Deux éditos de Gérard Biard de Charlie Hebdo pour réfléchir sur le 8 Mai

A toutes et à tous j’ai pensé que ces deux éditos de Charlie Hebdo seraient bienvenus en ce jour de commémoration.
Fin tant espérée des guerres et donc des substrats que sont les cultures et je n’oublie pas que le Conseil national de la Résistance a jeté les bases d’un programme social que tant de pays nous envient.
Je vous souhaite donc autant de plaisir dans la réflexion que j’ai eue à la lecture de ces éditos de Gérard Biard de Charlie Hebdo.
Je n’oublie pas ce que je dois à Charlie Hebdo.
Leo Keller

A bas les cultures !
Par gérard Biard  de Charlie Hebdo

Que faut-il faire quand on entend le mot « culture » ? Les avis sont partagés. Dans sa pièce à la gloire du nazisme, Schlageter, le dramaturge allemand Hanns Johst appelait à « sortir son revolver ». Quand il officiait sur Radio Luxembourg dans les années 1960, Jean Yanne préférait pour sa part « sortir son transistor ». Aujourd’hui, il est plutôt recommandé de sortir son dictionnaire, et un flacon d’aspirine, pour s’y retrouver dans le foutoir que le mot est censé définir.

Car ce vocable forcément auréolé de respectabilité est désormais employé jusqu’à l’écœurement, parfois à juste titre, mais trop souvent, aussi, à tort et à travers. Dimanche dernier, par exemple, l’extrême droite polonaise défilait dans les rues de Varsovie pour célébrer la supériorité de la « culture blanche chrétienne ». Plus de différence entre la culture, qui englobe tout ce qui relève des champs de la connaissance, des idées et des arts, et les cultures, où l’on entasse pêle-mêle les folklores, les pratiques religieuses, les modes de vie, les différentes façons de faire cuire les haricots ou de tresser les lacets.
eLe mot « culture » sert aujourd’hui moins à nommer ce qui nous nourrit intellectuellement qu’à justifier ce grand fantasme de « l’identité » censé définir une fois pour tout un individu, un groupe, une communauté, une région, un pays, voire une lubie idéologique ou un mode de vie. « C’est ma culture » est la phrase censée forcer le respect et clore toute opposition dans un débat.

La culture est par définition non figée. Tout comme les lois en démocratie, elle est en perpétuel mouvement, discutée, analysée, critiquée, modifiée, enrichie. Elle peut certes se nourrir du passé, mais c’est un chantier perpétuel du présent, qui, parfois même, est en avance sur l’avenir. Elle est aussi ce qui nous permet de relativiser les cultures, qui elles ne datent pas d’hier, et tendent souvent à y rester.
Ce que l’on nomme « cultures » sont davantage des traditions, des vestiges plus ou moins inaltérés d’époques précises de nos sociétés et de nos civilisations, qui ont subsisté jusqu’à aujourd’hui. Elles n’existent pas par hasard, et encore moins par une volonté divine, mais parce qu’à un moment de l’histoire de l’humanité, dans telle ou telle région du monde, pour une raison ou pour une autre, des femmes et des hommes commençaient à faire certaines choses.
Pour se distraire, pour établir ou préserver un ordre social, pour répondre ou au contraire se soumettre à des pressions politiques ou religieuses, pour des questions de santé publique, etc. Elles peuvent être distrayantes, agréables à pratiquer, complètement idiotes mais inoffensives, voire être toujours en phase avec l’époque, mais elles peuvent aussi relever de pratiques inadmissibles, auxquelles il faut mettre fin.
La question que nous devons nous poser aujourd’hui par rapport à ses traditions est: ont-elles toujours une raison d’être, sont-elles toujours aussi pertinentes, sont-elles toujours aussi amusantes que par le passé ? Sont-elles toujours adaptées à nos sociétés, à notre temps, ce que nous savons, à ce que nous sommes, à ce que nous avons envie de devenir ? Car il arrive que ses coutumes, que nous nommons ou acceptons de voir nommées de plus en plus « cultures » ne soient rien d’autre que de sales manies. Par exemple, les Italiens, du temps de l’Empire romain, avaient une tradition qu’ils trouvaient très amusante : Ils nourrissaient les lions avec des chrétiens. C’était leur « culture ». Puis, un beau jour, ils ont arrêté, parce que, allez savoir pourquoi, ils ne trouvaient ça plus du tout amusant.
Les sacro-saintes « cultures » dont beaucoup se rincent la bouche aujourd’hui, souvent pour de mauvaises raisons, ne sont pas des totems intouchables. Se débarrasser des plus nocives n’ampute pas les sociétés, au contraire, cela les fait grandir.

Gérard Biard Charlie Hebdo 15 novembre 2017

Le fonctionnaire, cet inconnu

Chaque mardi et mercredi après-midi, à l’assemblée et au Sénat, c’est récré. Les parlementaires peuvent, pendant une heure, poser les questions qu’ils souhaitent aux ministres. Ces questions au gouvernement–dont la durée ne peut excéder quatre minutes, réponse comprise–portent généralement sur des thèmes de politique générale.
On en suggère une, curieusement jamais posée bien qu’elle concerne un sujet récurrente dans l’actualité politique : qu’est-ce qu’un service public ? On pourrait même déroger à la règle et la poser successivement tous les membres du gouvernement, Premier ministre compris. Leurs réponses pourraient se révéler intéressantes, voire amusantes, surtout à l’heure où, une fois de plus, la fonction publique subit les assauts de la « réformite » ultralibérale. Parions que nombre de ministres seraient cueillis à froid et pataugeraient dans le flou, la langue de bois, les contradictions et, au final, le ridicule. On entendrait sans aucun doute beaucoup de mots se terminant par « tion », automatisation, dématérialisation, privatisation, suppression, mais rien qui ressemble de près ou de loin à une définition. En tout cas, une définition claire et argumentée…

Pourtant, à force, on aimerait bien savoir ce qu’ils entendent par services publics, ces gouvernants qui ne voient désormais plus les fonctionnaires que comme des meubles humains en nombre excessif, bénéficiant de privilèges indus et au coût exorbitant, exerçant–mal, puisqu’ils pensent que des acteurs privés seraient plus efficaces- des activités jugées superflues ou archaïques
On aimerait vraiment, qu’ils nous donnent, précisément, leur définition, sans tricher–interdit de regarder sur Wikipédia–, d’une mission de service public. Pour formuler la chose encore plus clairement : à quoi sert l’État, qu’ils sont censés incarner et servir.

Prenons par exemple l’hôpital public, que, depuis une bonne vingtaine d’années, les gouvernements successifs, gauche incluse, s’ingénient à vouloir transformer en une entreprise rentable et compétitive.
En France, la santé–donc l’hôpital–est en principe accessible à tous et gratuite. N’y a-t-il pas une aberration à demander un service gratuit être rentable ?
Soumettre les personnels soignants à des impératifs financiers, des quotas d’actes ou d’objectifs à atteindre, les insérer de force dans le jeu de la concurrence, est en contradiction absolue avec leur mission.
Et cela vaut pour tous les agents de la fonction publique, qui ne sont pas là pour capter des parts de marché pour servir au mieux des citoyens. Lesquels citoyens sont, pour utiliser un vocabulaire compréhensible par les Winners qui ambitionnent de transformer la France en « start-up nation », davantage des actionnaires que des cochons de clients, puisqu’ils financent les services publics par l’impôt.
La SNCF vend des billets certes, mais ce n’est pas sa principale fonction, qui est de transporter des voyageurs dans les meilleures conditions de confort et de sécurité partout sur le territoire. La logique commerciale n’est pas celle des services publics. Dès lors qu’ils l’adoptent, ils cessent d’être des services publics.

N’en déplaise à Macron et à ses disciples béats, on ne peut pas faire tourner un pays où il n’y a que des créateurs d’entreprises et des start-uppers. Il arrive un moment où les entrepreneurs ont besoin de se soigner, d’envoyer leurs enfants à l’école, de prendre un train, de renouveler leur passeport, d’aller au commissariat parce qu’on leur a volé l’iPhone X…
Il arrive même que des entrepreneurs aillent en prison, où il faut des gardiens pour les surveiller. Bien sûr, tous ces services peuvent parfaitement être assurés, moyennant paiement, par des entreprises privées, en suivant les règles–ou plutôt le manque de règles –du marché de la concurrence. Mais dans ce cas, il faut avoir la franchise de le dire sans détours ni périphrase. Et d’avouer que non, « service public », on ne voit pas du tout ce que c’est.

Gérard Biard Charlie Hebdo du 28 mars 2018

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