"SE PROMENER D'UN PAS AGILE AU TEMPLE DE LA VÉRITÉ LA ROUTE EN ÉTAIT DIFFICILE" VOLTAIRE

mars 22, 2023

René Frydman. Espoir et crainte en reproduction humaine.

René Frydman. Espoirs et crainte en reproduction humaine.

 

Dans le cadre du cycle « Tout se transforme » à la Fondation Gulbenkian -où nous avions déjà eu le plaisir d’écouter les propos absolument captivants de Jean-Claude Ameisen – René Frydman a donné ce lundi 24 juin une conférence passionnante.

Pour mémoire René Frydman est le

-« père scientifique » du premier bébé-éprouvette français : Amandine.

-« Père scientifique du premier bébé né indemne d’une grave maladie génétique grâce à la technique du DPI (diagnostic préimplantatoire).

– il est également à l’origine de la première naissance après congélation d’ovocytes de jumeaux.

 – il a donné la vie au premier « bébé médicament français.

-En outre dans le cadre de ses fonctions publiques il est membre de la délégation française à l’ONU pour interdire le clonage aux fins de reproduction.

Frydman aime à partager ses doutes tout autant que ses réflexions !

Un couple mythique « le comment et le pourquoi »

À ce jour Friedman est encore pionnier en PMA et en  bébé du « double espoir ». Tentons de retracer brièvement les propos de Frydman, en demandant très humblement aux spécialistes de bien vouloir pardonner nos erreurs et approximations.

Le bébé du double espoir consiste à sélectionner parmi les embryons un embryon non atteint par l’affection génétique de l’aîné puis d’en utiliser le sang. On sauve un enfant et on donne la vie un nouvel enfant. Avec la médecine actuelle on touche au plus profond de la connaissance. Cependant malgré une très grande précision l’on reste encore dans l’inconnu.

L’évolution des 30 dernières années a permis que « l’invisible devienne visible, l’intouchable devienne palpable ». On entrevoit le « début du début de la constitution de la personne humaine mais non de la vie ». Celui-ci est le thème central de toutes les religions et courants de pensée.

Où se situe le dialogue entre le corps et l’âme pour ceux qui croient aux deux ?

Quand commence la personne humaine ?

Y a-t-il un grand créateur ? Le début de la personne humaine date-t-il de la rencontre entre un spermatozoïde et un ovule ? Pour Saint Thomas d’Aquin elle demeure pour les garçons à 40 jours et pour les filles à 80 .Sic ! Dans le talmud l’on considère qu’avant 40 jours c’est de l’eau. Dans la religion musulmane l’on s’accorde à 120 jours. Il y en tout cas une adhésion pour retenir 120 jours qui constituent en fait les trois mois de risque de fausse couche.

Bref la personne humaine est-elle constituée dès le début ou bien est-ce le fruit d’une maturation progressive ? Jean-Paul II -en une casuistique typiquement jésuitique- pense qu’il n’y a pas de personne humaine dès le début mais qu’il faut cependant considérer et respecter la personne humaine dès le début comme si elle existait.

À ce jour les scientifiques s’interrogent toujours sur ce qui est le moteur d’une telle constitution après la gestation de neuf mois. D’immenses progrès ont été accomplis depuis 50 ans et les travaux de Bob Edwards. Au départ il y a donc des  61 avec ses travaux sur le spermatozoïde et l’ovule qui aboutiront à la FIV.  

L’on sait aujourd’hui régénérer et recréer une cellule jeune. Cet embryon peut donner naissance soit un bébé soit à des cellules souches qui seront la médecine régénérative de demain car elles coloniseront les organes défaillants.

1978   premier bébé-éprouvette aux USA. 82 premier bébé-éprouvette en France. Puis lorsque l’on utilise l’ovule d’une autre femme il y a là un saut de barrière. La beauté de la chose c’est que la grossesse permet alors une tolérance à un élément extérieur.

1984  congélation des embryons avec possibilité d’une congélation quasi infinie. Ainsi une naissance a été obtenue 20 ans après la congélation d’un embryon.

Avec l’utérus l’on assiste à une première transgression. Mais surtout le temps constitue une deuxième transgression et cette transgression du temps soulève immédiatement la question de la gestion d’embryons multiples. Que décider, si une femme issue d’un embryon congelé désire utiliser pour donner, la vie un embryon sœur ou frère ?

1992  c’est la fécondation assistée et surtout la possibilité de prélever et congeler un ovaire d’une femme atteinte d’un cancer. La médecine permet aujourd’hui de le lui réimplanter après sa guérison. On protège ainsi la fonction ovarienne quand la patiente est guérie. À ce jour on dénote déjà 40 enfants nés dans ce cas.

La dyssynchronie  entre la congélation d’un organe et la personne humaine non congelable  ne cessera de poser problème. Frydman soulève alors la question des femmes qui souhaitent enfanter tardivement voire  très tardivement. On commence à savoir le faire. On sera capable de pousser le fonctionnement des ovaires le plus tard possible. Pourra-t-elle se tourner vers elle donc d’ovule ? Quelles en seront les limites ?

À cet égard Frydman signale avec un humour féroce -mais juste- que l’Italie peut non seulement s’enorgueillir de compter parmi ses illustrissimes citoyens Silvio Berlusconi mais aussi un Faust  au petit pied, l’obstétricien Antinori qui a accouché une femme de 67 ans.

Mais l’on a surtout progressé dans le DGP. On prélève aujourd’hui des cellules pour un diagnostic génétique. On retire des cellules, on les analyse et on remet l’embryon souhaité dans l’utérus. Ite missa est ! En France cela est autorisé mais parfaitement encadré par quatre centres qui pratiquent ce diagnostic. On sait en outre congeler et décongeler à volonté les spermatozoïdes. À la décongélation, ils bougent toujours autant.

Sachant reconnaître « le délit de faciès » des spermatozoïdes on pêche et l’on fait le tri. L’on sait même traiter le premier globule polaire. (Là toute honte bue nous reconnaissons n’avoir aucune idée de ce dont il s’agit. Nous devinons simplement que cela n’a rien à voir avec les pôles Arctique et Antarctique).

Les médecins possèdent aujourd’hui une impressionnante masse d’informations sur un être qui n’existe pas. Informations précises pour un être à la personnalité indéterminée et en devenir.

Cela ne signifie pas et -surtout cela n’est pas souhaitable- que l’on sait et va jouer aux apprentis sorciers en trouvant le gène de l’intelligence ! Il existe en outre déjà des banques d’ovules dans les pays de l’Est et aux États-Unis. En ce qui concerne la GPA Frydman y est résolument hostile. Le « marché » ajoute-t-il est –hélas- déjà établi dans différents pays. En outre il y a déjà eu 10 greffes d’utérus à partir de mères de femmes qui n’ont point d’utérus.

 

Le « pourquoi du comment » !

Même pour le pionnier de la PMA et du bébé-éprouvette les questions sociétales revêtent une importance cruciale qui vont  au-delà de la simple éthique. Frydman distingue très clairement la recherche obligatoire à ses yeux, car elle conditionne une médecine performante.

Ainsi va sortir pour la première fois en France, dans les jours qui viennent, le classement des centres de FIV. Le taux de réussite moyen est de 25 %. Ces questions sont à la croisée de la réflexion scientifique et des demandes sociétales.

Qu’est-ce qui est licite ? Qu’est-ce qui ne l’est pas ? Que peut-on franchir ? Dans quelles conditions ? Y a-t-il des dérogations ?

Ainsi une femme a-t-elle le droit d’être implantée par le spermatozoïde d’un homme décédé ? Cette possibilité est-elle offerte à une femme seule ? Dans le cadre d’une actualité brûlante qu’en est-il des couples homosexuels ?

Ces trois situations sont interdites en France à ce jour. 8000 femmes ont recouru aux dons d’ovocytes. Et Frydman dessine parfaitement l’évolution.

On est sorti peu à peu du fait des progrès médicaux « du médical pour aller vers le sociétal. » Il y a 30 ans la FIV était un traitement chirurgical de la stérilité. Mais de nos jours les femmes ont un désir absolu d’avoir un enfant même tardivement. Autant il est normal d’intervenir pour une femme fertile, et d’âge raisonnable, car cela relève du traitement médical, autant les dérives d’un Antinori sortent du domaine médical pur pour traiter des problèmes sociétaux. Ce problème prendra de plus en plus d’importance car la tendance actuelle pousse – pour des raisons sociétales – les femmes à enfanter de plus en plus tard. Est-il acceptable de pouvoir sélectionner comme dans un supermarché le sexe de son enfant ?

En France cela n’est point autorisé. En Israël, un couple ayant eu quatre enfants du même sexe peut – après passage en commission – choisir  le sexe de l’enfant à venir.

Les scientifiques reculent sans cesse les limites du « comment le faire ». À mesure que ces limites sont franchies la question du « pourquoi le faire » s’impose de façon cruciale. Doit-on accepter de faire en France n’importe quoi au prétexte que d’autres pays            « transgressent » ces limites ?

Doit-on accepter toutes les demandes ? Les réponses – bien entendu – sont tout saufs évidentes. Le conseil national d’éthique débattra dès la rentrée prochaine de tous ces problèmes.

Frydman trace toutefois clairement quelques règles fortes qui doivent guider les scientifiques, les médecins et les responsables civils. D’abord dissocier la connaissance de l’application de la connaissance. L’impératif de connaître toujours davantage ne signifie pas – tant s’en faut – qu’il faut autoriser la réalisation de toutes les avancées.

La première limite à ne pas franchir est de ne pas autoriser tout ce qui relève de la location du corps humain. Il s’inscrit donc de façon on ne peut plus catégorique contre la GPA.

La deuxième limite, plus vaste et plus subtile, c’est l’aliénation d’une autre personne ou l’aliénation de la caractérisation d’une personne. En l’occurrence le premier humain aliéné est l’enfant. Si toute latitude était donnée pour choisir un enfant « on irait vers une société qui quitterait le sujet pour aller vers l’objet ». De sujet l’enfant deviendrait alors objet.

La deuxième personne aliénée c’est précisément la femme. Ne pas accepter ni remettre en cause l’interdiction de la vente d’organes. Cette limite doit être réaffirmée de la façon la plus forte. Et pourtant Frydman ne méconnait pas la douleur des femmes n’ayant pas d’enfants.il souligne que dans certaines sociétés des pays émergents une femme n’ayant pas eu d’enfant ne sera pas nommée par son nom mais par le nom de la mère et sera peu à peu exclue de son cercle. Cela a même conduit jusqu’à des suicides.

Ne pas accepter ni remettre en cause l’interdiction de la vente d’organes. Cette limite doit être réaffirmée de la façon la plus forte !

Le désir d’enfant pour légitime qu’il soit peut cependant emprunter des chemins escarpés et dangereux. Avoir et élever des enfants est parfaitement légitime. Cela n’est en outre interdit à personne. Mais la course -parfois effrénée- pour avoir des enfants de soi « un enfant de la génétique de soi » peut entraîner des exploitations et éliminations dangereuses.

Et Frydman de soulever un débat de fond qui préoccupe tous les dignitaires religieux et les intellectuels laïcs.

Si l’on pense que tout ce qui vient de soi et « centré sur soi » « est par définition supérieur à l’autre et à tout ce que l’autre peut représenter alors il y a danger de l’altérité et de l’équilibre de la reconnaissance de l’autre ».

Bien sûr ces progrès concernent aujourd’hui 20 000 enfants par an seulement. Mais les années passant cela constitue désormais un vrai phénomène sociétal. Ces techniques sont préoccupantes car elles transforment- subrepticement ou pas -les valeurs de notre société.

En résumé Frydman rappelle les trois points qui lui semblent cruciaux.

-Accord pour développer la connaissance et la recherche mais « ce n’est pas parce que les choses existent qu’il faut automatiquement les employer».

chaque application doit être examinée de façon extrêmement précautionneuse dans leur contexte sociétal.

-Enfin et peut-être surtout « ne pas rentrer dans l’utilisation de l’autre à ses propres fins»

 

René Frydman est un habitué des talk-show et conférences. Si d’aventure l’occasion vous est donnée d’y assister, allez-y. L’homme respire l’intelligence mais surtout nous avons vu un Homme parler librement, faisant montre d’une incroyable ouverture d’esprit, car frotté à des cultures et altérités différentes de la sienne.

Enfin un scientifique de tout premier plan sachant exprimer ses doutes et fleurant bon l’humanisme le plus noble. Cela est devenu – hélas – si rare de nos jours !

 

Que l’on permette à l’auteur de ces lignes d’illustrer ses propos.

« La liberté abrite l’abîme le plus profond et le ciel le plus sublime « Schelling

« On est toujours l’enfant de quelqu’un » Beaumarchais

 

 Léo Keller

 

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