VERS UN DÉGEL SINO-AMÉRICAIN ?Par Renaud Girard

VERS UN DÉGEL SINO-AMÉRICAIN ?
Par Renaud Girard



Il y a des visites diplomatiques qui comptent plus que d’autres, qui ne participent d’aucune routine, et qui sont cruciales pour l’avenir de la paix dans le monde. Celle du Secrétaire d’Etat américain à Pékin, les 18 et 19 juin 2023, en fait partie. Car jamais le climat entre les deux premières puissances économiques et militaires du monde n’avait été aussi mauvais depuis l’établissement de leurs relations diplomatiques en 1979, à tel point que les historiens parlaient déjà de guerre froide.

Le fait que le président Xi Jinping ait dépassé le strict protocole pour accorder une audience à Antony Blinken signifie que l’Amérique n’est pas seule à souhaiter un dégel et que la Chine la suit sur ce point. Le président chinois a estimé que la visite du chef de la diplomatie américaine avait contribué positivement à la « stabilisation des relations » entre Washington et Pékin. C’est-à-dire qu’elle en avait stoppé le mouvement continu de dégradation depuis une dizaine d’années, récemment accéléré par la rencontre officielle de deux speakers successifs de la Chambre des Représentants avec la présidente taïwanaise, ainsi que par le soutien chinois à la guerre russe en Ukraine.

Pour mettre fin à une guerre froide, le dégel, forcément provisoire, est une étape nécessaire mais pas suffisante. Il doit être suivi de trois autres phases concrètes, que Charles de Gaulle baptisait, en son temps, de détente, d’entente et de coopération. On n’en est pas encore là.

 Mais le pire a été – provisoirement ? – évité. Wang Yi, le plus haut responsable diplomatique du parti communiste chinois, résuma les choses en recevant Blinken le 19 juin au matin : les deux superpuissances mondiales devaient désormais choisir entre dialogue ou confrontation, coopération ou conflit.

En hommes d’Etat responsables, le président Biden et le Secrétaire d’Etat Blinken comprennent l’importance de la diplomatie. Ils souhaitent maintenir ouverts des canaux de communication sur tous les sujets avec leurs rivaux chinois. Ils veulent éviter qu’une mauvaise perception des intentions de l’autre ou qu’une erreur de calcul transforme une « rivalité systémique » en un conflit armé.

Les Américains assument être en rivalité avec la Chine pour le leadership du monde. Mais ils ne souhaitent pas que cette compétition politique, technologique, économique, somme toute légitime, dégénère en conflit. Ils tirent les leçons de l’échec des politiques de « reset » (rallumage) avec la Russie, des administrations Obama, Trump et Biden. Les diplomates américains estiment qu’étant l’agresseur, Vladimir Poutine est le principal responsable de la guerre en Ukraine. Mais ils savent aussi, comme vient de le leur rappeler l’ancien président Bill Clinton, qu’ils n’ont peut-être pas tout fait pour gérer correctement la paranoïa obsidionale du dirigeant russe. La diplomatie ne se limite pas à construire et à présenter clairement des positions rationnelles ; elle est aussi l’art de comprendre et de gérer les positions des autres acteurs internationaux, même et surtout quand elles vous apparaissent à première vue irrationnelles.

Le chef de la diplomatie américaine a compris à quel point les Chinois étaient à fleur de peau sur la question de Taïwan. Voilà pourquoi, à Pékin, a-t-il tenu à rappeler publiquement que les Etats-Unis reconnaissaient une seule Chine et qu’ils n’appelaient pas à l’indépendance de l’île. Mme Tsaï, la présidente de Taïwan élue et réélue démocratiquement, évite elle-même d’utiliser le mot, sachant qu’il constitue une ligne rouge pour les Chinois. Antony Blinken a rappelé que la position américaine n’avait pas changé depuis 1979 : oui au principe d’une Chine unique, non à l’usage de la force pour ramener les Taïwanais dans le giron continental. Si un jour les Taïwanais souhaitent être administrés par Pékin, c’est à eux et à eux seuls de le décider démocratiquement.

Blinken a eu raison d’évoquer publiquement la question de Taïwan. Car c’est, de loin, la plus explosive dans les relations sino-américaines. A deux reprises, le président Biden a dit qu’une attaque de Formose par l’armée chinoise provoquerait un engagement militaire américain.

Une telle invasion – qui nécessite de traverser 170 kms de mer –  n’est pas pour demain. Les Chinois savent que l’Amérique les dépasse militairement. Mais, patients, ils peuvent très bien attendre un moment de paralysie politique à Washington. C’est ce qu’avaient fait les Turcs en juillet 1974, lorsqu’ils s’emparèrent de 38% du territoire chypriote.



Pour l’heure, on peut redouter qu’un incident naval dans le détroit de Formose ne dégénère en conflit armé, voire en troisième guerre mondiale. La stratégie du dégel exige désormais que des mesures de confiance soient prises entre états-majors navals américain et chinois, comme naguère en Syrie entre aviateurs russes et américains.

Renaud GIRARD
In le Figaro

Expert en géopolitique, il tient la chronique internationale du Figaro, il a écrit plusieurs ouvrages sur le Moyen-Orient, intervient dans les médias et anime régulièrement des conférences internationales. Il est notamment spécialiste de la zone Afghanistan/Pakistan, du Proche-Orient (Égypte, Liban, Syrie, Israël-Palestine), de la Russie et de la Chine. Il a été invité en décembre 2014 par le Asia Center et le China Institutes of Contemporary International Relations (CICIR).

Renaud Girard exerce également une activité de conférencier et de médiateur international. Il entreprend par exemple dès 2007 une médiation entre la France et l’Iran pour l’Élysée.
En 2014, il a reçu le Grand Prix de la presse internationale pour l’ensemble de sa carrière. Dernier ouvrage paru : Quelle diplomatie pour la France ? Prendre les réalités telles qu’elles sont (Cerf, 2017)
Il est également Professeur ( brillant ) à Sciences-Po Paris.

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