Le calvaire d’Arthur London. Souvenons- nous.

Au Secrétariat du Parti
aux mains du camarade Slansky
30/1/1951

Lettre de Lise London quatre jours après l’arrestation d’Arthur London à Prague

Cher camarades,
Je subis en ce moment une épreuve bien pénible, sans doute la plus pénible de mon existence qui pourtant n’a pas été épargnée. Membre du Parti et des Jeunesses communistes depuis 1931, j’ai toujours bénéficié de la confiance du Parti. Vous avez à la section des cadres ma biographie, je ne veux donc pas vous la retracer ici.

Dimanche dernier, des agents de la Sécurité nationale ont perquisitionné chez nous, à deux reprises différentes- deux équipes se sont succédé. Ils ont agi comme s’ils avaient affaire à des ennemis du régime, à des fascistes. Je leur ai déclaré que mon mari n’avait pas de bureau à la maison. En effet, jamais il ne travaillait ici pour ne pas avoir à transporter des dossiers du Ministère. Ce sont donc mes papiers personnels, les affaires de mes parents et de mes enfants- correspondance, articles, documentation, paquets des lettres que j’ai reçues de mon mari, pendant la guerre, lorsque nous étions tous deux emprisonnés en France, lettres qu’à cette époque nous avions envoyées à nos parents et que ceux-ci avaient jalousement conservées- qui ont été le centre des recherches.
La valise de papiers et documents emportés par les agents de la sécurité sont virgule à part quelques papiers d’identité ou autre de mon mari, tous de mes parents et de moi-même.

J’ai appris en même temps ,avec beaucoup de chagrin, que mon mari était arrêté. Le camarade Siroky que j’ai vu hier, au Ministère, m’a dit que l’on ne pouvait pas employer ce mot- pourtant toutes les apparences sont là!

Je dis que c’est avec beaucoup de peine. Comment ne pourrais-je pas avoir de chagrin de voir mon mari, en qui j’ai une entière confiance, subir une épreuve aussi dure : n’est-ce pas la pire chose que de penser que son Parti n’a plus confiance en soi ?
Mais c’est aussi avec le plus grand calme que j’attends l’éclaircissement de ce malentendu. J’ai vécu côte à côte avec Gérard pendant plus de 15 ans. Nous avons affronté et traversé ensemble des épreuves bien difficiles et chaque fois il a réagi en véritable communiste : que ce soit durant la guerre d’Espagne, l’occupation en France, dans les prisons et les camps hitlériens.

Partout il a travaillé, milité, il a bénéficié non seulement de la confiance entière du Parti, mais aussi de l’affection de tous ses camarades. J’ai une foi absolue en son honnêteté politique, en son attachement envers le Parti qui a été le fil conducteur de toute sa vie. C’est très simplement, très posément que je vous parle de mon mari.
Je ne suis pas aveuglée, ce faisant, par l’amour. Je le juge en communiste, consciente de ses qualités et de ses défauts.

Le camarade Siroky m’a expliqué que Gérard, sans être arrêté, été placé en isolement pour aider à l’éclaircissement de problèmes graves et importants.
Je suis depuis trop longtemps dans le Parti pour ne pas savoir qu’il a le droit de connaître chacun de ses militants, qu’il peut exiger à chaque instant des explications sur sa vie et sur ses actions.
Personne dans le Parti n’est en dehors de cette règle et s’il est des problèmes que Gérard doive éclaircir, je comprends que c’est pour lui un devoir de le faire.  

Mais cela dit, je considère que les procédés utilisés ne sont pas justes. Rien dans notre comportement n’autorisait que nous soyons traités de cette façon. Je vous assure que je ne me serais pas formalisée si des camarades m’avaient demandé de contrôler ce que nous avions chez nous.
Mais subir de telles méthodes, c’est franchement inadmissible.

Quand il y a près de deux ans, Gérard a dû fournir à la Sécurité des explications sur la liaison fortuite qu’il avait eue, pendant son séjour de santé en Suisse, avec Field, la Section des Cadres n’a jamais daigné discuter à fond avec lui sur cette question pour y mettre un point final. C’est à mon avis une faute. Le Parti, s’il a le droit de connaître tout ce qui touche ses cadres, a le devoir d’étudier et de statuer sur leur cas.
Gérard a beaucoup souffert de cette attitude du Parti à son égard.  

Je suis certaine qu’elle heure actuelle il est, lui aussi, très calme et courageux ; qu’il doit s’efforcer d’aider à l’éclaircissement des questions encore obscures. Là encore, il agira en communiste conscient et ne se laissera pas aller au découragement que seraient susceptibles d’entraîner chez un être humain les méthodes employées contre nous.  

Je signale en passant que, malgré mon insistance à être reçue par un responsable des services de la Sécurité pour obtenir un minimum d’orientation, je me heurte à un mur.
Aussi, c’est tout simplement ma confiance extrême en Gérard qui m’a dicté ma conduite de cacher à tout le monde, au travail et dans mon entourage le drame que je suis en train de vivre. Car je suis sûre du retour de mon mari auprès de nous et je considère que ces événements ne doivent pas être ébruités pour ne pas faire de tort au Parti. Je prie la direction du Parti de prendre, de son côté, toutes les mesures pour que cette histoire s’éclaire le plus rapidement possible.

Salutations communistes.
Lise Ricole- London

commentaire d’Arthur London

C’est aussi après ma libération, que je trouverai virgule dans les papiers rendus, les lettres que ma femme et ma fille avait écrite pour mon anniversaire , quatre jours après mon arrestation, et qui ne m’avaient jamais été remises.



Ce premier février  22 heures
Lettre de Lise Ricol London à Arthur London

Mon Gérard

C’est ton anniversaire aujourd’hui. Je suis sûre que tu as pensé à nous intensément, comme nous à toi. Tu me manques beaucoup, mais c’est avec un grand calme que j’attends ton retour. Je suis calme, parce que communiste et que je suis sûre de toi. «On ne peut brûler la vérité, ni la noyer au fond d’un puits », dit un vieux proverbe russe point la vérité finit toujours par triompher et plus encore dans le Parti.

Mon Gérard, sens-tu comme je suis près de toi par mes pensées ? Pas une minute je ne m’en éloigne, mais je ne suis pas affligée, je joue avec les gosses, je travaille. J’ai une confiance et une foi infinie en toi, de même que dans le Parti. Certes j’aurais préféré ne pas connaître cette épreuve douloureuse entre toutes, mais quand on est de vieux communistes, comme nous le sommes, il nous faut affronter avec courage les difficultés et lutter pour les résoudre.
Voilà, mon Gérard, ce que je tenais à te dire ce soir. Je t’attends avec confiance. Je t’aime .
Ta Lise.
 

Lettre de la fille d’Arthur London
Prague le 1/2/1951

Mon petit Papa adoré,
Je t’écris ce petit mot pour te souhaiter un bon anniversaire et pour te dire combien j’ai pensé à toi pendant ton absence. Je suis très contente de pouvoir t’annoncer que, pour ton anniversaire, j’ai eu de bonnes notes à l’école et que j’espère recevoir bientôt mon châle de pionnière. Et je pense au plaisir que tu auras en me voyant revenir à la maison avec le châle que tu désirais déjà tant de me voir autour du cou. Gérard a eu aussi d’assez bonnes notes.
Il est fier de pouvoir dire : « Quand Papa reviendra il sera bien content de moi et il me laissera aller en URSS apprendre mon métier.»
Nous pensons souvent à toi et aujourd’hui plus encore que d’habitude. C’est en soupirant que nous nous sommes mis à table. Nous pensions tous :  «si Papa était parmi nous … »
Maman nous a dit que tu revenais dans une semaine et qu’on fêterait alors ton anniversaire.
depuis aujourd’hui, nous sommes en vacances et nous sommes tous bien contents.
Michel sait jouer au football et grimper sur un fauteuil. Maman lui a coupé les cheveux « en chien », ce qui l’a transformé en vraie petite fille …
Demain, j’irai certainement voir avec Pépé le film Un grand citoyen qui représente une partie de la vie de Kirov. A l’école, les maîtres sont devenus très sévères, ce qui est très embêtant parce qu’on ne peut plus faire un brin de causette avec ses voisins.
Maman a fini de lire Loin de Moscou et c’est moi qui vais le commencer. Maintenant, je termine La Vie d’Oleg Kochevoi qui fut le commissaire de la Jeune Garde. Je souhaite que tu sois en bonne santé comme nous ici. Maintenant je finis ma lettre pour aller me coucher avec maman !

Ta fille qui t’aime.
Françoise

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