our young people for the Israel Defense Forces. When we said « HaTovim La Tayis » (« The Best for the Air Force »), and this expression became a concept, we were not referring only to technical skills and abilities. What we meant was that if our Air Force was to be capable of defeating the forces of four enemy states in a few short hours, they must have moral values and humanitarian values.
The pilots who hit the enemy aircraft with such accuracy that no one in the world understands how it was done and they seek technological explanations for it in the area of secret weapons; the armored troops who stood their ground and overcame the enemy even when their equipment was inferior; the soldiers in all the other branches of the IDF who withstood our enemies everywhere despite the superiority of their numbers and fortifications — what they all manifested was not only calmness and courage in battle but a strong faith in their righteousness, knowledge that only their personal, individual readiness to meet the greatest of dangers, could bring victory to their country and their families, that if the goal was not attained, it would spell annihilation.
Moreover, in every theater, our officers of all ranks were outstanding in their superiority to enemy officers. Their resourcefulness, their intelligence, their ability to improvise, their concern for their troops, and above all, their practice of leading their men into battle: these are not matters of technique or equipment. There is no reasonable explanation except in terms of their profound recognition of the morality of their war.
All these manifestations begin and end in the spirit. Our soldiers prevailed not because of iron but because of their consciousness of a supreme mission, because of their recognition of the justice of our cause, of deep love of their homeland, and because of their understanding of the difficult task laid upon them: to ensure the existence of our people in their homeland, and to maintain, even at the cost of their lives, the right of the Jewish people to live its life in our state, free, independent and in peace and tranquility.
This army, that I had the privilege of leading in this war, came from the people and will return to the people: a people which rises above itself in time of emergency, and prevails over all enemies by its moral and spiritual strength in times of trial.
As the representative of the Israel Defense Army and in the name of all the soldiers, I accept your appreciation with pride.

Neuilly le 15 Décembre 2016

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