ANOMIE et FOURBERIES DE GOÏTA Par André Bailleul

ANOMIE et FOURBERIES DE GOÏTA
Par André Bailleul

     « Mais que diable allait-il faire dans cette galère ? ». C’est la tirade des « Fourberies de Scapin », célèbre pièce de Molière qui met en jeu les roueries d’un valet contre son maitre pour favoriser le mariage du fils. Qu’allait faire le président Hollande dans la galère malienne en 2013, « le jour le plus important de sa vie politique » ? 
Arrêter la descente de djihadistes sur la capitale Bamako. Dénommée « Serval » du nom d’un animal des zones semi-arides, agile et rusé, l’opération française s’est transformée, une année plus tard, en opération extérieure « Barkhane », nom générique d’une dune sahélienne qui par nature évolue au cours du temps. La disparition de Barkhane a été annoncée le 10 Juin par le président Macron après sept années d’existence. Il est vrai que, comme toute dune, elle s’est modifiée à cause des vents violents venus du désert qui l’ont écrêtée, déplacée, transformée.

    Macron-Géronte aurait-il été doublé, dribblé comme on dit au Mali, par Goïta-Scapin qui, comme dans la pièce de Molière, aurait rendu les turcs (déjà) responsables d’un enlèvement fictif pour obtenir en compensation un engagement, une rançon ? On sait combien de ruses a utilisé Scapin pour obtenir ce qu’il recherchait, à savoir des mariages consentis par des parties qui avaient des intérêts divergents.

     Arrêtons là les comparaisons avec la triste pièce qui se joue actuellement au Mali, plus de trois siècles après celle de Molière : ce n’est plus une comédie mais une tragédie. L’anomie du président Macron restera aussi célèbre et surprenante que la chienlit du général De Gaulle ou l’abracadabrantesque du président Chirac. L’emploi par nos présidents de mots ou formules quasi inconnus lors de conférences de presse caractérise une situation exceptionnelle qui nous renvoie à nos dictionnaires même quand on a fait quelques études de langues politiciennes.

    Il faut dire que le lettré président français a utilisé un mot, l’anomie, qui résume parfaitement l’absence de règles de droit, d’organisation et de disparition de valeurs communes dans une société qui a perdu sa boussole malgré les rappels incessants, parfois lassants, de ses nombreux intellectuels-citoyens à leur pays, ce grand Mali du Moyen âge, de ses empires, de ses richesses notamment en or, de ses grands hommes, de ses guerriers conquérants, de ses penseurs religieux, de ses écrivains célèbres, de sa grande université de Tombouctou.

     Que s’est-il passé depuis ces lustres pour arriver à la situation actuelle ? Bien sûr il y a eu la situation coloniale mais elle n’explique pas tout. Aujourd’hui on ne retient plus que le délitement d’un Etat qui se meurt au milieu d’une corruption généralisée incontrôlable qui étrangle le fonctionnement du pays et projette ses habitants, sauf une grande partie de ceux de Bamako, dans une des pauvretés les plus fortes de notre planète selon divers indices internationaux. Elle favorise une importante immigration de sa jeunesse à la recherche de sa survie.

     Cette situation a entrainé plusieurs révolutions populaires, des morts et des ruptures institutionnelles pour tenter de mettre en place la démocratie du consensus. Malheureusement la mauvaise utilisation des principes démocratiques par une multitude d’acteurs politiques plus intéressés par les prébendes que par le développement de leur pays, a entrainé depuis l’indépendance cinq coups d’état militaires dont le dernier fut « un coup d’état dans le coup d’état », dixit le président Macron, celui du récidiviste colonel Goïta.

       Il faut ajouter à ce triste tableau un islamisme de plus en plus radical prêché par des imams de formation wahhabite, renforcé par un djihadisme venu d’Algérie. Le Mali d’aujourd’hui n’a plus rien à voir avec celui que nous avons connu autrefois ; la « blanchitude », surtout française, est devenue une marque recherchée pour ce qu’elle peut procurer comme revenus annexes pour certains groupes armés ou se mélangent des revendications identitaires et islamistes avec des trafics de drogue et d’armes, de rapts, le tout sur un fond de revendication d’autonomie, voire d’indépendance dans la région du septentrion.

       Dans ce chaos qui s’est accéléré depuis 2013, le président Macron a mis à exécution les menaces exposées en Janvier 2020 à la réunion du G5 Sahel de Pau d’un départ de Barkhane si les pays ne montraient pas plus de mobilisation dans le combat contre les djihadistes comme dans les critiques mensongères contre la France. La menace à peine voilée, réitérée ultérieurement, a été mise à exécution. Certes il ne s’agit pas d’un départ brutal et définitif mais d’un désengagement, d’un reconditionnement du dispositif, d’un allégement en hommes avec des structures plus mobiles en fonction de deux principes qui guident la politique française en Afrique : partir pour mieux rester et faire mieux avec moins.

       Au moment où le président Macron faisait cette annonce lors de la conférence de presse donnée à Paris le 10 juin, notre ministre chargé des affaires étrangères inaugurait près d’Abidjan « l’Académie internationale de lutte contre le terrorisme », établissement financé à hauteur de 60 M€ dont près d’un tiers par la France. Cela en dit long sur l’évolution de l’Afrique subsaharienne : en 1957 la France inaugurait au Sénégal l’Université de Dakar, XVIIIe université française, qui joua un rôle fondamental dans la formation des cadres supérieurs africains et qui essaima dans toute l’Afrique occidentale et centrale. Aujourd’hui aux besoins de formations multidisciplinaires s’ajoute le chapitre du terrorisme ; c’est un constat douloureux qui montre le déplacement des priorités de formation.

     Cette annonce surprise au milieu d’une conférence de presse présidentielle sonne le besoin évident de modification du dispositif Barkhane. Or, depuis quelques années beaucoup d’experts ont prédit l’échec d’un volet militaire qui ne s’appuierait pas « en même temps » sur un volet développement avec une bonne gouvernance, certains spécialistes comme S.Michailof y voyant un « Africanistan ». Les militaires eux-mêmes réalisent bien qu’avec 5100 hommes et malgré des moyens techniques sophistiqués d’intervention, il n’est pas possible d’éradiquer des groupes extrêmement mobiles se déplaçant sur un territoire grand comme l’Europe.

     Tout le monde est bien conscient que sans Barkhane les djihadistes seraient arrivés tôt ou tard à Bamako, poussant alors leur avancée vers les pays voisins du sud, puis à tout le Sahel, l’objectif étant d’installer un califat. Barkhane a donc joué son rôle de digue mais ne peut à lui seul, quand il a reconquis le terrain, l’occuper de façon permanente et garantir le retour des services de l’Etat comme l’éducation, la santé, la justice, la sécurité, condition impérative pour freiner la progression du djihadisme. Car il ne suffit pas de vaincre des groupes djihadistes qui, même détruits en partie, se reconstituent comme l’hydre si l’Etat ne réoccupe pas immédiatement le terrain. Actuellement ce n’est pas le cas et c’est un travail sans fin qui fait penser au mythe de Sisyphe ; nos chefs militaires ont estimé qu’il faudrait plus de quinze ans pour éradiquer les groupes djihadistes sans se faire trop d’illusions.

     Le président Macron a donc tiré les conclusions qu’il fallait changer la forme du dispositif en impliquant d’autres forces, européennes, multilatérales ainsi que celles des pays limitrophes comme le G5 Sahel pour éviter l’enlisement de Barkhane. La présence de troupes étrangères qui s’éternisent dans un pays ne fait qu’augmenter le ressentiment des populations quand elles constatent qu’il n’y a pas de progrès réels dans l’établissement de la paix. Il est facile alors aux groupes djihadistes de justifier leur présence en se substituant aux services de l’Etat qui ont abandonné le terrain depuis très longtemps et d’embrigader par la force des hommes désœuvrés.
Dès lors des conflits asymétriques se développent et s’étendent sur tout le territoire : des motos à deux ou trois combattants légèrement armés se déplacent plus vite sur un terrain qu’elles connaissent parfaitement que de lourds convois d’une centaine de véhicules qui circulent très lentement jusqu’à des bases isolées. Les Russes pendant dix ans, puis les Américains pendant vingt ans en ont fait la triste expérience en Afghanistan.

       Sur le plan politique les innombrables partis maliens, les associations de la société civile se sont assemblés dans une nébuleuse d’un « Mouvement du 5 Juin et du Rassemblement des Forces Patriotiques » dit M5-RFP, critiquant le régime de l’ancien président IBK, sa gabegie et des élections législatives « bidouillées » entrainant le coup d’Etat des colonels.  A cela s’ajoute une crise économique et sociale dont le principal syndicat, l’Union Nationale des Travailleurs du Mali, a tiré parti n’ayant pas obtenu les augmentations de salaires souhaitées. Cela a débouché sur une grève générale, secteur privé et public réunis qui s’est ajoutée à une situation économique et financière catastrophique. ANOMIE vous dis-je.

      Le Mali bénéficie d’une aide internationale considérable, de plus d’un milliard $ annuellement, avec de multiples acteurs. Elle est peu efficace car menée par des grands organismes internationaux de développement, des états européens, américains, des multiples agences de développement, d’ONG qui s’empilent sans réelle coordination et qui tous ont leurs propres objectifs, leurs propres modalités d’exécution et leurs propres agendas et ce, même si elles font semblant de se coordonner dans des réunions interminables tant à Bamako que dans les capitales étrangères où elles ont leur siège.
Il est impossible à l’administration malienne, quelle que soit sa compétence, de suivre l’exécution cordonnée et chiffrée de plus d’une centaine de grands projets qu’elle n’a pas conçu à travers des stratégies qui ne sont pas les siennes et de tableaux Excel sophistiqués. De plus, elle ne peut participer à toutes les réunions de suivi des projets, d’identification des futurs projets, ni être sur le terrain quand une grande partie de ces projets sont en zone rouge occupée. Tout le monde reste confortablement à Bamako, même s’il y a quelques risques dans les hôtels-restaurants mais beaucoup moins que si on sort de la capitale. Les projets sont pilotés depuis Bamako à travers des ONG nationales dont certaines ont des compétences limitées.

Dans ces conditions, il faut bien accepter des résultats peu contrôlables et pourtant continuer à « décaisser » » ne serait-ce que pour satisfaire les institutions et justifier leur engagement afin de permettre de nouveaux décaissements. Dans un tel schéma il est facile de fabriquer des tableaux justificatifs à la virgule près ; il ne faut pas s’étonner alors de la mauvaise gestion, de la corruption : le développement est à guichet ouvert pour toutes et tous …

      Goïta -Scapin a refait, neuf mois après son premier coup d’état, un autre coup d’état pour éjecter le président de la République et son premier ministre, qui avaient « oublié » qu’ils ne devaient leurs postes que par la grâce des militaires putschistes qui avaient appliqué les recommandations des organisations africaines comme la CEDEAO et l’UA de civiliser le gouvernement provisoire de transition. Un général à la retraite, de fort caractère, et un diplomate très lisse, également retraité, ont servi de faire valoir institutionnel.
S’étant pris au jeu, ils se sont permis, sans en informer le véritable patron de la transition abrité derrière un poste de vice-président, d’évincer du gouvernement des colonels putschistes aux postes clefs de la sécurité et de la défense pour les remplacer par des généraux « ancien modèle ». Cette faute de stratégie politique digne de novices a entrainé une nouvelle crise politique qui a vraisemblablement conforté le président Macron-Géronte dans sa volonté de modifier le dispositif Barkhane ne faisant plus confiance aux militaires maliens.

      Aujourd’hui les choses sont claires : le colonel Goïta a accepté les lettres de démission « spontanées » du président et du premier ministre qui ont, selon lui, « trahi la charte de la transition » et grâce à un remarquable raisonnement juridique de la cour constitutionnelle montrant que les juristes ont toujours de la ressource intellectuelle, a été intronisé comme chef de la transition, chef de l’Etat. Il a constitué un gouvernement avec une moitié de militaires et un premier ministre issu de la société civile, porte-parole incendiaire du M5-RFP, Choguel Maiga, politicien ayant trente ans de métier, aux engagements politiques à géométrie variable qui lui ont permis de participer à de multiples combinaisons : un vrai professionnel !

      Pendant les neuf premiers mois de la transition, les militaires avaient tenu à distance le M5-RFP estimant que l’ensemble de la classe politique du Mali dont il fait partie, faut-il le rappeler, était responsable par ses jeux politiciens, de la situation de faillite du pays. Les différentes interventions de la CEDEAO allant jusqu’à la suspension du Mali, à la fermeture un temps des frontières pour non-respect des principes de sa charte, ont amené plus de confusion que de solution.

La dernière intervention après le deuxième coup d’état a entériné cette situation de fait ce qui n’a pas plu du tout au président Macron et qui l’a fait savoir. La CEDEAO foule aux pieds les principes démocratiques qui régissent sa charte et fait semblant de croire que dans les neuf mois restant de la transition, le nouveau gouvernement pourra réviser les modalités électorales, organiser les élections sur un territoire dont les 2/3 sont sous la pression des forces djihadistes, assurer la lutte contre la corruption en poursuivant ceux qui ont fait l’objet de rapports négatifs des organes de contrôles, appliquer les accords d’Alger, notamment le programme de Désarmement-Démobilisation-Réinsertion et la mise en place des structures fédérales. On se demande quelle lecture des Accords d’Alger fera le nouveau premier ministre. Il les avait critiqués et jugés inapplicables quand il était dans l’opposition.

     La France est accusée par certains partis politiques ou associations maliennes d’entretenir sa présence militaire pour garantir « ses intérêts » jusqu’à développer l’implantation de groupes djihadises qui occupent désormais le centre du Mali ! Des manifestations anti-françaises à Bamako font appel aux Russes pour éradiquer les djihadistes : on leur souhaite beaucoup de courage et de résilience, surtout quand on voit les méthodes et les exactions des armées russes en Syrie et de leurs supplétifs Wagner dans les pays voisins, la Libye et la RCA qui ont entrainé des centaines de milliers de morts. La France qui était intervenue en 2013 à la demande du président malien par intérim, D. Traore, suite déjà à un coup d’état militaire, est donc devenue avec le temps le bouc émissaire des échecs maliens.

L’état de l’armée malienne, les Famas, était catastrophique en capacité d’intervention avec des hommes très mal formés et des équipements obsolètes, en plus d’être rongée par une profonde corruption organisée par ses chefs. Très rapidement les stratèges et géopoliticiens du grand marché central de Bamako semblables à ceux de notre café du commerce, ont été prompts à dénoncer cette présence de type colonial à travers des manifestations « spontanées » organisées … par l’ambassade de Russie !
Il est vrai que le premier président du Mali, Modiba Keita, avait après l’indépendance demandé le départ des troupes françaises basées à Bamako et à Kati ; il avait mis en place une politique économique socialiste avec l’appui d’une coopération multisectorielle importante de la Russie. Faire revenir soixante ans après l’indépendance l’armée de l’ancien colonisateur pour sauver le pays est, sur le plan psychologique du nationalisme, quelque chose qui passe mal, qui entache la foi patriotique.
Certains Maliens, oubliant qu’ils sont quand même les premiers responsables de cette situation, accusent la France de tous les maux ; On peut alors comprendre que le président Macron soit « agacé » surtout quand, en sous mains, un chef d’état ou des ministres sont parfois les initiateurs de ces mouvements.

    Au fur et à mesure que le dispositif Barkhane s’est développé sur le territoire malien, les accusations de pillage par la France des richesses nationales ont fleuri dans la presse et sur les réseaux sociaux, « preuves à l’appui ». On a vu par exemple des pelleteuses qui exploitaient soi-disant l’or dans la région de Kidal chargé sur des camions militaires même si on sait que seuls des groupes australiens et canadiens exploitent l’or dont, officiellement, la production annuelle est de plus de 60 tonnes.
La France est accusée de vouloir garder les immenses richesses minérales du sous-sol malien et on ressort les vielles stratégies coloniales des années 1955 sur l’Organisation Commune des Régions Sahariennes. On peut quand même se demander pourquoi tant de richesses n’ont pas été exploitées alors que les soviétiques étaient présents et avaient entrepris l’exploitation de la bauxite dans le pays voisin de la Guinée dès 1958 ?
Le Mali aurait il dormi sur ses richesses sans chercher à les valoriser alors que la coopération française avait été priée de plier bagages ? Cette opposition systématique anti-française qui s’exprime essentiellement à Bamako, s’estompe au fur et à mesure que l’on s’éloigne de la capitale ; les populations de Tombouctou ou de Gao, confrontées aux dures réalités de la présence djihadiste, savent ce que leur apporte Barkhane en sécurité.

    Cette opposition dénonce l’inefficacité de Barkhane vu l’augmentation et l’étendue des actions djihadistes qui s’en prennent désormais aux civils dans les villages, tuant femmes et enfants : depuis 2015 on compte au sahel plus de 800 attaques, 2000 civils tués et un million de déplacés. Elle ne peut, mais surtout ne veut pas comprendre que Barkhane, malgré ses moyens, ne puisse vaincre « une bande de loqueteux » circulant à motos avec de l’armement léger.

Elle critique le fait que les militaires français font ce qu’ils veulent sans avertir leurs homologues maliens, n’associent pas les Famas aux actions entreprises, ce qui est faux. Les Famas participent bien à certaines opérations dans le cadre de la coopération en fonction de leurs capacités dès lors qu’elles ont été formées notamment par l’EUTM de la coopération européenne. Mais elles ne peuvent du jour au lendemain être projetées sur des terrains très hostiles sans matériels adéquats : l’expérience s’acquiert par paliers comme dans tout métier et dans celui des armes il faut du temps puisque la vie d’hommes est engagée.  
Cette opposition souhaiterait même que les associations de la société civile dans un souci de transparence soient associées aux actions militaires ! Certaines réactions maliennes ont jugé sévèrement ce dégagement unilatéral de Barkhane estimant que la réaction française allait pousser au radicalisme en mettant les maliens devant le fait accompli. Il est certain que Barkhane, occupant le terrain, rend difficile les déplacements des différents groupes djihadistes dont certains se font prendre par surprise ; des chefs importants ont été ces jours-ci « neutralisés » ce qui entrainera des ripostes contre Barkhane.

     Le président français a tracé une ligne rouge concernant d’éventuelles négociations avec les groupes djihadistes, notamment maliens, dont le groupe de soutien et aux musulmans de Iyad Ag Ghali et la Katiba Macina d’Amadou Kouffa. Evidemment cela irrite l’opposition malienne, notamment l’imam Dicko, qui estime « qu’il n’appartient pas à la France d’imposer ses solutions et qu’il faut recourir à des solutions endogènes ».

Des négociations avaient déjà été entreprises par l’ancien président IBK suite à un énième dialogue national et se sont poursuivies, notamment avec l’ancien président par intérim Traore, chargé de ce dossier. Les djihadistes ont mis la barre haute : départ de toutes les troupes étrangères (France, USA, UE et ONU) et application de la charia. Dans ces conditions il n’y a pas grand-chose à négocier en dehors de la longueur des pantalons ou de celle des barbes ; les femmes doivent être voilées et gantées en noir quand elles sortent de la maison et les jeunes doivent fréquenter l’école coranique, sans sport ni musique, puisque les écoles des mécréants français seront interdites.

Cette situation a été décrite dans le magnifique film « Timbuktu » du mauritanien Sissako. Cependant, localement, la situation est variée : des accords de gestion ont pu être négociés au centre du pays entre villages avec certains groupes djihadistes permettant aux agriculteurs et éleveurs de travailler temporairement sous leur contrôle mais des villages sont aussi coupés de toute communication, encerclés par des groupes djihadistes comme celui de Farabougou pendant six mois.

      On ne peut être qu’inquiet pour l’avenir à court terme du Mali. Le Burkina Faso et le Niger, moins gangrénés par l’hydre djihadiste, ont réussi à assurer leurs élections présidentielles et législatives à peu près démocratiquement malgré un contexte sécuritaire difficile. La France n’a pas perdu la guerre comme le proclame les anti-français mais va repositionner son dispositif en l’allégeant en hommes, en le rendant plus mobile pour des interventions de type forces spéciales (dispositif Sabre) d’autant que la pression djihadiste a déjà commencé au nord de la Côte d’ivoire et du Bénin. Mais n’est-ce pas reculer pour mieux sauter en étendant le champ d’action aux pays menacés ?

On risque de reproduire le phénomène Barkhane avec d’autres appellations, des structures plus légères mais avec les mêmes désillusions. Il y a en outre le danger que la France soit associée aux exactions commises par les forces armées nationales contre les populations ou qu’elle tombe elle-même dans des situations portant atteinte aux droits de l’homme comme à Bounti en Janvier, où elle fut accusée d’avoir tué une vingtaine de personnes à l’occasion d’un mariage. Malgré les efforts de persuasion de notre ministre des armées, peu de pays européens ont envie de venir aider les français dans le dispositif Takuba ; quelques états européens du nord estiment même que c’est aux seuls français d’assumer leur héritage colonial !
Par ailleurs la fragilité des institutions maliennes ne donne aucune garantie sur le respect de la durée de la transition et il y a un risque d’une période de « glissement » comme l’a pratiquée Kabila en RDC qui verra la transition perdurer bien au-delà des dix-huit mois autorisés par la communauté internationale malgré la mise en place par la CEDEAO d’une structure de suivi de la transition.

     Comment organiser des élections « inclusives, libres et transparentes » sur un territoire dont les 9/10è sont « formellement déconseillés » dans la cartographie des conseils aux voyageurs du quai d’Orsay ? En voulant organiser coute que coute des élections sur une petite partie du pays qui, comme les précédentes seront trafiquées, contestées, la communauté internationale tombe dans son propre piège de la démocratie « à tout prix » qui renvoie ultérieurement à d’autres conflits internes : il est vrai qu’elle pourra toujours jouer aux pompiers et accompagner la post-transition, les programmes de coopération étant illimités ce qui fait leur charme financier.   

     Dans cette opération de sauvetage du Sahel, il faut internationaliser les interventions tout en reconnaissant leurs limites comme en RDC ou en RCA. La France n’a plus les moyens financiers de continuer seule à mettre sans fin des rustines sur des bouées de plus en plus trouées tout en étant critiquée de néocoloniale.
La situation sur le terrain est telle qu’il n’y a aucune chance de succès sur un territoire dont les emprises djihadistes s’agrandissent inexorablement et ce ne sont pas les Famas qui vont reconquérir un terrain perdu depuis de trop nombreuses années et qu’elles connaissent mal, abandonné par les services des administrations maliennes depuis si longtemps qu’on ne voit pas ce que la France y fait encore, sauf à sauvegarder « ses intérêts » comme aime le dire l’opposition, rendant notre présence suspecte.   
 On s’achemine inexorablement vers un état islamique dont l’imam Dicko, formé en Arabie Saoudite, déterminera la nature et ses contours dans « des nuances de vert » comme le dit l’ancien ambassadeur N. Normand.

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        Les temps ont changé et comme le dit l’essayiste camerounais Achille Mbembe, « la France est à la fin d’un cycle en Afrique ». Le président Macron en est bien conscient, lui qui veut sortir de la Françafrique dont il ne se sent pas comptable pour s’orienter avec les nouvelles générations africaines, notamment celles issues de l’émigration, vers des relations plus transparentes, moins ambigües. Ainsi le plus beau jour de la vie du Président Hollande s’est transformé, huit ans après, en pire boulet de la vie du président Macron.

     Comment sortir de l’anomie et éviter les traquenards des Scapin ? A. Glaser et P. Airault dans leur dernier livre sur « le piège africain de Macron » montrent bien les difficultés d’écrire une nouvelle pièce franco-africaine en rupture avec celle qui se joue depuis des siècles avec de nouveaux acteurs des deux côtés de la Méditerranée. Cette pièce est loin d’être terminée car une partie de ces jeunes acteurs est française et se trouve dans nos banlieues.

 André Bailleul
21/06/2021

Biographie
André BAILLEUL est un ancien administrateur du ministère de la Coopération, conseiller des affaires étrangères, titulaire d’un doctorat d’état en droit et ancien stagiaire de l’ENA. Il a occupé notamment des fonctions de secrétaire général de la Faculté de médecine, de pharmacie et d’odontologie à Dakar( 1970-80), de conseiller de coopération auprès de l’ambassade de France à Dakar (1980-84), de chef de mission de coopération et d’action culturelle auprès des ambassades de France en Guinée Bissau (1986-89), en Guinée (1989-92) et au Tchad (1992-94), de premier conseiller auprès de l’ambassade de France au Bénin (2003-07) et délégué régional pour l’Afrique subsaharienne pour le codéveloppement et l’immigration en poste à Dakar (2009-12).
 

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