L’Europe puissance ou l’Europe eunuque ? Par Mogens Peter Carl ancien Directeur général de la Commission européenne.
Partie I
Qui a peur du Grand Méchant Loup ?
Un détour à Hollywood, 1933, et à la Guerre Froide:
La plupart de ceux qui ont commencé à lire ce papier auront (au moins) deux choses en commun : premièrement, ils auront vécu, en tant qu’enfants, parents ou grands-parents, à travers le dessin animé de Walt Disney, les mésaventures du Grand Méchant Loup. N’entendez-vous pas, comme une madeleine de Proust sonore, la chanson ? : « Qui a peur du Grand Méchant Loup, c’est pas nous… », ou « Who’s afraid of the Big Bad Wolf… ».
Nous avons probablement aussi ceci en commun d’avoir passé une partie de notre vie sous la menace de la Guerre Froide. Pendant celle-ci, aucun doute (on ne craignait pas les amalgames…) le Grand Méchant Loup était l’Union Soviétique qui, avec ses innombrables chars était prête à déferler sur l’Europe à travers le Fulda Gap pour nous incorporer dans son goulag. Nous ignorions que leur obsession à eux était créée par la doctrine américaine du « first strike », donc de l’anéantissement nucléaire.
Voilà des références culturelles et politiques probablement communes. Rien de tel pour faciliter la compréhension mutuelle.
Comme des millions d’autres Européens, je suis resté convaincu de cette description un peu (sic) manichéenne du monde jusqu’en 1986 lorsque Gorbachev a secoué les piliers du temple soviétique qui se sont écroulés sur lui et son empire.
A la surprise générale le château de cartes de l’URSS s’est effondré, comme un décor à la Potemkine. Quarante années après le début de cette confrontation jouée surtout ailleurs, par pays interposés, pour le malheur des Sud-Américains, Afghans et autres Vietnamiens, on a découvert que l’Empereur rouge, que le Grand Méchant Loup était nu, que son économie était loin derrière la nôtre, que sa capacité de conquête était exagérée, au pire une fausse nouvelle savamment ou paresseusement entretenue. De toute façon, la plupart d’entre nous ne préfèrent-ils pas « crier avec les loups », et en l’occurrence contre le Grand Méchant ?
Or, la connaissance de l’Histoire est devenue une affaire pour une petite minorité et se perd de plus en plus vite, remplacée par des vieux clichés. Lorsque la Russie est redevenue un acteur important sur la scène internationale politique mais pas économique il y a une dizaine d’années, personne, y compris le soussigné, n’a cru bon de vérifier si elle en avait vraiment les moyens industriels et militaires. On n’a pas pu ou voulu le faire car l’Europe s’est en grande partie repliée sur elle-même sur le plan de la politique extérieure (malgré quelques velléités de la France de jouer un rôle ici ou là) et les Etats-Unis, fait presque inconnu dans l’histoire, semblaient avoir tiré la conclusion des désastres de leurs interventions militaires pour…ne plus en faire, laissant la place libre aux successeurs de Potemkine. Ceux-ci se sont manifestement laissés inspirer par la peur résiduelle de l’Union Soviétique en faisant croire que leurs moyens militaires et économiques étaient bien supérieurs à la réalité.
Ceci aurait dû nous interpeller car leur économie a les mêmes caractéristiques que celles des pays du tiers monde qui dépendent de leurs exportations d’hydrocarbures, aux dépens du développement de l’industrie indispensable à toute grande puissance. Les chiffres bruts ne sont pas nécessairement très compréhensibles, suffit-il de dire que la production industrielle de la Russie est, au mieux, au niveau de celle de la France, donc une fraction de celle de l’Europe. Les exemples abondent des pénuries causées par les sanctions européennes (et les leurs…). Le plus frappant : 90% de la flotte russe d’avions civils est composée d’Airbus (et de quelques Boeing), maintenant cloués au sol pour cause de manque de pièces détachées.
Or, comme le disait Keynes, « practical men are usually the slaves of some defunct economist” (lui-même devenant, à son tour, un « defunct economist »). Nous nous voulons tous des hommes ou femmes « pratiques », c-à-d réalistes. Substituer au mot « économiste » de Keynes le mot « cliché » ou « récit historique mal digéré » et le sens de la citation nous ramène à 2023. Sa confirmation pendant la guerre d’Ukraine a été éclatante :
Dès l’invasion russe, nous avons tous cru que son armée serait invincible, un successeur de cette Armée Rouge dont le rouleau compresseur nous avait sauvé des nazis, que cette armée ne ferait qu’une bouchée de l’Ukraine. J’étais de ces crédules, je ne me moque de personne, plutôt de notre crédulité irrépressible et collective.
Est-il besoin de rappeler que la Russie compte 146 millions d’habitant et l’Ukraine 44 millions et que ces deux pays connaissent le même niveau (limité) de développement économique ?
Cinq mois plus tard ces cassandres se sont transformées en triomphalistes antirusses, applaudissant depuis leurs canapés (en italien, « poltrone »…) le David ukrainien qui a réussi à résister vaillamment au Goliath russe. Comme pendant la guerre froide, on se fait la guerre par personne interposée. Heureusement pour nous, les Ukrainiens ont le courage de se battre, et l’on peut continuer à remplir nos journaux avec des photos représentant des horreurs inconnues en Europe depuis 1945. On peut même en tirer l’impression que beaucoup de journalistes et lecteurs aiment cela…
Personnellement, j’en ai honte, pour les Russes et d’autres qui commettent ces horreurs, et pour l’Europe qui se complaît dans son rôle de fournisseur d’armes, dans ce qui est devenu un « spectator sport ». Laissons de côté la bêtise crasse du professeur d’une université italienne qui a annulé un cours sur Dostoïevski ou les organisateurs de l’intendance du récent sommet de l’OTAN à Madrid qui ont enlevé la « salade russe » du menu (ignorant, semble-t-il, qu’ils répétaient la même bêtise que celle du Congrès des Etats-Unis qui en 2003 a rebaptisé les « french fries » en « freedom fries » devant le refus de la France de soutenir l’invasion américaine de l’Iraq). Quand interdira-t-on les « montagnes russes » dans nos parcs d’attraction ou la roulette russe ? Tout cela est de très bas étage, peut-être une façon de se dédouaner de…ne rien faire.
La recherche par Poutine d’un de ses buts annoncés ou prétendus, d’arrêter la progression de l’OTAN, a été un « own goal » spectaculaire, avec la Finlande et la Suède qui se sont précipitées pour rejoindre l’Alliance Atlantique dans un geste que j’appellerais « pavlovien » si je ne craignais pas les foudres des bien-pensants.
Revenons au point de départ, c-à-d au « Grand Méchant Loup ». Le « GML » (pour faire court) a montré, pour mélanger les métaphores, qu’il a des pieds d’argile. Il s’est (presque) fait arrêter par un David avec un quart de sa population. Maintenant, les tenants des hypothèses jusqu’alors les plus « grand-méchant-loupistes » nous abreuvent d’arguments pour expliquer que, finalement, le GML n’avait pas vraiment de grands crocs, que son organisation était assez nulle, qu’il n’avait pas ceci et cela et que nos armes sont de loin supérieures. Et nos services de renseignement, ne savaient-ils pas déjà tout cela ? Ou s’agit-il, au moins dans le cas du Grand Gentil Loup (aka GGL), d’un service de renseignement discrédité en insistant sur la présence d’armes « de destruction massive » dans un pays, l’Iraq, encore plus arriéré que la Russie ?
L’issue de ce conflit est, bien entendu, incertaine. M’étant lourdement trompé (comme vous aussi, cher lecteur, assez probablement) je ne m’hasarderai à faire aucune prédiction. Il est peu probable que le GML finisse comme celui du conte des Trois Petits Cochons, tombé d’en haut dans le feu de la cheminée, ou comme le loup de Prokofiev (si je peux encore une fois me permettre de citer un Russe sans être dénoncé par les bien-pensants), attaché par les fiers villageois à une branche et ramené en triomphe au village…le travail ayant été fait par Pierre (l’Ukrainien), pas par nous).
Non, l’unique but de cette note est de suggérer que nous avons encore une fois, collectivement, été des victimes consentantes de la propagande russe, des clichés hérités de la guerre froide, y compris notre propre propagande et aveuglement, bref, que Goliath s’est encore une fois révélé être une construction de nos fantasmes, de notre peur presque ancestrale du GML (je laisse de côté le fait un peu dérangeant que le GML a eu l’habitude de subir des invasions non provoquées venant de chez nous, depuis les Polonais et Charles XII de Suède, en passant par Napoléon, et finissant avec Hitler, car il est devenu politiquement incorrect d’évoquer cela. De toute façon, cela n’excuse rien).
J’entends déjà les cris des Baltes et autres Polonais disant que je suis irréaliste, que c’est facile de tenir de tels propos lorsqu’on habite à 1 500 km de la frontière avec le GML. Ils auraient en partie raison car il est difficile, voire impossible de prévoir les actions du maître actuel du Kremlin ou de ces successeurs. Seul un intrépide naïf exclurait une attaque contre, p.ex. l’un des pays Baltes. Donc, mon propos n’est pas de dire que nous n’avons rien à craindre. Au contraire, devant l’irrationnel ou l’imprévisible il faut s’armer. Non, mon propos est de dire qu’il est parfaitement possible de nous défendre, que le GML est relativement faible, tout en restant une puissance nucléaire.
A ce propos, les déclarations publiques de Poutine au sujet d’un recours éventuel aux armes nucléaires ont évidemment été conçues pour effrayer les opinions, ce en quoi il a réussi, en prenant la posture d’un vrai Grand Méchant Loup, rôle que l’on lui reconnaît presque machinalement. Les doctrines nucléaires occidentales et russes reconnaissent, explicitement ou implicitement, une « sanctuarisation défensive » : si des intérêts vitaux sont mis en jeu, la dissuasion nucléaire doit pouvoir neutraliser celle de l’adversaire (« contre-dissuasion »). Or, même si l’Occident mène une guerre de procuration contre la Russie, il n’a pas encore franchi une limite inacceptable aux Russes et les Ukrainiens ont été rappelés à l’ordre lorsque leurs drones ont fait des attaques sur le sol de la Russie. Où se situe la véritable ligne rouge ? Personne ne le sait mais on n’a sans doute pas intérêt à la franchir…sous peine de provoquer une riposte russe fulgurante sur le sol ukrainien.
En évoquant le sujet nucléaire, Poutine savait, bien entendu, qu’il ferait peur. Il a pu profiter de sa mauvaise image auprès d’une bonne partie de l’opinion occidentale pour provoquer le spectre du « MAD » (« mutually assured destruction »), surfant sur sa mauvaise image pour exploiter la « théorie du fou » chère à Nixon à l’époque de la guerre du Vietnam (en bref, la tactique consistant à faire croire à l’adversaire que l’on est suffisamment fou pour appuyer sur le bouton).
Revenons au fil rouge de ce récit. J’insiste plutôt sur l’absurde d’une situation où l’Union européenne, forte de 450 millions d’habitants, avec une industrie qui est de loin supérieure en qualité et en quantité à celle de la Russie, que les membres de cette Union craignent de ne pas être en mesure de faire ce que les 44 millions d’Ukrainiens ont fait. Je sais et je regrette que nous sommes désunis à maints égards, que la méfiance règne entre l’Est et l’Ouest de l’Union européenne, qu’il n’y a quasiment aucun pays européen qui n’a pas été envahi par son voisin. On sait tout cela mais devons-nous en rester prisonniers ?
Peut-on m’expliquer pourquoi l’Ukraine peut se défendre, certes avec beaucoup d’aide européenne et américaine), et nous pas ? Cela devrait être bien plus facile pour nous, nous qui sommes dix fois plus nombreux et, malgré une certaine désindustrialisation, bien plus capables de mobiliser ou recréer l’infrastructure industrielle nécessaire à un réarmement massif. Ou sommes-nous collectivement devenus tellement esclaves des clichés du passé et de nos divisions ancestrales que nous ne sommes plus en mesure de raisonner, que le politiquement correct et la pensée unique se sont emparé de la place publique au point de chasser des artistes russes de nos opéras pour nous faire pardonner notre état d’eunuques ? Est-ce que nos 27 petits cochons ne seraient pas en mesure de réserver une misérable fin au GML si d’aventure il attaquait nos maisons ? Certes, il faudrait d’urgence reconstruire nos armées — y compris nos stocks de munitions, comme le rappelle la guerre en Ukraine, le tout sacrifié sur l’autel des « dividendes de la paix » post 1990 et d’une vision béate du monde.
Dommage que nous n’ayons plus avec nous le Pape Pie II mais l’on pourrait demander au Pape François de mettre à jour mutatis mutandis, la lettre que son prédécesseur écrivit en 1461 à l’intention de Méhémet II, dit le Conquérant, pour l’envoyer à Moscou,. Je vous rappelle que le « péril turc » était, à l’époque, l’équivalent du « péril rouge » de nos jeunes années et de sa version de 2023 :
« …pense ((Méhémet II, ou si vous voulez, Poutine)) à ce que tu entreprens. Tu ne peux
ignorer combien est la Chrestienté de longue estandue,
combien est puissante l’Espagne, La France belliqueuse,
l’Allemagne peuplee, La Bretaigne forte, la Poloigne fiere,
La Hongrie deliberee et resolue, l’Italie opulente et
courageuse, et bien duite au maniment des armes. Scais tu
pas bien que la seule t’a bien resisté, et a faict teste à tes
predecesseurs. Et qu’il y a quatre vingts ans, que
l’expedition Turquesque s’est faicte, et que les enseignes ont
esté desployees pour guerroyer les Hongres ((lire l’Ukraine)), et neantmoins
n’ont encore sceu traverser le Danube, et sont là
demourees ? Puis qu’une seule nation t’a acculé. Que pense
tu faire, si tu entreprens guerre contre les Italiens, François,
et Allemans, Peuples bien unis et ramassez, et de cœur
hautain voire de force indomtable ».
(Texte traduit du latin à l’époque dans ce français fleuri. Pour une version en français moderne, lire les « Confessions d’un bon à rien » d’Elie Barnavi, une bonne raison de plus d’acheter ce livre passionnant).
L’Histoire ne se répète pas mais les comportements humains se répètent obstinément. Donc, en 1461, les Etats européens, désunis encore plus qu’aujourd’hui, craignent une nouvelle invasion turque, lire « russe ». Le Pape, lire « La Présidente de la Commission » et/ou « le Président du Conseil européen », s’en émeut, et essaie de dissuader Méhémet II, lire Poutine I, d’aller plus loin. La raison contre la force brute. Méhémet semble avoir compris car il n’est pas allé plus loin même si ses successeurs l’ont essayé, et finalement échoué.
Pour la petite histoire, dans la même lettre, Pie II essaya de persuader Méhémet de se convertir au Christianisme, ce en quoi il échoua, un peu comme nos tentatives un peu candides d’exporter notre démocratie dite occidentale en Russie.
Même Candide, dont j’ai vaguement assumé les traits pour cet article, ne serait pas assez naïf pour croire que le sultan de 2023 serait sensible aux belles phrases d’un Pie II moderne. Il ne croira qu’aux actes, et ce n’est pas le reflexe un peu pavlovien (encore un Russe !) de la Finlande et de la Suède de se cacher sous les jupes de l’OTAN qui l’en découragera.
Donc, à mes regrets, les Européens sont plutôt en train de déformer la chanson de Disney en ceci « Qui a peur du Grand Méchant Loup, c’est bien nous, c’est bien nous »…
Partie II
Le poids de l’Histoire
On ne saurait expliquer cet état d’impuissance collective par une analyse objective des rapports de force mais par le poids de l’Histoire. Cela est peut-être une évidence pour les eurosceptiques et les « euro-ignorants ». Pour faire simple et court, les fédéralistes européens (dont je suis) ont ignoré les traces dans les esprits de plusieurs siècles de conflits entre pays européens parce qu’ils ont pu les surmonter dans d’autres domaines (voir plus loin). Ils ont commis une erreur monumentale de logique, confondant les indéniables réussites de la « construction européenne » sur le plan économique, social et humain avec les perspectives de succès d’une Europe souveraine sur le plan politique et militaire. Bref, qui l’aura mieux dit que Philippe Claudel (in « Mélodie allemande ») : « …la mémoire collective… parfois pèse d’un poids insoutenable sur la vie du groupe qui la fabrique et la subit ou bien au contraire paraît évidée de sa matière douloureuse et gênante, au point d’agir à la fois comme un écran de brouillard et un confortable narcotique ».
On peut illustrer ceci par un rappel très abrégé, un peu à la Prévert, des cinq derniers siècles d’histoire européenne et de nos guerres fratricides à répétition. Voici une liste non exhaustive (les références à «Allemagne(s) » et «Italie(s) » couvrent une grande complexité historique, ces pays n’étant devenus unitaires que depuis relativement peu de temps. D’autres pays ne figurent pas sur la liste car ils ne sont devenus indépendants qu’assez récemment) :
—Danemark : envahi par ou agresseur à l’occasion de : Suède, Norvège, Angleterre, l’Allemagne(s)
—Suède : envahi par ou agresseur à l’occasion de : Danemark, Norvège, Finlande, Allemagne(s), Russie
—Allemagne(s) : envahie(s) par ou agresseur à l’occasion de : Danemark, Norvège, Hollande, Belgique, Pologne, France, Italie(s), Grèce, Russie, ex-Yougoslavie, Tchécoslovaquie, Autriche, Hongrie, Roumanie
—France : envahie par ou agresseur à l’occasion de : Allemagne(s), Pays-Bas, Belgique, Espagne, Italie(s), Suisse, Autriche/Hongrie, Russie, Suède, Angleterre, Portugal
—Pologne : envahie par la Suède, l’Allemagne et la Russie, occupée partiellement par ceux-là et par l’Autriche
—Italie(s) : envahie(s) par l’Autriche, la France, l’Espagne, l’Allemagne. Envahisseur (mussolinien) de France, Albanie, Grèce, Yougoslavie
—Espagne, envahisseur ou occupant de ou envahie par : France, Italie(s), Portugal, Pays-Bas
Et ainsi de suite… (en demandant aux lecteurs mieux informés que moi de me pardonner tel oubli ou telle erreur). Certains pays européens ajoutent au poids des conflits extérieurs les graves conflits internes qui semblent continuer à les diviser (en France, on croit revivre périodiquement 1792/93, la défaite de 1940, l’infamie de l’Etat français et Pétain. En Italie, le spectre de l’époque mussolinienne reste prêt à surgir à n’importe quel moment.
On pourrait continuer mais l’essentiel est là : dans le subconscient européen, restent les séquelles, le plus souvent très vagues, mal digérées et néanmoins comme des plaies ouvertes, des invasions par nos voisins, rarement de nos incursions chez eux. « L’enfer c’est l’autre ». On ne se fait pas confiance dans le sens où l’on ne se fie pas à ce que le voisin, plus ou moins éloigné, se porte à votre secours.
Le thème du poids de l’histoire n’est évidemment pas très original mais on n’en parle que peu de façon explicite en Europe, au moins en dehors des cercles académiques et littéraires (pour ceux que cela intéresse, une bonne introduction au thème est donnée par Paolo Mieli, in « Ferite ancora aperte » et « La terapia dell’oblio », malheureusement apparemment non traduits). Voir aussi Dominique Moïsi, in « Géopolitique de l’émotion ». La littérature sur le sujet est vaste, mais elle a besoin d’être lue et comprise beaucoup plus largement car nous avons un cas quasi clinique en Europe où l’on a manifestement besoin d’un énorme effort de psychothérapie de masse…On nous dira que « les jeunes » ne portent pas ce fardeau. Au contraire, puisque l’enseignement de l’histoire est relégué au deuxième rang à l’école, les clichés auront d’autant plus de poids dans leurs esprits.
Ingrid Bergman l’a dit mieux que personne :
« Le bonheur, c’est avoir une bonne santé et une mauvaise mémoire ».
Le Brexit en est un exemple majeur d’histoire mal digérée, avec une opinion publique (au moins une moitié…) où ne subsistait en matière d’histoire que quelques bribes déformées, et surtout sujette à un pilonnage incessant d’une presse de caniveaux ahistorique pour laquelle la France était l’ennemi principal, comme en 1807 et les nazis étaient au pouvoir à Bruxelles (voir p.ex. la campagne honteuse contre l’élection du Président Juncker, traité de « fils de nazi » par certains journaux)…Heureusement, cette énorme erreur n’a pas causé de morts, contrairement au pire exemple récent qui est, bien entendu, celle de l’obsession du maître du Kremlin de reconstituer l’URSS en (ré)incorporant l’Ukraine, au prix de dizaines de milliers de morts.
Le contre-exemple éclatant donné par Charles de Gaulle en 1962 en invitant Adenauer chez lui pour commencer un dur travail de réconciliation a certes eu une grande répercussion positive mais qui s’est effiloché avec le temps. A noter que De Gaulle, aussi patriote qu’il l’était, avait surtout une vaste connaissance de l’Histoire et qu’il savait en tirer des conclusions constructives pour la paix. Malheureusement, le soi-disant couple franco-allemand qui a certains moment a semblé en sortir est actuellement retombé dans ses habitudes de méfiance réciproque, un peu comme un couple qui s’est beaucoup disputé, parfois rabiboché, engendrant au fil des ans quelques beaux enfants, tout en ne donnant aucun gage pour l’avenir de leur relations et donc, soyons réalistes, pour celui de l’Europe. Sous le poids de l’histoire… ?
Tout ceci demande, voire exige une grande exception à cet appel à l’oubli : la Shoah dont le souvenir doit être perpétué, aussi comme un avertissement pour nous et les générations futures de la fragilité de nos démocraties, du risque toujours présent de retomber dans la barbarie, de la fragilité des structures politiques qui nous protègent de la résurgence des monstres, momentanément sous contrôle mais toujours prêts à revenir à la surface. On pourrait y ajouter les autres grands génocides des temps modernes mais celui de la Shoah demeure Le Mal Absolu.
Cependant, les répercussions négatives de ce poids de l’histoire ne s’appliquent pas ou peu aux relations avec les Etats-Unis, malgré les destructions massives des villes allemandes et italiennes pendant la guerre et leurs guerres désastreuses au Vietnam, en Iraq et Afghanistan. Malgré cela, nos pays se trouvent dans un esprit de dépendance psychologique des Etats-Unis si possible encore plus grand qu’avant l’Ukraine. Pour enfoncer le clou, je ne connais aucun pays européen qui ne fait pas davantage confiance pour sa défense aux Etats-Unis qu’aux autres européens. Il va de soi que ceci demeure au moins partiellement lié à l’absence de toute perspective de défense commune dotée d’armes nucléaires. La question n’est pas, ou ne devrait pas d’être « pro » ou « anti » américain, mais de prendre conscience de notre unicité culturelle européenne et de nos intérêts profondément partagés, pour enterrer une fois pour toutes les guerres du passé.
Vous en tirerez les conclusions que vous voulez pour l’avenir de nos politiques communes dans ces domaines. Voici les miennes :
III. L’Europe (im)puissante ?
J’arrive donc après moult détours, au titre provocateur de l’essai publié par mon ami Léo Keller en 2021où j’avais annoncé une future tentative de répondre à la question de : »l’Europe eunuque, l’europe puissance , ou Grande Suisse »?
Fort heureusement, j’ai attendu jusqu’à maintenant pour essayer d’y répondre car le monde, ou plutôt notre monde, a radicalement changé depuis lors:
- « L’Europe « eunuque »? Actuellement, oui, car nous nous limitons à fournir des armes à l’Ukraine, même si elles sont, dit-on, meilleures que celles des Russes. Comme l’a dit un porte-parole (du Kremlin…) « les Européens et les Américains sont prêts à se battre jusqu’au dernier…Ukrainien ». Sic transit…Remarque d’une justesse cruelle, car notre politique ne demande que des efforts économiques très limités par rapport à nos ressources. On y objectera qu’une intervention directe nous amènerait à une troisième guerre mondiale. Certes, mais si l’Europe avait été politiquement unie et militairement puissante, le maître du Kremlin aurait sans doute hésité à se lancer dans cette agression. Elle ne l’était pas, et il ne sert à rien de le regretter maintenant.
2) « Europe puissance » : un bel objectif auquel il ne faut pas renoncer, mais que faut-il encore pour nous y amener ? Même la Présidence de Trump, ou la menace de son futur avatar, ou Poutine ou Xi, combinée avec l’invasion de l’Ukraine, ne semblent pas avoir réveillé nos 27 Belles au Bois Dormant, sauf peut-être la France, mais elle est bien seule, et elle semble trop préoccupée par le nombre de trimestres qu’il faut accumuler avant de pouvoir partir à la retraite.
3) Alternativement, on pourrait viser un statut de « Grande Suisse » ? Logiquement, vu les contraintes, ceci semble le seul but théoriquement réalisable dans un avenir prévisible, vu la dispersion d’intérêts et de mentalités de nos 27 Etats Membres, sous le poids d’une Histoire souvent mal digérée, moins unis sur les questions de « grande politique » que jamais. Ne me comprenez pas mal : j’ai beaucoup d’amitié pour la Suisse dont la « neutralité » est basée sur un état de préparation militaire qui découragerait quiconque de s’y frotter (et notez qu’il n’y a qu’une seule armée helvétique, pas une pour chacun des 24 cantons…). Or, l’inconvénient serait que, comme la Suisse, on ne se mêlerait pas, surtout militairement, de ce qui se passerait en dehors de nos frontières (mais notez que la Suisse a immédiatement adopté toutes les sanctions européennes contre la Russie), en raison de nos dissensions causées par nos conflits antérieurs. C’est à la fois peu et beaucoup car notre premier devoir envers nos concitoyens n’est-il pas d’assurer leur défense, même au-delà de leurs frontières ? De toute façon, cela ne servirait pas à grand’ chose d’avoir des moyens de défense commune si l’emploi de ces moyens n’était pas soumis à une gouvernance commune, sans droit de véto sauf dans des cas extrêmes. On en est si possible encore plus loin, pour les raisons évoquées plus haut.
La plus grande différence par rapport à l’état actuel des choses serait que nous prenions notre défense en main dans tous les sens du terme, sur le plan d’une organisation (état-major) centralisée, avec un commandement commun et une industrie de la défense intégrée, sans nous cacher sous les jupes du Grand Gentil Loup et sans nous « projeter » vers l’extérieur (sauf sur le plan du « soft » power, mais combien n’est-il pas « soft »). Il va sans dire qu’un tel appareil militaire ne servirait à rien sans une politique extérieure commune digne de ce nom. J’ai beaucoup d’admiration pour le haut représentant commun de l’Europe pour les affaires de sécurité extérieure, Joseph Borrell (et d’amitié pour ses collaborateurs) mais on lui a donné une fonction entourée d’un corset invraisemblable de règles d’unanimité qui rend la tâche presque impossible. Dommage, notre absence dans notre « near abroad » nous a déjà coûté très cher (Syrie, Iraq, Libye), mais il faut se rendre à l’évidence que nous sommes très divisés et ceci semble inévitable pour un certain temps. Soyons réaliste : vu l’état d’esprit des Européens et leur méfiance mutuelle, ceci ne pourra se faire qu’avec le consentement et la coopération des Etats-Unis, ce qui demanderait autant d’effort mental là-bas qu’ici : trouvera-t-on un homme d’Etat américain capable de comprendre, comme l’a fait Marshall en 1947, qu’il vaudrait mieux pour eux d’avoir un vrai allié (allié dans le véritable sens du terme) de taille plutôt que 27 plus ou moins inféodés ? Qui parmi les Européens serait prêt et capable de le leur expliquer ?
3) L’alternative est le statut quo où chaque Etat Membre de l’Union européenne, préférerait se fier aux Etats Unis plutôt qu’à leurs voisins européens. Ce n’est pas ce que les fédéralistes européens appellent de leurs vœux depuis très longtemps, mais « l’autonomie stratégique » et une défense commune se sont apparemment éloignées encore plus, au moins momentanément, conséquence étonnante de l’invasion russe de l’Ukraine. Demeure l’espoir que la dynamique historique de notre « Union sans cesse plus étroite » reprenne le dessus. Après tout, c’est cette « dynamique historique » qui a permis la construction de cet extraordinaire édifice qu’est devenu L’Union européenne.
- L’unité européenne sur le plan économique
Pourquoi ce poids de l’histoire ne pèse-t-il pas, ou en tout cas beaucoup moins, sur le plan économique, pourquoi l’Union européenne a-t-elle été un grand succès (avec quelques ratées) (voir mon essai publié par Leo Keller en 2021 que le lecteur trouvera sur « blogazoi ») ?
Commençons avec une citation du grand historien Fernand Braudel que l’on ne peut guère soupçonner d’être un européiste béat, parlant de l’Europe du 11è siècle : « L’intéressant c’est que s’établit malgré tout, malgré le cloisonnement politique, une convergence évidente de civilisation, de culture. Le voyageur sur le chemin de tel pèlerinage…ou en déplacement d’affaires, se sent chez lui, aussi bien à Lubeck qu’à Paris, à Londres ou à Bruges, à Cologne, qu’à Burgos, Milan ou Venise. Les valeurs morales, religieuses, culturelles, les règles de la guerre, de l’amour, de la vie, de la mort sont partout les mêmes, d’un fief à l’autre, quelles que soient leurs querelles, leurs révoltes ou leurs conflits… » (in « Grammaire des civilisations », 1963 ; lire aussi un entretien passionnant de Braudel en 1983 sur https://books.openedition.org/pupvd/3843?lang=fr ).
On ne saurait mieux dire sans changer une virgule au sujet de l’Europe de…2023 et cela constitue l’une des explications de la réussite de la « construction européenne », accompagnée d’une bonne dose de self interest économique et financier. Telle que nous connaissons cette Union, elle demeure essentiellement limitée, pour simplifier, à presque tout ce qui ne relève pas de la défense, s’étant progressivement étendue du strictement économique à englober le social et la santé (très partiellement dans les deux cas), des actions très concrètes (et en grande partie inconnues de la vaste majorité de nos concitoyens) dans la protection de l’environnement et contre le changement climatique, voire même une certaine dose de « solidarité économique » avec des transferts de ressources importants entre Etats et la mise en commun d’une partie grandissante de la gestion de règles gouvernant les relations économiques internationales. Sous l’impact de la désindustrialisation, de la perte de notre « indépendance stratégique » très ébranlée par la Chine, on assiste, finalement, à l’adoption de positions moins « naïves », moins béatement ultra-libérales, mais il y a encore beaucoup de chemin à faire avant d’en voir les effets concrets.
« Le poids de l’Histoire » qui a été le leitmotif plus haut continue, bien entendu, à avoir une certaine influence sur les esprits même dans ces domaines, mais il ne se manifeste que rarement avec la même virulence que dans le domaine sécuritaire. Le plus souvent, il s’exprime par la petitesse ou la courte vue, p.ex. le refus d’aller plus loin avec le transfert de ressources au profit d’autres Etats Membres ou par la limitation tatillonne par les Etats des pouvoirs de l’organe exécutif, la Commission, voire encore par les hésitations de certains « d’aller plus loin ».
Sans vouloir verser dans un optimisme béat (et le lecteur aura remarqué que ceci n’est pas dans les habitudes de l’auteur), l’Union européenne a encore de beaux jours devant elle et évolue avec son temps, parfois avec quelques années de retard, mais à l’intérieur d’un corset, le Traité, qui devient de plus en plus contraignant. Le prochain grand saut qualitatif ? Le vote à la majorité (« qualifiée » ou pas) généralisé.
Que l’on approfondisse encore cette « construction européenne » qui a permis à notre continent d’être devenu un havre de paix et d’humanité au milieu d’un océan agité et parfois inhumain ! Cet approfondissement encouragera une plus grande prise de conscience de notre destin commun et un retour aux sources du concept de « solidarité communautaire », ô combien battu en brèche ou ignoré à l’occasion car les Etats Membres se sont souvent cabrés devant le bastion des intérêts « régaliens », actuellement exemplifiés par la migration et, bien entendu, les questions de politique étrangère. N’oublions pas que l’on a commencé assez modestement en 1953 avec le charbon et l’acier. On ne fait plus de charbon mais on ne connaît plus de frontières entre nos pays et plus récemment encore a-t-on réussi à mutualiser la fourniture des vaccins anti-Covid et à mobiliser un financement commun astronomique pour les pays les plus affectés par cette crise sanitaire (maintenant presque oublié). C’est pas si mal…
Surtout, que l’on s’inspire d’un enseignement de l’Histoire (oui, je ne suis pas à une contradiction près) : l’Union européenne ressemble à maints égards à l’Empire austro-hongrois qui, avant sa disparition, était critiqué par les peuples qui le composaient à cause de sa centralisation (toute relative) des prises de décision, pour être pleuré plus tard pour son exemple perdu de tolérance (relative) et de coexistence pacifique entre une multitude de peuples différents, dès lors dispersés dans plusieurs Etats vulnérables. On pleurerait sans doute aussi l’éclatement de l’Union européenne, vilipendée et bouc émissaire depuis 60 ans, si les forces centrifuges venant à la fois des populistes, des néo-nationalistes et d’une certaine classe politique peu digne la ferait disparaître.
Pour terminer sur un ton plus léger, je ne résiste pas à la tentation de vous suggérer une façon plus philosophique et anecdotique de regarder ce qui se passe :
On doit à Raymond Aron cette pensée : « Oui, l’histoire est la tragédie d’une humanité qui fait son histoire, mais qui ne sait pas l’histoire qu’elle fait. »
Parfois faut-il attendre des années avant de voir les résultats (inattendus) de telle ou telle action. Parfois, c’est presque immédiat, comment nous le voyons sous nos yeux avec quelques beaux paradoxes :
1) l’Ukraine veut rejoindre l’OTAN pour obtenir une protection contre une attaque russe. Ceci donne un prétexte ou provoque l’attaque russe qui pourra amener l’Ukraine à réussir à rejoindre l’OTAN. Les dommages « collatéraux» (expression hypocrite inventée pendant la guerre du Vietnam pour parler de la tuerie des civils) : énormes
2) Les pays de l’Union européenne adoptent des sanctions qui, même si elles ont exclu leurs importations de gaz et pétrole russes jusqu’à récemment, ont contribué à faire flamber les prix de ces matières sur les marchés mondiaux ; résultat : la facture payée à la Russie pour nos importations a explosé en 2022 pour atteindre environ un milliards d’euros par jour, soutenant l’’effort de guerre russe à un niveau qui dépasse, sur une base annuelle, tous nos budgets de défense européens réunis. Le pétrole russe part maintenant en Inde, d’où nous l’importons sous forme de diesel et d’essence, au grand profit des Indiens.
3) Poutine, qui a voulu revenir aux frontières soviétiques d’antan et surtout restaurer le prestige et le pouvoir de son pays, a raté son coup. Pour de longues années à venir, il aura appauvri son pays qui est devenu un paria international
4) L’OTAN, qui était en état de « mort cérébrale » avant, n’est pas guérie, mais les Européens ont remplacé la pensée avec l’énième recours aux jupes de l’Oncle Sam (…) et
5) L’Allemagne, Grosse Schweiz in spe, célèbre l’adoption du principe de » l’autonomie stratégique européenne » à un sommet des 27 un jeudi à Bruxelles en achetant des F 35 américains le vendredi ; la Pologne lui emboîte le pas en achetant des armes coréennes
6) Les Etats Unis demandent aux méchants communistes chinois de ne pas aider les méchants anciens communistes russes à se sortir d’affaire ; résultat prévisible : ils se tomberont dans les bras (ce qu’ils auraient évidemment fait même sans l’encouragement de Joe Biden) d’autant plus que la Chine ne va pas rater l’occasion historique de transformer son voisin russe en junior partner et donc devenir…plus puissante face aux Etats-Unis
7) Fort malheureusement pour les Ukrainiens, ils ne peuvent pas gagner et les Russes ne pourront pas se permettre de perdre. Après des milliers de morts, ils tomberont d’accord sur quelque chose…ou le conflit trainera en longueur (une espèce de Corée bis).
Et maintenant, quelques perles :
- a) L’ineffable Boris Johnson a comparé la lutte des Ukrainiens pour préserver leur liberté avec la lutte du Royaume-Uni contre l’UE pour obtenir son indépendance via le Brexit. Nous devrions être flattés, d’être comparés à un pays (apparemment) puissant : au moins, nous ne sommes pas aussi nuls que le prétend Poutine : nous avons réussi à impressionner B Johnson
- b) l’UK risque d’être remplacé comme membre de l’UE par l’UK-raine. On peut regretter le départ du premier mais on pourra se féliciter de l’arrivée chez nous du second, pays où des centaines de milliers de militaires et civils ont démontré un courage exceptionnel, loin des états d’esprit dans nos sociétés où l’on se préoccupe surtout de notre confort matériel et du court terme
- c) les US, grand exportateur net d’hydrocarbures, ont décidé de renforcer leurs sanctions contre la Russie en interdisant l’importation de gaz naturel et pétrole russe. Les effets seront comparables à ceux qu’aurait une interdiction française d’importer du camembert russe
- d) l’UE demande à ses entreprises de se retirer de Russie ; elles le font en cédant leurs affaires pour un rouble symbolique, à la joie d’une nouvelle classe d’oligarques russes, l’équivalent des acquéreurs des biens nationaux en France en 1790.
Dommage que l’on n’ait pas un Voltaire moderne pour réécrire Candide. Je m’arrête ici mais ne me comprenez pas mal : j’en ris, un peu, parfois beaucoup, mais je pleure surtout pour ceux qui souffrent des conséquences de cette folie, d’autant plus qu’elle aurait pu être évitée si l’Europe avait été « respectée » en tant que puissance à Moscou mais la politique, et la nature, abhorre le vide. Finalement, c’est le ministre finlandais de la défense qui a mis tout cela en perspective en prenant deux mois de congé de paternité en plein milieu des préparatifs permettant à son pays de rejoindre l’OTAN : manifestement, il a compris que « Poutine » rime (presque) avec « Potemkine ».
Un mot de la fin en guise de conclusion : j’ai peiné à mettre tout ceci par écrit, partagé comme je le suis entre les espoirs que je nourris depuis longtemps pour l’Europe et qui m’ont conduit à passer de longues années à Bruxelles, et la réalité telle qu’elle s’impose depuis plus d’un an. Malgré les conclusions pessimistes pour le court terme que je suis obligé de tirer d’une analyse des « choses telles qu’elles sont », je demeure fondamentalement persuadé que l’Europe s’en tirera et qu’elle continuera à évoluer vers une « Union sans cesse plus étroite », riche comme elle l’est sur le plan humain d’une inventivité débordante et d’une capacité de changement parfois radical, la seule grande entité politique au monde à fournir un cadre de vie digne aux plus faibles et moins fortunés et de l’espoir aux jeunes d’habiter un monde moins pollué et moins injuste. Continuons à cultiver notre jardin ainsi.
Mogens Peter CARL
Biographie
Mogens Peter CARL quitte le Danemark très jeune pour poursuivre une carrière internationale. Après Sevenoaks School en Angleterre, il obtient un M.A. à l’Université de Cambridge, suivi d’un MBA à l’INSEAD. Haut fonctionnaire à l’OCDE et Senior Economist à la Banque Mondiale. La plus grande partie de sa carrière se déroule à la Commission européenne où il gravit les échelons pour devenir directeur général du commerce. Ici, pendant une vingtaine d’années, il négocie des accords avec les Etats-Unis, la Russie, la Corée, le Japon et la Chine dans le domaine du commerce de biens industriels (avions, lancement de satellites, acier, chantiers navals, textiles, semi-conducteurs, etc.), conduit des négociations à l’OMC sur la propriété intellectuelle, la technologie de l’information, défend l’agriculture européenne contre les attaques des pays tiers et contribue à lancer les nouvelles négociations commerciales à Doha. Il gère la réforme du système des préférences généralisées de l’UE et la suppression des droits de douane à l’importation en Europe des produits provenant des pays les moins avancés. Il devient ensuite directeur général de l’environnement où il conduit la refonte de la législation européenne dans les domaines de la pollution atmosphérique, des déchets, de l’eau, des produits chimiques et participe à l’élaboration de la nouvelle politique visant la réduction des émissions de CO2 des automobiles. Pilote la réforme de « l’ETS » (Emission trading system), clé de voûte de la lutte européenne contre le changement climatique et participe à la confection du « paquet énergie climat », adopté en décembre 2008. Participe aux négociations internationales sur le réchauffement climatique.
Il quitte la Commission en 2008 pour rejoindre J-L Borloo, alors Ministre d’Etat de l’énergie et de l’environnement, comme représentant pour l’Europe et négocie le paquet énergie-climat avec les autres Etats Membres pendant la Présidence française de l’UE. En 2009, il quitte ses postes officiels et poursuit diverses missions de conseil dans les domaines du commerce international et de l’environnement.
Langues : danois, français, anglais, allemand, italien
Officier de la Légion d’Honneur
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