Inde-Usa ou l’invention du PACS en diplomatie. Par Leo Keller

Inde-Usa ou l’invention du PACS en diplomatie.
Par Leo Keller
28/06/2023

« Je suis l’épouse, monsieur, et je suis la maîtresse,
Et j’ai sur votre cœur ces deux droits à la fois. » 1

« Le rang des époux est un rang redoutable,
Qui donne, en se formant, un lien inviolable,
Et dont le sacré nœud, que le Ciel a formé,
Doit par un saint respect être toujours aimé. » 2


Nous remercions tout particulièrement le grand dramaturge que fut Racine de sa participation involontaire pour éclairer la problématique indienne dans l’agression russe en Ukraine.

En guise d’introduction quelques miscellanées


Henry Kissinger, dont on vient de célébrer les 100 ans, fut toute sa vie obsédé, et l’on comprend aisément pourquoi, par l’influence de l’Homme d’Etat sur le cours de l’Histoire et de ses événements.
D’où son immarcescible admiration pour Metternich et donc pour lui-même. Pour caricaturer et simplifier à l’extrême, dans quelle mesure un Homme d’Etat peut-il influencer, voire empêcher, ou provoquer, et non pas seulement accompagner les divers mouvements tectoniques qui secouent les politiques étrangères des différents pays, soit en s’emparant de leurs intérêts soit en les émaciant.

Citons à ce sujet le propos du grand columnist américain Walter Lipmann :
« Mais s’il est vrai que l’homme ne peut rien de plus que ce qu’il peut, le gouvernement ne peut rien de plus que ce que peuvent les gouvernants. Tous les souhaits du monde, toutes les promesses basées sur la supposition qu’il existe des autocrates omniscients et philanthropes, ne feront pas naître des hommes capables de dresser le plan d’un avenir qu’ils sont incapables d’imaginer, d’administrer une civilisation qu’ils sont incapables de comprendre. » 3

L’Inde nous semble à cet égard l’exemple parfait d’une diplomatie remarquablement intelligente parce que nourrie au gaullisme ou parfaitement erratique – ça n’est après tout qu’une question de point de vue- parce que pétrie de poncifs arrogants et vestiges hérités d’un passé colonial.
Citons à cet égard Raymond Aron :
« Les actes humains sont toujours intelligibles. Quand ils cessent de l’être, on met les acteurs en dehors de l’humanité, on les baptise aliénés, on les tient pour étrangers à l’espèce. Mais l’intelligibilité ne ressortit pas à un type unique et ne garantit pas que l’ensemble, dont chaque élément est en lui-même intelligible, apparaisse sensé à l’observateur»4

Nous tenterons donc de visiter la politique étrangère de l’Inde au trébuchet de ses intérêts bien compris. Puis dans un deuxième temps nous les disséquerons, vu du côté des Occidentaux. Enfin nous examinerons les solutions offertes aux Américains pour tâcher de conserver le domino indien.


Pourquoi l’Inde ? Elle n’est pas la seule à avoir bravé et défié la solidarité occidentale dans l’agression russe en Ukraine. Après tout, tant de pays qui font partie de ce que l’on appelle – un peu rapidement- le Sud Global ont eu une attitude au moins aussi complaisante qu’elle dans l’affaire ukrainienne.
Nous employons à regret le terme Sud Global tant il est tiraillé et traversé d’intérêts contraires. Brésil, Turquie, Afrique du Sud, Sénégal voire Hongrie se sont au moins autant solidarisés de la Russie ou, à tout le moins, ont autant refusé de condamner la Russie.
La Turquie est quoi qu’on en dise- encore- membre de l’OTAN et la Hongrie- toujours- membre de l’Union.
L’Iran- quant à lui vogue à grandes brasses vers l’arme atomique grâce à l’abyssale et incommensurable bêtise de Donald Trump alors que l’Inde s’était dotée auparavant de l’arme atomique sans susciter l’ire américaine ou entraîner des sanctions.
Bien plus en 2005, les USA signèrent avec l’Inde un accord compréhensif portant sur des questions nucléaires.

Dans l’affaire ukrainienne, il faut donc considérer un ensemble de facteurs qui ne revêtent pas tous la même intensité et qui projettent des signaux parfois, voire souvent, oxymores et qui complexifient donc la prise de décision.
Pour son malheur ou pour son bonheur, tout dépend d’où l’on se place, l’Inde est la voisine immédiate de la Chine. La Turquie a- elle – aussi une mitoyenneté délicate, mais une mer la sépare de la Russie.

La fragmégration du monde

Analyser l’agression ukrainienne comme un élément isolé relevant de la seule volition de revanche impériale russe est certes intéressant, mais ne rend en aucun cas compte de ce que l’on appelle dorénavant la « fragmégration » du monde.

La Turquie Erdoğanienne, membre de l’OTAN, a acheté des S 400 à la Russie provoquant les foudres de Zeus américain, l’interruption des livraisons de F 35 et la fin de la coopération technologique de divers programmes militaires. L’Inde membre du QUAD qui, certes n’est pas une alliance, mais les alliances ne sont plus celles d’antan- s’était déjà équipée de S 400 et collabore encore étroitement à ce jour avec la Russie dans le programme du missile Brahmos, n’a rien encouru.
L’ancienne ministre des Affaires étrangères indiennes Nirupama Rao puis ambassadrice en Chine et aux USA prend  bien soin de le préciser :
« But U.S. policymakers should not mistake India’s Quad involvement for an alliance; New Delhi will not act as a balancer for Washington against Beijing. Instead, India is playing both sides in the U.S.-Chinese rivalry. India is a part of the Washington-led Quad but also the Beijing-led Shanghai Cooperation Organization. It routinely attends trilateral meetings with both China and Russia. It continues to actively participate in the multilateral forum known as BRICS, which stands for Brazil, Russia, India, China, and South Africa. » 5

Churchill aimait à qualifier Foster Dulles d’une formule lapidaire et cruelle mais savoureuse : « John Foster Dulles is the only case i know of a bull who carries his china shop with him. »

Nous eussions souhaité que la diplomatie américaine s’émancipât et s’affranchît de la lourdeur de la bien-pensance, de la morale américaine- à géométrie variable- et de la pensée évangélique qu’hors des USA il n’y a point de salut.
Après avoir perdu- partiellement- la tutelle exclusive sur la Turquie, et l’Arabie Saoudite, il est urgent de maintenir le soldat Modi hors des eaux dangereuses de la Russie et des rets plus subtils et surtout plus efficaces de la Chine.

Comme le disait si finement le géographe Yves Lacoste : « La géographie, ça sert d’abord à faire la guerre. »
Laissons le soin aux diplomates, avertis de cette évidence, d’affadir son caractère adamantin. Chine, Inde tout les oppose et tout les indispose, sauf peut-être ce ressentiment de haine inavouée et enfouie, de rancœur et d’acrimonie vis-à-vis de l’Occident qui les avait tant humiliés, si souvent, si longtemps et si durement occupés mais surtout si injustement colonisés.

Si la Chine n’a pas toujours considéré les USA comme un ennemi, force est de constater que tel n’est plus le cas aujourd’hui. L’animadversité envers les USA leur est- certes à des degrés moindres pour l’Inde- désormais commune.
Chine Inde : deux populations égales mais depuis deux mois l’Inde est un peu plus égale que la Chine. La démographie, facteur de puissance règle parfois les conflictualités. Il n’est pas sûr que ce déclassement, même minime, constitue une bonne nouvelle pour la Chine.

C’est toujours avec gourmandise que nous citons Raymond Aron : « L’Histoire ne prouve pas que Dieu est américain parce que les Etats-Unis ont gagné toutes les guerres. L’Histoire prouve simplement, selon le mot de Napoléon que Dieu est du côté des plus gros bataillons. »  6
Il est vrai qu’il écrivit ceci en 1950 et que depuis les Vietnamiens ou les Israéliens ont démontré que le facteur moral est au moins aussi important.

Les civilisations hindoue et chinoise sont parmi les plus vieilles au monde. Il n’y a pas que les civilisations monothéistes à brandiller les fulgurations et excommunications divines dans leur histoire et dans leurs conflits. A cette aune, Inde et Chine n’ont hélas rien à leur envier.
Dans cette occurrence, les Occidentaux ont pour impédimenta civilisationnel, l’Oraison funèbre de Périclès. Ce n’est pas rien, ce n’est pas tout !

La Chine inventa, il y a plus de 2500 ans, le jeu de Go. Jeu éminemment stratégique où la patience est l’arme absolue, il s’agit de retourner en permanence les pions pour mieux encercler l’adversaire, illustrant ainsi la fragilité et la réversibilité des alliances et l’importance du temps long.
L’Inde quant à elle, est réputée pour avoir conçu dès le VIe siècle le jeu des échecs modernes, appelé Chaturanga. Elle imagina aussi le jeu du Carrom dont le but consiste à frapper des pions. C’est aussi un redoutable jeu de stratégie. Il est donc urgent- pour toutes ces raisons- d’agir intelligemment pour éviter de jeter Modi dans les bras de Poutine qui, lui, ne sera pas trop regardant sur la dot de la mariée.


Nous tâcherons de considérer les atouts et les handicaps des USA dans cette région. Le conflit suscité par l’agression russe a ranimé une fracture de l’ordre mondial que d’aucuns avaient voulue ou crue oubliée. Certes la notion du Sud Global envoie ou confirme un vrai signal et les braises de Bandoeng semblent- par une ironie de l’Histoire- prendre un malin plaisir à se rappeler à nous.
Karl Marx nous a d’ailleurs appris que « La première fois l’Histoire se répète comme tragédie, la seconde fois comme farce. » Mais il n’est nulle part écrit que l’Inde est vouée à entrer dans cette danse des brandons.
L’enjeu est d’importance. Aux Occidentaux et, tout particulièrement, aux Américains de comprendre qu’il y a un prix pour éviter la répétition du scénario du rapprochement irano-saoudien. Il n’y a pas, en ce bas monde, de repas gratuit. Au-delà de quelques concessions « cosmétiques » les USA devront donc renoncer à se comporter en « prima donna » avec l’Inde.

 un bref rappel des faits

Leur colligation est éclairante et nous instruit par leur diversité, et leur subtile complexité ; les signaux sont loin d’aller tous dans le même dans la même direction. Cette colligation nous oblige en outre à sortir de la proximité géographique de l’Inde pour mieux saisir son ancrage local et sa problématique. La politique étrangère de l’Inde est polysémique parce que le polycentrisme – pas toujours aimable- est son environnement.
Napoléon, fin stratège, disait fort justement : « To know a nation’s geography is to know it’s foreign policy. »

En février 2019, MBS, désormais héritier du trône saoudien- et nouveau globe-trotter effectua une visite à Modi.  Le 7 mai 2023 s’est tenue à Ryad, une réunion entre les UAE, les USA, l’Arabie Saoudite et l’Inde pour développer le projet de réseau « Middle East India Roads » dont on devine clairement les objectifs et l’inspiration. Bien qu’à l’origine de sa création, en octobre 2021, Israël fut membre de ce groupe informel, il ne participa pas de façon officielle à cette réunion, l’Arabie Saoudite n’ayant pas de relation officielle avec Israël.
Dans la mesure où les Russes ont accordé toutes les facilités commerciales à la Chine dans le port de Vladivostok, cette réunion de défiance ne s’adresse pas qu’à la Chine. C’est d’ailleurs la conclusion à laquelle est arrivée un officiel israélien.

Les conflits actuels sont non seulement des conflits hybrides mais l’interconnectivité économique et le cyber les façonnent tel un écheveau aux multiples questionnements.
Cette initiative porte en elle le point nodal de divergence ou de rupture qui marque l’ambiguïté indienne. Ce sommet de 2023 était d’ailleurs la suite de la rencontre initiée par Catherine Colonna, Ministre française des Affaires étrangères, à l’ONU en septembre 2022 où l’Inde et la France œuvrent conjointement avec l’Australie pour étoffer le groupe I2U2 pour un « partnership for the future ».

D’aucuns pensent que l’Inde a épousé la cause de la Russie. Certes elle n’a pas condamné la Russie, elle s’est réfugiée dans une confortable abstention et a bénéficié-grandement- par ricochet des sanctions imposées à la Russie. Pour autant les exercices militaires Malabar inaugurés avec les États-Unis en 1992 n’ont pas cessé, et ceux de cette année ont même inclus le Japon et l’Australie. Il en va de même pour les exercices terrestres Yudh Abhyas qui débutèrent en 2004.
Les consultations de défense et diplomatiques indo- américaines demeurent intenses et fréquentes.

Les relations internationales aiment l’ambiguïté

Alors bien évidemment, le silence assourdissant de l’abstention indienne s’est fait entendre urbi et orbi. Bien évidemment les représentations et les symboles rythment la vie géopolitique internationale. Pour autant l’Inde de Modi ose dire lors du sommet de Samarcande : « Today’s era is not of war and i have spoken to you on the phone about this. » 7

A exhumer cette seule déclaration, les Américains doivent donc- à tout prix- éviter de tirer des conclusions trop hâtives qui nous semblent davantage relever du wishfull thinking que d’un examen rigoureux des coûts, bénéfices, risques.
Ainsi le 11/11/2022 lors d’une visite à Moscou, le Ministre indien des Affaires étrangères Jaishankar déclare après ses entretiens avec Lavrov :
 “Just concluded comprehensive discussions with Foreign Minister Sergey Lavrov of Russia. Reviewed the entire gamut of our steady and time-tested relationship.” « to sit down with Russian foreign minister Lavrov and Deputy PM Manturov to assess how we are doing. There are challenges, that we need to address and prospects that we are exploring.”  8

Autre signal contradictoire, après s’être abstenue lors du vote de condamnation contre la Russie, l’Inde a cependant – au grand désappointement de la Russie- voté pour que Zelinsky puisse défendre sa cause en visioconférence à l’ONU en septembre 2022, joignant ainsi sa voix à celle des Occidentaux.

Il est également intéressant de remarquer qu’en 2022, l’Inde a annulé des achats de Mig 29 à la Russie. Toute la question est de savoir s’il s’agit d’un vrai présage ou bien de la volonté de favoriser une production locale.  L’Inde maintient cependant son shopping list de made in Russia avec les S 400, des frégates invisibles et des sous-marins nucléaires.
Bien plus, l’Inde est équipée d’un missile de croisière supersonique Brahmos (2,8 mach).

Développé en 1998, son nom vaut à lui seul programme. Brahmos reprend en effet les premières lettres des fleuves Brahmapoutra et Moskova.
Constamment amélioré le Brahmos Blok III est opérationnel depuis 2019. L’Inde a d’ailleurs lourdement investi tant financièrement que technologiquement dans ce missile.

Cela entraine comme conséquence- difficilement réversible- un alignement sur la Russie appelé à perdurer durant de longues années. En matière de livraisons d’armes, les promotions ont toujours un coût déguisé et qui sera tout sauf indolore.
Notons cependant que les USA ont eu à l’égard de cette dilection indienne pour l’armement russe une réaction qui ressemble à celle d’une maîtresse trompée et qui veut l’ignorer. Ce qui n’est pas forcément stupide !
En cette affaire Modi a bénéficié d’une certaine indulgence américaine.

Parmi les messages contradictoires qui fondent et expliquent la position indienne, citons également la déclaration de Jaishankar de Vienne en janvier 2023, on ne peut plus ferme, à l’égard de la Russie : « Nobody really needs this war. We don’t need wars at all.”  9
Une fois de plus l’Inde se refuse à condamner formellement et erga omnes l’invasion russe. Mais elle pratique en réalité ce que l’on appelle, en d’autres occasions et en termes militaires, la technique des thousands cuts. Il est tout sauf sûr que Poutine tienne tellement compte des avertissements indiens.
Cette chrestomathie contrebalance le refus de condamner la Russie, sa regimbade des sanctions et ses témoignages de soutien parfaitement affichés, calibrés et si finement ciselés.
C’est d’ailleurs aussi une des raisons qui maintiennent l’Inde dans cette zone grise car elle sait qu’elle n’a guère le pouvoir d’influencer la Russie. A cet égard, les avertissements concernant un éventuel usage de l’arme nucléaire même tactique relèvent tout au plus de la communication et de la gesticulation à usage interne et externe.

La seule puissance ayant un réel pouvoir modérateur serait la Chine, dès lors que ses intérêts l’exigeraient.
Mais l’orthodoxie de la grammaire nucléaire se rappellera toujours à Poutine.
Poutine sait fort bien que ses menaces n’intimident que ceux qui veulent bien l’être, ou qui le souhaitent consciemment ou inconsciemment.

Edgard Faure aimait à dire, avec son intelligence fulgurante mâtinée d’un humour exceptionnel : « On peut juger de la grandeur d’une Nation par la façon dont les problèmes complexes y sont abordés. »
« Quand un problème est complexe, ne cherchons pas à le simplifier, complexifions-le.
 »
Rude tâche pour la diplomatie américaine qui ne possède ni la finesse ni la profondeur historique de l’Europe. Pour autant l’attraction réciproque de l’Inde pour la Russie se heurte à une réalité incontournable.
La Russie, et le conflit ukrainien n’a fait que cimenter, la dépendance russe vis-à-vis du mandarin de Beijing. Elle ne peut donc plus remplir pour l’Inde son rôle de contrepoids face à la Chine. C’est aussi cela qui permet d’expliquer le non-alignement complet de l’Inde sur la Russie.
Pour autant, ces admonestations qui fondent et expliquent la position indienne sont autant de signaux positifs que les Américains devraient soigneusement considérer.


2 Comprendre l’Inde Rerum cognoscere causas

« Un mot, pour tout dire, domine et illumine nos études : comprendre… Mot surtout chargé d’amitié. Jusque dans l’action, nous jugeons beaucoup. Nous ne comprenons jamais assez. »
  10

S’il est une figure qui inspira et qui continue d’inspirer la politique étrangère de l’Inde, c’est bien celle du Général de Gaulle.
S’il est une politique étrangère qui commanda la politique étrangère de l’Inde, c’est bien celle de la France.
S’il est des soubassements historiques et psychologiques qui disposent, imposent et avivent l’assertivité de sa politique étrangère – souvent arrogante et parfois hors de propos- ce sont bien les embasements de l’histoire et de la nation française.

L’Inde, si vieille civilisation et joyau de la Couronne britannique a vécu fort mal- certes comme la plupart des pays – la sujétion britannique. Et elle a d’autant plus mal accepté la naissance gémellaire de son futur éternel rival. Il est des parthénogenèses, artificielles de surcroît, que l’on ne pardonne pas.

C’est ce mal-être indien que la politique hyper nationaliste de Modi essaie de faire oublier, d’où sa volonté de prouver par son non-alignement dans un premier temps qu’elle existe et que dorénavant elle compte.

Membre du G 20 depuis 1999, dont elle assure actuellement la présidence, elle veut aujourd’hui faire entendre- quand bien même cela n’est pas toujours à bon escient- sa voix. On ne saurait honnêtement l’en blamer. Sachons au contraire non seulement le comprendre puis l’admettre et déceler ensuite ce qu’il peut y avoir de positif dans sa démarche.


L’Inde se veut grande puissance, l’Inde se vit désormais comme grande puissance.
Sa géographie lui permet de dominer le commerce dans l’Océan Indien et les routes maritimes des hydrocarbures. C’est une opportunité mais aussi une fenêtre de vulnérabilité. L’Inde couvre l’Océan Indien et en impose désormais dans tout l’Océan Indien du Nord-Est. Malacca n’est pas étranger.

L’Inde crée aussi ses propres « routes de la soie ». Elle a ainsi accordé ces dernières années 12,35 milliards de dollars d’aide rien qu’à l’Afrique.
L’Inde n’abandonnera pas son fauteuil- véritable cathèdre- au sein des BRICS, mais elle répudie- sauf lorsque cela l’arrange- son statut de pays émergeant.
Et comme toute grande puissance, l’Inde ne saurait tolérer les critiques – justes ou injustes- formulées à son encontre. En témoigne Nirupama Rao
« But India, rightfully, sees these critiques as hypocritical. The West routinely cut deals with violent autocracies to advance its own interests. The United States, for instance, is improving ties with Venezuela to get more oil. Europe is signing energy contracts with repressive Arab Gulf regimes. Remarkably, the West nonetheless claims that its foreign policy is guided by human rights and democracy. India, at least, lays no claim to being the conscience-keeper of the world. Like any other state, it acts in accordance with its interests—and severing its partnership with Russia would harm them. » 10

Et pour être sûre que son message est bien compris, elle n’hésite pas à marteler :
« But Indians have little patience for being hectored about their democracy, especially from a country where insurrectionists recently breached the capitol and where racial inequalities run deep. They do not have much tolerance for European critiques, either, given the continent’s own harsh immigration policies and sordid colonial history. In fact, the government will not allow any outside powers to browbeat the country, especially when it is finding its sweet spot. » 11
A cette aune, Poutine semble avoir parfaitement compris la leçon.

L’on ne parle plus d’ailleurs d’Asie -Pacifique mais bien d’Indo-Pacifique. Ce glissement sémantique est tout sauf anodin.
Ne lui manque que le sacre de la communauté internationale.


Elle estime, au vu de sa démographie, de son économie qui est celle qui croît le plus vite au monde, avoir droit- gonfalon suprême- à un siège permanent au Conseil de Sécurité. Pour différentes raisons, elle sait que même ses amis ou voisins sont trop contents de se cacher derrière les vétos occidentaux, mais cette frustration pose indubitablement problème.
Sir Winston Churchill avait fortement plaidé puis installé, pour des raisons qui attestaient l’intérêt de la Grande-Bretagne, la France dans le camp des vainqueurs, d’où notre siège de membre permanent.
Las pour Modi, Churchill n’est plus de ce monde. Cette privation explique en grande partie la position indienne. Les Indiens appellent cela la politique du multi -alignement. Pour le dire autrement, l’Inde sait ne pas être trop regardante pour fixer ses intérêts.


Les alliances ne sont plus les carcans d’antan

Les alliances valent par leurs objectifs et par la volonté de ses membres, par les moyens qu’ils y mettent mais aussi par la perception qu’en ont les tierces parties. Elles correspondent surtout à la structuration actuelle du monde. Un monde que l’on qualifie de fragmégration.
Selon les régions la fragmentation l’emporte, dans d’autres dont l’Union, c’est l’intégration qui fort heureusement nous caractérise.

L’Inde tout comme les Occidentaux doit répondre aux problématiques suivantes.
Est-elle confrontée à une menace ? Peut-elle y faire face ? Doit-elle y répondre ? Si oui, comment ? Accepte-t-elle d’abandonner une partie de sa souveraineté ? Y a-t-il concomitance des buts entre les différents partenaires de l’alliance ?
Mais si l’un de ces éléments ne remplit pas les conditions requises, le succès de l’entreprise est tout sauf garanti.
Churchill eusse-t-il été de ce bas monde, il eût pu adresser ce message à Modi : « There is one thing worse than fighting with allies, and that is fighting without them. » 12

La question que l’on peut et doit légitimement poser à Modi est la suivante : l’indépendance stratégique ou sa recherche d’autonomie absolue est-elle tenable sur le long terme pour l’Inde.
Nous ne le pensons pas. Mais cela ne signifie nullement que l’on est en droit de traiter l’Inde comme un junior partner. Cela ordonne que l’Inde participe au burden sharing mais aussi à sa définition et à ses retombées.

Avant l’ère- momentanée- de l’hyper puissance unipolaire américaine, nous avons connu le bilatéralisme. Le monde actuel se définit quant à lui plutôt comme un monde d’hégémons régionaux, nouvelle variante d’un monde multipolaire. D’où- vu de New-Delhi- la nécessaire politique indienne de multi alignement. C’est elle qui permet à l’Inde d’acquérir une autonomie stratégique.
Ces hégémons régionaux ont donné naissance à un nouveau format de relations internationales que l’on pourrait qualifier de mini bilatéralisme et qui favorise grandement la diplomatie indienne. Il permet, en outre, l’alerte sur l’emprise chinoise sans pratiquer l’alignement sur les États-Unis. La conduite de la politique étrangère de l’Inde éclaire en effet les changements de l’ordre mondial.

Convoitée de toutes parts, l’Inde est à la croisée des chemins. Pour une fois- peut être la seule- Donald Trump ne s’était pas trompé lorsqu’il accorda une dérogation à l’Inde l’autorisant à importer- malgré l’embargo- des hydrocarbures en provenance d’Iran. Mais l’Inde représente aussi un problème pour la Chine et le Pakistan. Quant à la Russie, quand bien même Poutine ne tremble pas devant les admonestations védiques, il doit quand même l’intégrer dans son calculus.
Mais surtout le pays qui pose le plus de problèmes à l’Inde c’est… l’Inde !

Combien de temps l’Inde pourra-t-elle demeurer dans une espèce de no man’s land diplomatique où elle refuse de condamner Moscou, de ne pas appliquer les sanctions voire d’en bénéficier tout en l’admonestant et tout en faisant son marché aux USA ?
Combien de temps l’Inde pourra -t-elle jouer dans deux équipes destinées à s’affronter : OCS et Quad.
Modi ne devrait peut-être pas prendre au sens premier les propos du « Saint-Homme » que fut Monsieur le Cardinal de Retz : « On ne sort de l’ambiguïté qu’à ses dépens. »

Lorsque le conflit entre la Chine et les États-Unis s’intensifiera- parce qu’il finira par s’intensifier- comment évoluera la pression américaine sur l’Inde ? Jusqu’à quel point, l’Inde voudra- t- elle, pourra-t-elle rester engoncée dans son fier non-alignement ?
Les Allemands ont une délicieuse formule pour caractériser cette situation         «  Man kann nicht an zwei Orten gleichzeitig sein. »

Symétriquement, les Indiens doivent aussi comprendre que les Américains ne pourront éternellement – compte tenu des poussées de fièvre néo isolationniste- continuer à fournir des investissements économiques, aides militaires sans être payés de retour.
A trop pousser son avantage, l’Inde compromet sa stratégie de long terme d’autonomie plutôt que de l’assurance de sa pérennité.

Accolée à la diplomatie de la canonnière réservée à quelques -très rares- happy few, prolifère la diplomatie des ventes d’armes dont le club des membres ne cesse d’augmenter. L’Inde représente 11% des importations d’armes mondiales entre 2018 et 2019, mais elle monte très rapidement en gamme et en exportations. L’Inde a mis à l’eau en 2016 son premier sous-marin à propulsion nucléaire et en 2022 son premier porte-avions rejoignant ainsi un club très restreint.
Ainsi en janvier 2022, l’Inde a vendu aux Philippines pour un montant de 330 millions d’euros trois batteries de missiles Brahmos.
Il n’est pas inutile de rappeler que le Brahmos est un missile de croisière capable de détruire des navires. Il n’est pas non plus inutile de mentionner le différend qui oppose la Chine aux Philippines.
L’Inde exporte donc son missile vers d’autres pays asiatiques qui peuvent ainsi se doter d’un début de dissuasion contre la Chine.
Pour illustrer ce surgissement indien sur le marché de l’armement, signalons sa vente récente d’avions de combat Tejas à la Malaisie.



L’Inde est une adepte inconditionnelle des alliances mouvantes mais surtout à la carte.
Sauf attaque chinoise directe de haute intensité, l’Inde ne s’opposera jamais frontalement à la Chine, à fortiori si l’attaque chinoise vise les seuls intérêts américains.
Pour autant, l’Inde suivra les USA tant que ses intérêts le lui commanderont, et que surtout la crédibilité américaine existera.
L’Inde le reconnait d’ailleurs implicitement comme le rappelle Nirupama Rao.
« Because China is more powerful than India, a good part of New Delhi’s strategy for dealing with a belligerent Beijing runs through Washington. » 13


L’Inde ne veut pas être un Gulliver empêtré

L’Inde a par ailleurs goûté aux charmes et délices de son nouveau rôle de grande puissance ; elle semble d’ailleurs l’habiter définitivement. En outre hors du contexte chinois, rien ne dit que l’Inde acceptera désormais sans barguigner et marchander l’hégémon américain dans l’indo-pacifique.
Indépendamment de cela, les intérêts géopolitiques régionaux de l’Inde et des USA divergent parfois. Mentionnons juste pour rappel l’Afghanistan ou le Myanmar. Car elle pense et son estimation du rapport de forces n’est pas totalement fausse que les USA ont peut-être encore plus besoin qu’elle du rapprochement indo-américain vu l’acromégalie chinoise.

A terme risque de surgir une rivalité entre l’Inde d’une part et les USA et le Japon d’autre part. Washington doit le comprendre, l’accepter au moins intellectuellement et surtout l’anticiper. L’Inde entend protéger son propre hégémon. C’est pourquoi elle refusera toute anabase qui serait hors d’un contexte onusien.

La relation indo-américaine est donc une relation parfaitement asymétrique et qui est vouée à le demeurer même si elle est pour le moment favorable à l’Inde.
En ce sens et en ce sens seulement, la menace chinoise est le meilleur atout et pour l’Inde et pour les USA. Inde et Chine, Inde et USA peuvent donc vivre leur étrange concubinage.
Embrassons-nous Folleville !
Cette accointance consiste à s’approprier un maximum d’avantages des États-Unis y compris en matière de renseignements, ce qui lui a d’ailleurs permis de connaître les mouvements de troupes chinoises lors du dernier conflit. Pour autant, elle n’accordera que le minimum possible aux USA afin d’éviter de se retrouver embrigadée dans un conflit où fondamentalement elle désire rester à l’écart, quand bien même les élites économiques ou universitaires parmi sa jeunesse pourraient souhaiter une victoire américaine.

Quand bien même observe-t-on un indéniable rapprochement militaire entre l’Inde et les USA, cela ne signifie pas- tant s’en faut- que l’Inde se range dans le camp occidental et qu’elle fait sienne ses valeurs. La conception de Narendra Modi en matière de démocratie est là pour nous le rappeler.
Cela ne veut pas dire non plus qu’elle joint ses efforts à ceux des Américains et des Européens pour contrer la Russie. L’Inde veut seulement apprendre et prendre un maximum pour accroître son propre rôle mondial, un peu à l’image du Japon qui lui- cependant -rêvait de s’occidentaliser.
En matière de lutte contre le terrorisme la relation est probablement plus équilibrée.Avec une population de 1,4 milliard d’habitants et le souvenir nostalgique des mânes de Bandoeng, on se veut acteur majeur et non pas brillant second.

Nous nous permettons cependant de rappeler en toute humilité au Premier ministre indien le syndrome du Prince de Bulgarie, Alexandre de Battenberg. En 1885, le prince décida de quitter sa position de féal vis-à-vis de la Russie. Mal lui en prit, il sera finalement battu et sévèrement puni par la Russie.
En cas de conflit impliquant la Chine et les USA, l’Inde pourra -t-elle rester neutre ?
Le grand Bismarck, en dépit du génialissime Ruckerversicherungsvertrag qui demeure, encore à ce jour, un modèle du genre comprit qu’il ne pouvait se séparer de l’Autriche-Hongrie si un conflit advenait avec La Russie. Il se devait de soutenir son allié. Tel est le dilemme indien. De la même façon qu’ils ne faut pas surestimer les inclinations indiennes vers les USA, gardons-nous de sur-qualifier le tropisme indien vers Moscou.

A quelques kappi près que nous verrons plus loin, il est de circonstance et purement mercantile. Si l’Inde ne s’est pas jointe aux sanctions, c’est aussi parce qu’elle en retire un bénéfice substantiel qu’un étudiant moyennement doué en première année de marketing peut aisément comprendre ; elle achète à vil prix des hydrocarbures à une Russie prise à la gorge et revend à folle enchère ces mêmes hydrocarbures à une Europe assoiffée. En outre la Russie est le principal fournisseur d’engrais de l’Inde.
Cela rappelle les échanges coloniaux ! Avant-guerre et jusqu’en avril 2022, les achats d’hydrocarbures en provenance de la Russie étaient de 389 000 barils/jour. En juin, l’Inde importait 1.000.000 de barils/jour. Chaque baril permet à l’Inde d’économiser 16 dollars. Ces gains sont loin d’être négligeables pour l’Inde.
Il n’y a pas de petits profits !

Mais il est une autre réalité purement géopolitique. L’Inde a impérativement besoin de la Russie dans sa diplomatie de multi-alignement.
Avec des points de départ différents, des régimes, des populations, des économies et aussi des objectifs différents, Inde et Russie partagent partiellement une même vision du monde.
Même si l’Inde ne souffre pas du complexe obsidional qui affecte la Russie, elles refusent toutes deux toute hégémonie américaine. L’Inde possède néanmoins un avantage sur la Russie, elle a les moyens de ne pas être vassalisée par la Chine. En outre sa composition ethnique n’est pas asiatique.
Toutes deux pensent que le monde serait plus stable et plus sûr sans l’hégémon américain. En outre elles aspirent à un monde polycentrique.
Enfin, et c’est loin d’être négligeable, la vieille tradition d’amitié et de coopération entre l’Inde et la Russie subsiste perinde ac cadaver.
L’Inde n’oublie pas que la Russie l’a toujours soutenue à l’ONU dans son différend à propos du Cachemire.

Yoga Jyotsna universitaire indien spécialiste de politique étrangère confirme ainsi ce phénomène

“The armed forces and perceptive analysts, Russia stands number one as India’s friend.” Rajeswari Rajagopalan, a director at a major Indian think tank, has argued that “the strategic sympathy for the Soviets and Russia still continues not just among the political class but also . . . among the larger public” because of the romanticization of historic Russian support for India. » 14

 Selon un sondage de septembre 2022, c’est en vertu de cet état d’esprit qu’une majorité d’indiens ont refusé de condamner l’invasion russe. Plus grave, ils ne pensent pas non plus qu’une victoire russe rendrait le monde plus dangereux.
La position indienne est plus que complexe.  En effet une Russie fortement affaiblie est une Russie totalement vassalisée et vouée à adopter les positions chinoises.
L’Inde serait alors condamnée soit à un alignement américain soit à aller un canossa chinois. Aucune de ces deux perspectives n’aurait de quoi réjouir l’Inde car cela diminuerait sa marge de manœuvre. Sans revenir à Bandoeng, l’Inde refuse fondamentalement la politique des blocs.
La politique indienne est très subtile mais elle s’exerce sur une ligne de crête très étroite. Ainsi lors de la visite du ministre des Affaires étrangères indien à Moscou, Lavrov met en avant le concept de « multi polarity »  de « special and privileged ties »
Jaishankar lui répond qu’il souhaite un « more balanced and  sustainable ties » et met l’accent sur la coopération économique bilatérale et se plaint des « impediments » russes pour obtenir des échanges plus équilibrés.
Jaishankar rajoute même à un Lavrov désagréablement contrarié ( mais tout comme Gromyko dont Nikita Sergueïvitch Kroutchev disait : «  Quand il s’agit de négocier, Gromyko peut s’asseoir sur un bloc de glace et le faire fondre avec son regard. ») que le monde est trop interdépendant pour que ce conflit régional n’ait pas de conséquences majeures sur le reste du monde. « to not have major consequences in other regions ». 15
On a connu soutien plus franc, plus massif et surtout plus enthousiaste. Cela nous rappelle, horresco referens, un épisode de la seconde guerre mondiale. A l’issue de sa rencontre avec Franco à Hendaye le 23 octobre 1940, hitler profondément ulcéré par l’attitude du Caudillo, aurait dit : « Je préférerais avoir trois ou quatre dents arrachées que de devoir passer à nouveau par cette expérience. »

De ces éléments épars et souvent contradictoires, la discordance même fait pourtant sens. On ne saurait mieux résumer la position indienne que Shinshankar Menon ancien Conseiller à la Sécurité nationale de 2010 à 2014 du Premier ministre Manmohan Singh

« It has also reinforced Asia’s sense of its own difference—its focus on stability, trade, and the bottom line that has served Asian countries so well in the last 40 years.Asia so long as it is preoccupied with containing Russia in Europe.

Instead of consolidation, the war in Ukraine seems likely to lead to greater fragmentation of the global order. It has reinforced the urge to build strategic autonomy in Europe as European countries begin to take a greater share in their own defense rather than rely to such an extent on the United States. » 16

Il y a deux grilles d’analyse quant à la position de l’Inde dans l’affaire ukrainienne. La première est qu’il sera effectivement plus difficile à l’Inde de garder sa position non pas de neutralité mais de multi alignement.

 Une défaite russe conforterait indubitablement l’axe sino-russe et la possibilité de tensions supplémentaires entre l’Inde et la Chine. Pour autant il ne déplaît pas à Modi d’être sollicité et courtisé par la Russie. Nirupama Rao a parfaitement analysé cette situation. 
Qu’on en juge.

« But if New Delhi can successfully navigate this complex moment and collaborate with China, Russia, and the West, the benefits will be enormous—both for India and for the developing states it champions. India is home to more than 1.4 billion people and a rapidly growing economy. It trades with and has managed to maintain good relations with almost every country. That means India has the potential to spread growth and foster dialogue across the world, even when global tensions are running high. » 17
La dernière phrase est plus que révélatrice

L’Himalaya n’est pas que le sommet du monde

La Russie sert donc d’aiguillon à l’Inde face aux États-Unis et d’assurance-vie envers la Chine. L’Inde espère ainsi que des relations étroites avec une Russie « alliée » de la Chine servira de modérateur aux velléités chinoises notamment en Himalaya.
Himalaya ! Rien ne saurait mieux expliquer l’inextricabilité de la position indienne. Au nom d’Himalaya, l’Inde ne peut qu’exiger l’inviolabilité des frontières en droit international. Mais en raison même de la menace chinoise et de la non moins dangereuse « alliance » sino-russe, l’Inde se voit obligée de composer avec cette même inviolabilité des frontières.
Douze résolutions onusiennes où l’Inde s’est frileusement abstenue le prouvent amplement.

 Himalaya toujours. Il permet de tracer un parallèle quasi-parfait avec l’affaire ukrainienne. Le conflit sino -indien se cristallise et s’enkyste dans les territoires indiens hérités des cartes britanniques. Or ces territoires furent repris par la force en 1962 par la Chine. L’Inde eût donc quelque mal à accepter l’annexion russe de la Crimée. C’eut été légitimer l’agression chinoise.
C’est encore et toujours dans l’Himalaya que la Chine entend construire une route qui lui permettrait de faire transiter ses troupes. C’est donc un endroit hautement stratégique.
En 2020, il y eut également un affrontement impliquant des tanks dans la vallée de Galwan en pleine région du Ladakh. En décembre 2022 nouvelle escarmouche dans l’état d’Aruchnal Pradesh. Il ne manque plus qu’une étincelle même minime, dans une région qui n’en manque pas, pour embraser les esprits. Les deux pays sont extrêmement chatouilleux.

Pour compléter ce tableau déjà bien chargé mentionnons juste le Pakistan.
Dans le calculus indien, les stratèges se préparent à une guerre sur deux fronts. IIs pensent que le Pakistan pourrait attaquer l’Inde le long de la Line of Control au Cachemire. (LOC) Le Pakistan pourrait agir ainsi pour détourner les forces indiennes de la LAC Line of Actual Control vers la LOC.
Tous ces éléments expliquent aussi la position indienne

Une Russie désintégrée serait à cet égard le pire scénario pour l’Inde. L’Inde se donne les moyens économiques de jouer son rôle. Ainsi son plan de réindustrialisation « Self Reliant India».
Malgré quelques gênes dans certains domaines économiques, l’Inde a de quoi être satisfaite de la situation actuelle. Résumons : elle achète de l’énergie très bon marché qu’elle revend très cher. Ce faisant elle crée un lien de dépendance supplémentaire de la Russie en sa faveur.
Les sanctions pénalisant assez fortement les pays européens, l’Inde escompte un affaiblissement de l’Europe qui dépend désormais dans une certaine mesure de ses livraisons.
Une Europe minée par l’inflation n’est pas non plus pour véritablement lui déplaire.
Renan écrivit que « La bonne politique n’est pas de s’opposer à ce qui est inévitable, la bonne politique est d’y servir et de s’en servir. » L’Inde escompte aussi- dans une certaine mesure- une Russie qui cherchera son appui. Dans le domaine des livraisons d’armes, la part des importations en provenance de Russie n’a effectivement pas cessé de diminuer.
En 2013, 75% de l’armement indien provenait de la Russie, il est tombé aujourd’hui à 45%. Mais cette dépendance est duale. En effet la Russie peut aussi décider de brider les exportations indiennes, puisque le Brahmos utilise également de la technologie russe.
Les composants électroniques handicapent grandement l’industrie russe et gênent aussi par ricochet les flux russes à la fois pour de nouveaux matériels mais rendent insécure la maintenance de la défense indienne qui repose grandement sur les partenariats russes.
Ainsi malgré l’achat de Rafale à la France, le SU 30 reste l’épine dorsale de la défense aérienne indienne. L’Inde est donc condamnée à demeurer dépendante de la Russie ne serait-ce que pour la maintenance de son aviation.

Pour autant cela représente aussi une opportunité pour l’industrie d’armement indienne qui espère trouver de nouveaux marchés en Russie. L’Inde réduit ainsi sa dépendance vis-à-vis de la Russie. Elle accroît la dépendance russe vis-à-vis d’elle-même. Le but de l’Inde est de devenir à moyen terme auto-suffisante en matière d’armement. L’Inde se sent suffisamment habile pour gérer les incompatibilités inhérentes à cet écheveau.

Et surtout, il n’est pas interdit de penser que l’ambition secrète de l’Inde est d’être un pont entre la Chine et la Russie. L’Inde anticipe ainsi- non sans quelque raison- des futures tensions entre la Chine et la Russie.

Entre la Russie et la Chine, il y a effectivement l’Amour et la Sibérie. L’Inde observe attentivement l’évolution de la situation en Asie centrale voire en Arctique. Le premier sommet Chine-Asie centrale qui s’est tenu en mai 2023 à Shaanxi en Chine et regroupant le Kazakhstan, le Kirghizistan, le Tadjikistan, le Turkménistan et l’Ouzbékistan mais sans la Russie ne peut qu’alerter l’Inde.
 
Il appert de ces rappels une grande similitude entre les politiques étrangères turque et indienne.

Les deux leaders qui se sont progressivement éloignés des critères classiques de la démocratie occidentale mènent leur pays vers l’autonomisation. Tous deux ont désormais une forte composante russe dans leur armement. Tout comme la Turquie, l’Inde recherche davantage un non-alignement plutôt qu’un embrigadement auprès d’un des deux grands.
Rappelons la profession de foi de Nehru : « We are not pro-Russian, nor for that matter are we pro-American. We are pro-Indian. »18
Quid novi ? C’est à peu près le principe de tout pays… sauf qu’elle revêt un caractère spécial vu le contexte et la personnalité du Premier ministre. Pour ajouter à sa solennité, il tint ce discours devant le Parlement indien. Ce fut probablement le lancement de la Conférence de Bandœng d’avril 1955.

La Turquie a voté contre la Russie à l’ONU en février 2022 mais refuse d’appliquer les sanctions sous des prétextes fallacieux. Pour autant les drones Bayraktar qu’elle livre à l’Ukraine font merveille.
La Turquie a condamné l’agression russe en des termes encore plus violents que l’Inde qui s’est abstenue. Erdogan a remporté les élections en Turquie. Quel que soit le résultat des prochaines élections en Inde, il est vraisemblable que cela ne changera pas la politique de New- Delhi.
L’on pourrait aisément comparer l’actuelle politique étrangère de l’Inde à celle de la jeune République kémaliste qui consistait à se tenir à l’écart des grandes puissances mais de changer- si nécessaire- d’alliances.
Au supermarché mondial le multi alignement indien consiste à se servir sans choisir son camp. En somme l’Inde s’inspirerait ainsi du Sonderweg allemand.
Nous nous permettons de rappeler humblement à Modi que le Sonderweg allemand a aussi eu des conséquences funestes. Le problème de Modi est à la fois simple et compliqué.
Jusqu’où l’Inde saura-t-elle jusqu’où ne pas aller trop loin ?



Il n’est pas impossible que l’Inde nourrisse des ambitions mondiales. En témoigne la déclaration de James Marapa, Premier ministre de Nouvelle-Guinée, lors de la visite de Modi et qui n’a pas hésité à professer avec une génuflexion à l’égard de Modi : « We need a third big voice on the global stage . » « The island nations of the Pacific will rally behind your leadership. » 19
L’Inde se donne les moyens d’être une puissance d’équilibre.

Richard Haas écrivit un livre intitulé Foreign policy begins at home. Les dérives nationalistes et illibérales pourraient à terme menacer le fragile équilibre de la politique étrangère indienne.

L’on observe cependant un lent et imperceptible glissement de la position indienne. L’Inde a quitté une ambiguïté finalement plutôt non complaisante à l’égard de la Russie pour un désappointement sévère.
De façon subliminale, l’Inde hausse le ton, sans toutefois aller jusqu’à une véritable condamnation notamment dans le le forum onusien. Elle envoie de plus en plus fréquemment des signaux subliminaux concernant l’agression russe. Mais elle se garde bien toutefois de prononcer ce mot.
Il suffit de comparer les mots utilisés par l’Inde lors de l’annexion de la Crimée et ceux de l’invasion de l’Ukraine. Modi avait employé en 2014 le mot legitimate, « There are after all, legitimate Russian and other interests involved. » 20, c’est à bon escient que le ministre indien des Affaires étrangères Shishankar Menon l’oublie en 2022.  En 2022, on ne trouve plus ce mot. C’est loin d’être anodin. Cela montre l’absence d’approbation.

Le texte exact de la position indienne après l’agression en Ukraine est : « India urges that all Member States demonstrate their commitment to the principles of the UN Charter, to international law and respect for sovereignty and territorial integrity of all states.

Keeping in view the totality of the evolving situation, India decided to abstain. »

Bien plus après les massacres et crimes contre l’humanité commis par les Russes à Boutcha, relevons la déclaration indienne. Lente évolution peut-être ; palinodie sûrement pas. Une analyse fine et précise illustre cette lente dégradation.
« unequivocally condemned » killings in Ukraine’s Bucha and supported calls for an independent investigation into the « deeply disturbing reports ».
« India’s permanent representative to the United Nations TS Tirumurti said the country
« remained deeply concerned at the worsening situation and reiterates its call for immediate cessation of violence and end to hostilities ».
« We hope the international community will continue to respond positively to the humanitarian needs. We support calls urging for guarantees of safe passage to deliver essential humanitarian and medical supplies. »21
Les pays asiatiques – pour certains recherchent le parapluie militaire américain tout en regardant l’évolution de leurs exportations vers la Chine. Pour l’Inde, cette équation est infiniment plus compliquée.

En géopolitique Mythos finit souvent par céder sa place à Logos qui prépare Nomos. Quelque soient les difficultés internes indiennes, Modi est celui qui rend l’Inde fière et grande. C’est à ce trébuchet qu’il faut donc évaluer et jauger l’action de l’Inde.
De quels moyens, les Américains disposent-ils afin d’éviter un basculement indien en faveur de la Russie ? La question centrale est la définition de l’ampleur du basculement.
Les Américains exigeront ils un alignement complet de l’Inde sur leurs positions ? Ils devront donc soigneusement tracer des lignes rouges acceptables pour l’Inde. Il leur faudra à la fois ménager la susceptibilité indienne, tenir compte – bien évidemment- de leurs propres intérêts et considérer bien sûr le voisinage chinois.
Mais avant toute chose, les Américains doivent conserver ou reconquérir leur crédibilité mise à mal à diverses reprises.
Retrait précipité d’Afghanistan (l’on oublie d’ailleurs beaucoup trop souvent que Trump qui avait négocié avec les Talibans les accords de Doha, ne fit rien durant sa présidence finissante pour préparer ce retrait dans l’ordre), soutien évanescent- Trump plastronnant comme un paon mais impotent- lors du bombardement des pipelines saoudiens par l’Iran. Enfin, last but not least, les tentations isolationnistes semées par Trump.
Pour le dire autrement jusqu’où les USA accepteront-ils de ne pas confondre allié et rallié ou pour le dire encore plus brutalement accepteront-ils de reconnaître que l’Inde a des intérêts légitimes et divergents.

En sus des divergences géopolitiques, souhaitons que les Américains, dans leur croisade des démocraties, ne cherchent pas à imposer les valeurs libérales que l’Inde rejette car fondamentalement l’ordre libéral ne correspond pas à la vision indienne. Jaishankar l’a d’ailleurs fièrement déclaré à la tribune de l’ONU lors de la 77ème session de l’Assemblée Générale. ‘We will liberate ourselves from colonial mindset’
Il est à espérer que les USA ne répéteront pas l’erreur du barrage d’Assouan même si ce projet était intrinsèquement catastrophique.
Tout cela est connu. Et il est plus que probable que les Américains y répondront de manière plus que convaincante ; le soutien américain à l’Ukraine le démontre amplement. Mais il est un autre aspect du problème qui interpelle.

Satisfaire les ambitions indiennes d’assurer de façon continue le développement économique d’un pays de 1,4 milliard d’habitants. Non pas que l’Inde ait besoin d’une aide comme un quelconque pays sous-développé, mais elle recherche un partenaire capable de l’accompagner dans ses projets économiques.

En quelque sorte les Américains, devront maîtriser le piège de Kindleberger.
Tout comme l’Inde, les USA ne pourront se contenter très longtemps d’une        « Strategic ambiguity. » Ils pourront d’autant moins s’en contenter qu’ils traînent à cause de Nixon qu’on a connu, par ailleurs autrement inspiré, des propos insultants.
Un des handicaps que les Américains trainent est un certain ressentiment indien et un manque de confiance envers eux.
Qu’on en juge avec les échanges Nixon-Kissinger :

USA Inde ou l’air de la calomnie

« The Indians are bastards anyway. They are starting a war there. »
Cette déclaration fait référence à la guerre indo-pakistanaise de 1971. Dixit Kissinger !

Nixon a ainsi dit à Kissinger « We really slobbered over the old witch, »
Lequel avait répondu :

« While she was a bitch, we got what we wanted too, » Mr Kissinger replied. « She will not be able to go home and say that the United States didn’t give her a warm reception and therefore in despair she’s got to go to war. »

« The Indians are bastards anyway, » he added. « They are the most aggressive goddamn people around. »

« I don’t know why any American would want to go to India except for the hedonists, the people that go there to ‘find themselves.’ It’s full of… it’s a terribly poor country. What the hell do they have there to see? »  
 Les pays colonisées ont la mémoire longue. Kissinger avait certes quelque peu réparé les dégâts en reconnaissant l’importance stratégique de l’Inde.
« India is not a great power yet, but it has the potential to emerge as one. »
« The United States has to be friends with India if we are to deal effectively with the rest of Asia. » 22
Kissinger eût beau s’excuser dans le Washington Post, il en reste quelque chose.

Certes Bush Senior et Clinton ont su fort intelligemment recoller les morceaux. Durant la présidence Obama, les deux administrations ont lancé le projet « Defense Trade and Technology Initiative » qui ouvre la voie à une coopération élargie.
Biden, quant à lui, veut aller beaucoup plus loin avec son initiative « On Critical and Emerging Technology. » Ce projet ambitionne de couvrir les semi-conducteurs et surtout le développement de l’intelligence artificielle. On ne peut que saluer cette politique qui institue également l’Inde comme partenaire égal. L’on est cependant en droit de s’interroger sur sa pérennité. Elle va en effet se heurter à la volonté de Modi de mettre en œuvre le plus rapidement possible son slogan : « Make in India, make for the World. »

Tout indique que l’Inde rentre en compétition- sévère -économique avec la Chine ; elle bénéficie non seulement d’une main-d’œuvre qualifiée, abondante et très bon marché mais l’Inde vise aussi grâce à ses positions déjà acquises, des secteurs de technologie chasse gardée américaine.
À terme il est inévitable que des frictions apparaissent et les USA avertis de leurs erreurs avec la Chine se montreront sans doute beaucoup plus vigilants dans la défense de leurs intérêts commerciaux face à l’Inde.
Les USA ont certes beaucoup progressé. En 2010 le montant total des achats d’armes américains était de 20 milliards de dollars, il est vrai que le point de départ était voisin de zéro. Les Américains vont cependant se heurter à une vraie difficulté pour accroître leurs ventes. Les Indiens exigent de plus en plus de vrais transferts de technologie, ce qui n’est pas la politique américaine.

Autre point bloquant et qui n’est pas propre à l’Inde, les Américains veulent une interopérabilité des armements et surtout une intégration stratégique. Or l’Inde refuse- pour le moment- une telle sujétion. En sera-t-il toujours ainsi ?
En outre l’Inde est membre de l’OCS ce qui limite forcément les possibilités d’intégration. La Turquie, elle, n’est que partenaire du dialogue de l’OCS.

Le QUAD bien qu’affichant clairement son objectif séminal, n’est pas une alliance au sens juridique du terme. L’on pourrait la qualifier de « low cost » sur les problèmes majeurs.
Les Américains profitent actuellement d’un alignement des planètes relativement favorable.
L’on peut légitimement se poser la question de la réaction indienne en cas de provocation chinoise musclée ou de déclenchement d’hostilité. Taïwan ne bénéficie pas d’une garantie militaire du style de l’article 5 de l’OTAN des membres du QUAD à part les États-Unis. Gageons que l’Inde ne sera surement pas la première à voler au secours de Taïwan.
En cas d’attaque chinoise sur Taïwan, nous ne parierions pas une seule roupie sur le soutien indien autre que verbal.
Les Américains bénéficient cependant du fait qu’ils n’ont aucune revendication territoriale ou maritime vis-à-vis de l’Inde. Même si les revendications territoriales chinoises sur l’Inde existent, elles sont loin d’avoir la même prégnance historique et nationaliste que celles que la Chine exerce sur Taïwan ou sur certaines îles.

Mais il n’en reste pas moins que des facteurs objectifs existent quant à une détérioration de la relation sino-indienne. Dans la mesure où la Chine sera capable de modérer les ardeurs pakistanaises, cela constitue un avantage pour les Américains. Mais le raisonnement inverse a aussi ses partisans. N’ayant pas à lutter sur deux fronts, l’Inde se sentira moins inquiète et donc moins encline à suivre les USA.
Les Américains savent que l’Inde ne possède ne possède face à la Chine ni la sécurité interne ou l « internal balancing » ni les partenariats étrangers- « external balancing ». Le savoir est une chose, le signifier sans pression en est une autre. Les relations Inde- Europe étant ce qu’elles sont, rebus sic stantibus, le seul véritable external balancing pour l’Inde reste les USA.

Nous tenons à remercier de son amitié Monsieur Mogens Peter Carl, ancien Directeur Général de la Commission, et nous aimons rappeler qu’elle est notre Commission à tous les Européens, des précisions qu’il nous a apportées à ce sujet. Il fut chargé- entre autres des négociations industrielles et pharmaceutiques avec l’Inde, et ce grâce à sa connaissance profonde l’Inde.
Aux yeux de l’Inde, « l’Europe n’y apparait pas et pour cause : elle n’existe pas aux yeux des Indiens, sauf, et cela vaut la peine de souligner, en tant que partenaire commercial majeur et en tant qu’obsession (négative). Ils nous considèrent comme des hypocrites, pire que les Américains( qui, dixit un ami indien, ont au moins le mérite de dire parfois crument ce qu’ils veulent …), qui voulons encore maintenant, 75 ans après leur indépendance , leur imposer nos normes environnementales, notre lutte contre le réchauffement climatique, etc. » « L’Inde se voit, malgré ses dissensions internes réelles comme une force de l’esprit, une force tranquille qu’elle puise dans le passé et dans la religion. »
L’Inde peut estimer qu’à partir du moment où l’idéologie nationaliste n’est pas la principale composante dans l’agressivité chinoise, un conflit majeur ou de haute intensité peut être évité. Dans ce dernier cas, les USA auraient plus de mal à enrégimenter l’Inde surtout s’il s’agit d’un conflit limité aux intérêts américains.

Au-delà de l’affaire ukrainienne et de la relation sino-indienne, les Américains devront apprendre à reconsidérer leurs relations avec un certain nombre de pays et notamment avec ceux qui sont dans la mouvance du Sud Global. Certes le temps de la canonnière est révolu et fort heureusement. Certes le temps des United fruit ou ITT n’est plus qu’un lointain souvenir. Mais il ne sera pas évident pour un pays qui se pensait détenir une mission, un rôle- de premier plan- et des valeurs d’avoir des relations plus équilibrées.

Citons- avec plaisir- à cet égard Philippe Moreau Defarges- remarquable analyste des relations internationales : « Toute mission universaliste se retourne toujours contre son initiateur. » 23
La présidence impériale américaine a longtemps fait sienne la pensée d’Abraham Maslow qui disait de façon savoureuse :
 » Si vous ne disposez que d’un marteau, vous avez tendance à voir tous les problèmes comme des clous. »
Pour autant il leur faudra éviter de tomber dans la tentation d’un néo isolationnisme qui progresse aux États-Unis. Les USA demeurent et c’est fort heureux, la première puissance mondiale. Quand bien même écrit en 2010  Bruno Tertrais  est toujours d’actualité. « A chaque crise économique mondiale, on annonce le déclin inéluctable de l’Amérique. Seulement voilà quand l’Amérique prend froid, la Chine s’enrhume et la Russie attrape la grippe. » 24
Elle n’est plus hégémonique mais elle demeure la seule qui garde le pouvoir du Peace making, du Peace Keeping, et surtout tout en étant les seuls à jouir de la totalité de la maîtrise des Global Commons et de la capacité de projection mondiale. Pour reprendre la formule si pertinente de Gérard Araud, les Américains doivent garder en tête : « qu’il n’y a pas de politique étrangère sans un horizon de recours à la force. » 25

Que les relents nationalistes irritent les USA, quoi de plus normal, quid novi ?  Mais dans un monde où le logo populiste gangrène chaque jour davantage la planète, les USA devront apprendre à gérer leurs rapports avec les démocratures. Erdoğan a été réélu, Modi le sera aussi sans doute probablement l’année prochaine. Certes la dérive illibérale indienne ne saurait se comparer à celle de la Turquie, mais la politique étrangère de Modi est solidement ancrée et encrée au marbre, que Modi soit réélu ou pas.

Washington peut faire miroiter à l’Inde les dangers d’un cousinage trop proche avec la Russie, il peut lui rappeler la fragilité actuelle de la Russie, les livraisons d’armes de plus en plus problématiques, un éventuel refroidissement de ses relations à mesure du rapprochement sino-russe, mais en dépit de ces éléments, l’Inde ne renoncera pas à ses assets russes.
Face à un possible refroidissement des relations Russo- indiennes, les Américains montrent à leur tour leur soutien à l’Inde notamment à propos du cachemire en évitant les débats à l’ONU.


Sans vouloir surinterpréter comment pourrait se manifester que l’on pourrait qualifier d’attiédissement, rappelons que la Russie a conduit le jour même de l’invasion en Ukraine des exercices militaires communs avec le Pakistan dans des territoires contestés. Le Premier ministre pakistanais Imran Khan fut par la suite accueilli à Moscou et y bénéficia d’un accueil particulièrement enthousiaste.

Les Américains devront composer avec une Inde gardant ses accointances russes. La logique eut voulu que plus la Chine et la Russie se rapprochassent, plus l’Inde devrait se raccrocher aux États-Unis. Il arrive pourtant que Dame Logique soit battue en brèche par les passions, les idéologies ou par les arrière-pensées des Etats. L’exemple de la Grande-Bretagne dans l’entre-deux-guerres est tristement là pour nous le prouver.

Alliance « low cost » semble être le mot qui définit le mieux les relations indo-américaines. Certes mais cette alliance s’aguerrit avec le temps. Paradoxalement sa grande force, c’est sa souplesse qui lui permet une grande réactivité et une relative inventivité. Notons également que Biden, à la différence de ses prédécesseurs, attache une très grande importance au QUAD. Il a en effet convoqué une réunion du QUAD dès son entrée en fonction à la Maison- Blanche.
Aussi après de nouveaux incidents survenus en 2020 entre la Chine et l’Inde, cette dernière a saisi cette occasion pour accepter la participation australienne à des exercices communs alors qu’elle s’y refusait auparavant, de peur de contrarier la Chine.
L’on peut également affirmer que c’est la montée en puissance indienne qui a poussé Beijing à un retrait de ses troupes, là où précisément il y avait eu un clash auparavant, mais surtout Beijing a accepté un échange de prisonniers afin de désarmer toute poussée nationaliste. Le QUAD constitue désormais un vrai frein aux ambitions chinoises.

Mais si l’on se donne la peine d’analyser finement et surtout de prêter attention aux propos de Modi, l’on s’aperçoit et du succès grandissant du QUAD et de l’évolution positive de l’Inde. L’on peut aussi mesurer les progrès à l’aune de l’évolution des réactions chinoises. Ainsi en 2017 après que Shinzo Abe eut invité des officiels de haut rang d’Australie, d’Inde et des USA, Wang Yi le ministre chinois des Affaires étrangères put se gausser de cette réunion en disant après la réunion de Manille : « This gathering of “the Quad,” as the grouping was known, was merely “a headline-grabbing idea,” “They are like the sea foam in the Pacific or Indian Ocean: they get some attention but will soon dissipate.”  26

Octobre 2020 changement de partition musicale. Les violons moqueurs cèdent la place aux tambours menaçants. Le même ministre prévient « The Quad is a big underlying security risk” to the region. » 26
En cela il suit la tradition chinoise : « Killing one to warn a hundred » 26
Tuer l’Australie pour avertir le Japon et l’Inde, l’Australie étant supposée être le maillon faible.
Ainsi en 2021, le Premier ministre Modi déclare à l’issue d’un sommet historique du QUAD « Today’s summit meeting shows that the Quad has come of age. It will now remain an important pillar of stability in the region.”  26

D’aucun daubent le grand âge de Biden. Pour autant dans l’affaire ukrainienne, son parcours est remarquable. L’on ne peut également que le féliciter pour sa politique de rapprochement avec l’Inde, sa stratégie semble porte ses fruits. Prenons en pour preuve les propos inquiets une fois n’est pas coutume de Xi-Ji Ping : « efforts to use “multilateralism as a pretext to form small cliques or stir up ideological confrontation.”  26

Certes, malgré les nombreuses coopérations américano- indiennes, il n’est pas question d’inclure l’Inde dans le saint des saints des Five Eyes, mais la coopération américano-indienne en matière de renseignements existe.
La signature en 2020 entre l’Inde et le Japon sur l’encryptage en liaison avec les Five Eyes ne pouvant être qu’une simple coopération.

Les USA avancent précautionneusement, mais ils doivent éviter deux écueils. Ne pas fixer trop d’objectifs et trop d’objectifs ambitieux au QUAD et surtout ne pas être trop « impérial » avec les pays les plus petits.
Le National Defense Strategy d’octobre 2022 stipule que les USA soutiendraient l’Inde si une future confrontation aux frontières advenait, mais quelle est sa valeur juridique ? Quelle est sa force politique ? Quelle en est sa manifestation militaire ?

Les USA doivent donc rassurer l’Inde
– lui fournir des armes sophistiquées comme le F 35
– accepter les coproductions en matière militaire
– Accompagner l’Inde dans son rôle de puissance régionale et reconnaitre son rôle majeur en Asie du Sud
– encourager le Pakistan à rester neutre

L’Inde n’est pas membre de l’OTAN. Mais les USA devraient inventer une formule signalant qu’une agression contre l’Inde serait une agression contre tout un chacun.
Si les USA traitent et considèrent l’Inde non pas comme un vassal mais comme un partenaire, qu’ils acceptent que l’Inde ne soit ni leur porte-voix ni un simple accessoire de leur politique étrangère, alors les objectifs américains, à savoir équilibrer l’expansion- tôt ou tard agressive de la Chine- seront atteints.
L’inde sera, si ses intérêts bien compris seront pris en considération, un allié utile et puissant.
A cette seule condition, l’axe indo-américain jouera un rôle majeur dans la sécurité régionale. Y compris sur Taïwan qui sera mieux couvert par cette détérrence.
Mais de grâce, que nos américains que nos amis américains n’exigent pas le prix du sang indien dans la région.
Rassurer l’Inde signifie que les USA doivent assumer leur part de responsabilité dans le climat de défiance qui régnait auparavant entre eux et dont les souvenirs restent encore vivaces en Inde.
En retour, l’Inde doit également assumer et sa part de responsabilité et surtout enterrer le passé et accepter de faire confiance aux Américains.
Nous nous permettons de rappeler à Modi les propos si délicieusement intelligents de Monsieur le Cardinal de Retz : « On est plus souvent dupé par la défiance que par la confiance »

La France qui a des intérêts évidents dans l’indopacifique pourrait d’ailleurs s’y associer. La France a la deuxième zone économique exclusive maritime dans le monde.


Par-delà l’affaire ukrainienne, il faut suivre la politique étrangère de l’Inde à plus d’un titre.
Il y a peu de clichés autant galvaudés que d’affirmer que nous entrons dans une nouvelle ère dans un nouveau monde. Pour autant il est vrai que l’ancien monde hérité de 1945 et probablement du Traité de Westphalie reposait sur une série de paradigmes
– des puissances régentées peu ou prou par les mêmes règles, souvent les mêmes idéologies, hors périodes révolutionnaires  
– intangibilité des frontières, et le célèbre principe Cujus regio, ejus religio .
Pour simplifier, même en période de bipolarité, la puissance occidentale, britannique puis américaine a régenté le monde. On se rappellera donc les diverses formules autrichienne, britannique et américaine , les unes plus délicieuses que les autres: AEIOU, Rule Britannia, Speak softly and carry a big stick.

Enfin des guerres facilement identifiables dans leur mode opératoire et par leurs acteurs.
Il est cependant un facteur qui complexifie la politique étrangère américaine en Inde. Il leur faudra -peut-être – envisager une situation de zone grise.
Citons à cet égard Patrick Wasjman qui fut un professeur exceptionnel : « La notion d’interchangeabilité entre guerre et politique est une des données fondamentales de la pensée marxiste. Le passage de l’une à l’autre n’est pas marqué par une cassure brutale. Au contraire, lorsqu’un conflit éclate, les marxistes ont tendance à l’interpréter comme l’émergence de la structure véritable des relations internationales, plutôt que comme la perturbation exceptionnelle de l’ordre établi. »  27
Désormais ce n’est plus le cas. Si la puissance américaine reste toujours la première, elle n’est plus hégémonique. Elle doit composer et surtout prioriser ses objectifs. Depuis la seconde guerre mondiale, les Américains n’entendaient pas mettre fin à un conflit sans obtenir la défaite totale de l’adversaire. Au temps de la guerre froide, chaque camp vouait l’autre aux gémonies et se pensait l’unique représentant du Bien. Pour dire le vrai les choses n’ont pas foncièrement changé.

La quasi-totalité de ces paradigmes a volé en éclats dans le monde actuel mais cette dernière perdure.
En outre ce conflit majeur met aux prises des acteurs non occidentaux dans une région non occidentale. Le Japon défit et humilia sévèrement la Russie en 1905, le traité fut d’ailleurs signé aux États-Unis à Portsmouth. En outre le Japon se voulait émule de l’Occident.
Or dans cette occurrence, les acteurs ne sont pas occidentaux, ils refusent tous, certes à des degrés divers, les valeurs occidentales. C’est tout sauf anodin, il faudra donc suivre l’évolution de l’Inde et son insertion dans les relations internationales actuelles. Ce sera un test pour voir comment des pays émergeants peuvent assumer leur part de responsabilité.
La politique américaine se heurte aux mêmes blocages qu’elle a connu durant les années de la détente.
«  Toute diplomatie devient difficile lorsqu’une des parties considèrent que l’élément essentiel de la rencontre virgule le contenu même du marchandage n’est que la superstructure des éléments qui ne font pas partie des matières négociées. »  28
Patrick Wasjman pourrait reprendre mot pour mot cette assertion en remplaçant simplement le mot URSS par Inde. Mais les Indiens étant des commerçants fort habiles, ils le feraient sans doute avec plus d’élégance.

Tout l’effort américain consistera donc à tracer le chemin à l’Inde pour que 1905 ne se transforme pas en décembre 41. Obama avait inventé, dans le champ militaire, le concept du « leading from behind », il reviendra à Joe Biden de ciseler ce concept dans le champ diplomatique.
 À cet égard Obama ne fit que reprendre le concept de la doctrine Nixon -Kissinger telle qu’annoncée à Guam en 1969. Nous ne pouvons que suggérer à Joe Biden de relire l’analyse impeccable qu’en fit Patrick Wasjman :
«  Elle se proposait de promouvoir un désengagement sélectif des États-Unis ; il ne s’agissait donc pas pour les États-Unis de se retirer purement et simplement de positions trop aventurées dans le monde, mais de se retirer sans perte significative de puissance. En un mot, il convenait que l’Amérique conservât une influence, mais sans exercer- dans la mesure du possible-de responsabilités directes. »  29

Certes les USA portent une fois de plus le fardeau le plus lourd, mais cela ne les autorise pas à imposer une nouvelle lex americana ou pax americana. Dans un article prémonitoire publié dans nos colonnes, Philippe Moreau Defarges avait prédit dans un article brillant comme à l’accoutumée- il y a quelques années-   la Pax Americana doit hélas mourir un jour. 30

 L’on citera, une fois de plus avec un bonheur renouvelé, la pensée si juste et si fine de Maurice Gourdault-Montagne qui fort de son immense expérience aurait pu conseiller aux Américains : «  Il faut savoir saisir les sensibilités qui nous demeurent étrangères et c’est à la diplomatie de permettre aux dirigeants d’éviter les maladresses qui affaibliront les intérêts dont ils ont la responsabilité »  31

Les Américains vont interagir dans un monde où la représentation de la souveraineté sera hypertrophiée, elle aura probablement plus d’importance que les seuls rapports de force. D’où les erreurs de calcul désormais moins impossibles. Jusqu’à présent, hormis la France et la Grande-Bretagne, les USA se voyaient et étaient acceptés volens nolens comme le Lord Protecteur en raison de l’absence d’armes nucléaires dans ces pays. Or l’Inde et cela fait toute la différence est une puissance dotée qu’on le veuille ou non cela limite la marge de manœuvre.
A cet égard, en toute modestie, nous suggérons tant aux Indiens qu’aux Américains de s’inspirer de Thomas Schelling, économiste et co-lauréat du Prix Nobel d’économie, mais aussi un des plus fins connaisseurs de stratégie nucléaire. Une des idées force de Schelling était : « The Threat that leaves something to chance. » 32

En guise de conclusion

 « Démarate, à ces mots, lui déclara : Seigneur, tu exiges la vérité, une réponse qui ne te fasse pas constater un jour qu’on t’a menti : Eh bien, la Grèce a toujours eu pour compagne la pauvreté, mais une autre la suit : la valeur, fruit de la sagesse et de lois fermes ; par elle la Grèce repousse et la pauvreté et le servage. J’honore tous les Grecs des pays doriens de là-bas, mais je ne vais pas te parler ici d’eux tous, il s’agit des Lacédémoniens seulement : d’abord, rien ne leur fera jamais accepter tes conditions, qui apportent l’esclavage à la Grèce ; ensuite, je sais que tu les trouveras devant toi pour te combattre, quand tout le reste de la Grèce p se rangerait sous tes lois. Leur nombre ? Ne cherche pas combien ils sont pour se permettre cette audace : qu’il y en ait mille sous les armes, ils seront mille p à te combattre ; qu’il y en ait moins, qu’il y en ait plus ils seront là. » 33

Bien entendu nous ne saurions négliger ce que les abstentionnistes veulent nous dire ; et nous reconnaissons évidemment qu’il y a presque là un impératif catégorique.
Pour autant il nous semble tout aussi vrai de rappeler que les votes condamnant la Russie représentaient un étiage compris entre 120 à 145 voix à l’ONU.
Moins de 40 pays se sont abstenus.
Face à cette arithmétique, nous revient en mémoire Xenophon qui écrivit il y a bien longtemps : « Tu sais n’est-ce pas, que ceux qui sont devenus aujourd’hui tes sujets n’ont pas été amenés par un sentiment d’amitié pour toi, à t’obéir, mais par contrainte, et qu’ils tâcheraient de recouvrer leur liberté, si la peur ne les retenait. Or à ton avis, qu’est ce qui grandirait leur crainte et leur réserve à ton égard ? » 34

Leo Keller
28/06/2023




Notes

1 Racine in Britannicus Acte III scène 3
2 Racine in Phèdre Acte II scène 5
3 Walter Lippmann in Cité Libre p 51 librairie de Médicis 1945
4 Raymond Aron In l’opium des intellectuels
5  Nirupama Rao The Upside of Rivalry in Foreign Affairs April 18, 2023
6 Raymond Aron in Chroniques de la Guerre Froide. 13/12/1950

7 in Reuters 16/09/2022

8 In The Diplomat 11/11/22

9 Sameer Lalwani Happymon Jacobin Foreign Affairs January 24, 2023

10 Marc Bloch in apologie pour l’histoire propos rapporté par Gérard Araud in nous étions seuls p 9
11  Nirupama Rao The Upside of Rivalry in Foreign Affairs April 18,

12 Discours prononcé à la Chambre des Communes le 4/06/1942
13 Nirupama Rao The Upside of Rivalry in Foreign Affairs April 18, 2023
14 Sameer Lalwani; Happymon Jacob Will India Ditch Russia?in Foreign Affairs 24/1/2023
15 Sameer Lalwani Happymon Jacobin Foreign Affairs January 24, 2023
16 Shivshankar Menon The Fantasy of the Free World in Foreign Affairs April 4, 2022
17 Nirupama Rao The Upside of Rivalry in Foreign Affairs April 18,
2023
18 Discours prononcé par Nehru devant le Parlement indien le 7/08/1953
19 Tweet du 22 Mai 2023 Stephen Dziedzic
20  Foreign Affairs 22/09/2022
21 Times of India 05/04/2022
22 in The Guardian 1 Juillet 2005
23 Philippe Moreau Defarges in Blogazoi Donald trump ou la Pax Americana doit hélas mourir un jour.
24 Bruno Tertrais in les conséquences stratégiques p 26
25 Gérard Araud  in Nous étions seuls p 315
26 Kevin Rudd Why the Quad Alarms China in Foreign Affairs 6 August 2021
27 Patrick Wasjman in L’Illusion de la Détente  PUF P56
28 Patrick Wasjman in L’Illusion de la Détente  PUF P 58
29 Patrick Wasjman in L’Illusion de la Détente  PUF P 167
30 Philippe Moreau-Defarges la Pax Americana doit hélas mourir un jour in Blogazoi
31 Maurice Gourdault-Montagne in Les aytres ne pensent pas comme nous P 319
32 Thomas Schelling in American
33 Hérodote in l’Enquête Livre VII La Pléiade p 496  
34 Xenophon in Anabase livre VII les belles lettres P 165  

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